lundi 10 mai 2010 par Nord-Sud

La situation se dégrade entre agriculteurs et éleveurs dans la région du Denguélé. Depuis près d'un mois, cette crise qui a causé deux pertes en vie humaine, semble s'aggraver davantage.

Tout est parti le jour où les populations du quartier Yanhafissa d' Odienné ont fait subir la loi du talion à l'éleveur Siaka Bamba qui venait, trois heures plus tôt, d'assassiner à la machette le chasseur Moussa Diomandé au petit-matin du vendredi 9 avril. Depuis ce jour, les éleveurs disent connaître des pertes dans leur bétail. De jeunes gens, ont battu à sang des bouviers, tuent nos b?ufs. Et plusieurs bêtes ont été mises à mort en quelques jours, s'indigne L.K., un éleveur. Du côté des agriculteurs, il n'est un secret pour personne que ceux-ci ruminent de se venger en cherchant à s'en prendre aux b?ufs qui détruisent leurs champs et en passant à tabac leurs propriétaires. Le lundi 26 avril, le préfet de région, Jérôme Soro, a convoqué une réunion de crise pour éviter que la situation ne dégénère.

L'origine des tensions

Malgré les décisions vigoureuses qui ont été prises, les populations du quartier Bromakotè se sont soulevées. Direction, la brigade de gendarmerie. Ce mouvement de colère a conduit à la libération des prisonniers et le domicile du responsable de la filière bétail, Alpha Diakité, a été mis à sac. Les manifestants expliquent qu'ils venaient de libérer des agriculteurs injustement arrêtés par les gendarmes. Par contre, la gendarmerie fait savoir que les populations ont été incitées à la révolte par certaines personnes qui leur ont donné de fausses informations. Nous avons été interpellés sur un cas de vol. Des individus, après avoir battu un bouvier, on abattu un b?uf qu'ils se sont partagé. Ils ont été par conséquent mis aux arrêts en possession de la viande. Ce sont ces détenus qu'ils sont venus libérer de force. On a fait croire à la population, que nous avons arrêté des agriculteurs. Et c'est ce qui a provoqué ce mouvement d'humeur, soutient le commandant Koné. Le même jour de cette révolte, les éleveurs peulhs disent avoir déploré au moins quatre b?ufs abattus dans les mêmes conditions. C'est pourquoi, ils ont décidé de ne plus vendre de viande sur le marché de la cité du Kabadougou. Nous observons la grève jusqu'à ce que le massacre des b?uf s'arrête. II faut éviter de cautionner les voleurs qui veulent profiter de la crise entre agriculteurs et éleveurs pour assouvir leurs basses besognes. S'ils se contentaient de tuer les bêtes, on pouvait comprendre que c'est l'effet de la colère. Mais ils dépècent l'animal et tentent de revendre la viande sur le marché. C'est une attitude inacceptable. C'est pourquoi, nous avons observé un arrêt de travail depuis le jeudi 29 avril, argumente lbrahima Guindo, boucher au grand marché d'Odienné. Notons qu'après de multiples tractations avec les autorités coutumières et administratives, les bouchers ont promis reprendre le travail ce 2 mai 2010. Cependant, pour les chefs coutumiers, la question des b?ufs transhumants devient une vraie inquiétude pour la région. Jamais, notre région n'a été envahie par autant de troupeaux que cette année. Si vous vous promenez partout, dans chaque village du Denguélé, vous trouverez des troupeaux, et cela nous inquiète, déplore le patriarche Touré Lanciné, porte-parole du chef de canton d'Odienné. A l'en croire, c'est au moins 125 têtes de b?ufs transhumants qui viennent, en effet, de diverses contrées. Une bonne partie provient des pays limitrophes, notamment du Mali et de la Guinée. Mais il convient de noter qu'un nombre non-négligeable vient de la région voisine des Savanes, précisément du département de Tingréla. Et, cette affluence est remarquée depuis janvier et ce, jusqu'aujourd'hui. Ces bouviers, faute d'herbes fraîches pour nourrir leurs bétails dans leur environnement d'origine, se dirigent vers le Denguélé, encore pourvoyeur de nourriture tout au long de cette période de sécheresse. Chaque année, nous assistons à ces vagues de bétails à la même période qui descendent vers notre région. Mais, au fur et à mesure que les années passent, le nombre de b?ufs s'accroît de manière incontrôlée, souligne Sylla Seydou, résidant à Tiémé. Le doyen Mamadou Coulibaly poursuit dans le même sens en insistant sur le fait que ce sont les troupeaux transhumants qui détruisent de façon effrénée les plantations. Pourtant d'autres éleveurs exercent déjà leurs activités dans le Denguélé. Et, avec ces derniers, ajoute-t-il, les difficultés sont circonscrites. Contrairement aux bêtes qui viennent d'ailleurs et qui détruisent nos plantations sans qu'on ne sache qui en sont les vrais propriétaires. Puis il se réjouit de l'implication du préfet pour régler la crise.

La sécheresse menace

Pour préserver les champs d'anacarde des dégâts, de nombreux paysans comme Fanny K, sont obligés de passer la nuit sur place. Si vous faites une journée en dehors de votre plantation, c'est la catastrophe. Et il devient très difficile d'identifier les b?ufs qui ont dévasté votre champ. Or, les autorités nous demandent de les identifier avant toute action. C'est pour éviter tout cela que je préfère passer la nuit dans mon champ, s'indigne Fanny K., propriétaire d'une plantation d'anacarde, située à une dizaine de kilomètres d'Odienné. Les bouviers, quant eux, sont les vrais responsables de ces dégâts, en ce sens qu'ils abandonnent souvent le bétail dont ils ont la charge, pour vaquer à d'autres occupations. Sinon, certains d'entre eux, de façon délibérée, conduisent nuitamment leurs troupeaux vers les champs. Pour les bouviers, un troupeau qui ne fait pas de dégâts de culture, ne s'agrandira pas. C'est pourquoi, il n'est pas rare que certains parmi eux, ouvrent les barricades faites autour des parcelles, pour les livrer aux animaux. Ils le font dans l'optique de dédommager plus tard l'agriculteur, relate un sage qui dit avoir reçu cette confidence d'un bouvier peulh. En effet, les herbes et les points d'eau commencent à se faire rares dans la région durant cette période. Dans les régions de Tienko et de Goulia, les bouviers vont jusqu'à élaguer des branchages pour nourrir les troupeaux. Le préfet de région, lors de la réunion du 26 avril avec les populations, a indiqué que cette pratique consistant à abattre, restait une véritable menace pour la flore et la faune dans notre pays. Nous ne pouvons plus accepter qu'on s'attaque à notre environnement, avait-il prévenu. Aussi, Lanciné Touré s'est-il alarmé des risques de famine qu'une telle situation fait planer sur la région. Notre région est menacée de famine. Si les b?ufs doivent détruire nos cultures, si la présence de b?ufs transhumant doit changer notre végétation, il va sans dire que notre région ne pourra plus produire ce dont la population a besoin pour se nourrir. C'est maintenant qu'une décision courageuse doit être prise, pour prévenir le drame à nos populations, a conseillé le porte-parole du chef de canton. Selon le maire de Tiémé, ce conflit, quoi que difficile, peut trouver une réponse en faisant comprendre aux agriculteurs et aux éleveurs, les conditions d'une cohabitation apaisée. Il faut noter que ces conflits entre agriculteurs et éleveurs sont devenus monnaie courante dans le Nord du pays avec souvent des morts. Et l'année dernière, le ministre de la Production animale et des Ressources halieutiques, Alphonse Douati, a conduit durant quelques jours une mission de sensibilisation pour ramener la paix entre les deux parties. Mais, visiblement les choses tardent à rentrer dans l'ordre.

Ténin Bè Ousmane à Odienné

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