lundi 7 juin 2010 par Nord-Sud

Traquer le capitaine ou la murène est devenu une activité très prisée par les populations de Gbéléban. A la ligne, au fixe, au moulinet ou au touret, peu importe la technique, pourvu qu'il y ait du plaisir...et la vie.

Gbéléban, localité située à 70 kilomètres à l'ouest du chef-lieu de région, Odiénné, retrouve le sourire. Grace à l'appui du Programme des Nations-Unies pour le développement (Pnud), les quelques 10.000 habitants reprennent goût à vivre dans une cité dévorée par la misère, la précarité et l'exode rural. Le bonheur des villageois prend sa source dans le fleuve N'gbanhala qui ceinture cette bourgade frontalière à la Guinée. Le Groupement des pêcheurs de Gbéléban, cette organisation née en 2001 est le fer de lance de la résurrection. En effet, la pêche qui était réservée aux seuls habitants des villages riverains est devenue, en l'espace du temps, une fièvre qui s'est emparée de tous. Auparavant, on empoisonne l'eau pour faire la capture sans discernement. Maintenant, on pêche à l'hameçon pour dire qu'on est branché, on se refile des astuces pour ferrer le poisson à la première touche pour affirmer son savoir-faire et on décline toute la panoplie des filets pour montrer qu'on est fin connaisseur. Les piroguiers, eux, font preuve de dextérité pour être la hauteur.

Une tâche difficile

A Gbéléban, la culture de l'oignon ou de l'ail continue mais de nombreux planteurs trouvent désormais en la pêche un moyen de chasser le stress lié aux difficultés existentielles. Le programme des bailleurs de fonds a permis de rendre autonomes les acteurs , reconnaît Moussa Diarrassouba, président de l'Ong Sinignassigui basée à Odienné. Selon l'expert national du Pnud, François Yao, les fonds alloués ont permis aujourd'hui d'obtenir un résultat quantitatif de 27.919 tonnes de poissons péchés d'une valeur de 17,3 millions Fcfa. L'engouement est total. Les pêcheurs partent parfois à la tombée de la nuit pour en revenir tôt le matin. Quelques heures après, ils se donnent rendez-vous devant la vitrine du magasin qui commercialise les poissons et vend les articles de pêche non loin de la mosquée. Les quais d'arrivage de poisson grouillent d'activité. Les marchés de poisson des villages sont animés. Au centre provisoire d'arrivage de poisson de Gbéléban, les embarcations fraîchement rentrées avec la prise du matin déversent leur cargaison de poissons. Le tableau est encourageant : les man?uvres débarquent bruyamment le poisson, tandis que de petits groupes de femmes marchandent le prix des paniers de crabes et de sardines qu'elles iront vendre au marché du village. Dans tout ce climat entourant les transactions, le poisson est nettoyé, les prises sont pesées, et les fourgonnettes sont prêtes à transporter la pêche du jour vers des marchés plus éloignés. Dans ces moments de retrouvailles entre opérateurs, on ne parle pas d'anacarde ou de coton, mais plutôt de crins de pêche, de bouchons flotteurs, de numéros de lances, de l'état du fleuve, de l'éclat de la lune, de la direction et de la force des vagues, autant de paramètres augurant d'une belle prise. Engoncés dans des vêtements serrés pour résister au froid de la nuit, les pêcheurs se dirigent vers leur habituel coin qu'ils ont marqué à force d'habitude ou par superstition. Les petites criques du N'gbanhala sont les lieux de prédilection des acteurs de la pêche artisanale. Ils se sont forgé cette réputation avec le temps. Les pêcheurs les ont adoptés depuis des générations. Plusieurs d'entre eux trouvent en ces moments, le moyen de noyer les soucis et de se donner un nouvel espoir. Juchés sur les abords des embarcations, surveillant le mouvement des vagues qui viennent se briser à leurs pieds, ils forment avec la baie, un tableau idyllique que peuvent contempler les visiteurs ainsi que les femmes qui lavent les pagnes à partir des pirogues qui filent vers l'horizon. Bonne ou mauvaise, la pêche à Gbéléban est un moment de méditation qui permet à l'esprit de voguer au loin. Selon le chef Kabla, les populations ont un rapport presque divin avec le cours d'eau. Ainsi, dit-il, rentrer bredouille n'est pas un drame et exhiber le poisson frais pêché est un motif de fierté. Quand la partie n'est pas excellente, le fruit de la pêche est partagé généralement avec les voisins et les amis pour savourer le plaisir de déguster une chair fraîche et fine qui sent bon le fleuve. La pêche est perçue par certains comme un loisir, un simple moyen pour passer le temps, et surtout comme une véritable passion. Le long de la côte vers la Guinée, le processus de reconstruction est clairement évident.

Des retombées importantes

Et comme s'en est rendu compte Fatima Silué, coordinatrice national du projet, tout donne aussi à penser que les populations recommencent à gagner leur vie, en reprenant leurs activités de pêche ou en trouvant de nouvelles façons de se faire de l'argent. Dans la région d'Odienné, on ne peut sous-estimer l'importance de l'appui de l'institution onusienne à la pêche. Selon M. Diarrassouba, le projet a permis de réaliser beaucoup de chose. Il a pris l'équipe d'enrôlement en charge pendant 45 jours. De nouveaux instituteurs ont, également, été pris en charge, des logements de femmes et de sages femmes ont été réhabilités. Deux ponts ont été réparés dans la région notamment entre Gbéléban et Seydougou, et entre Samesso et Kouroukoro-Mafele. La pêche a toujours été l'activité principale des communautés le long du N'gbanhala. Pour le président du Groupement des pêcheurs de Gbéléban, Sékou Sanogo, pour chaque pêcheur qui va à la pêche, on compte au moins six personnes, man?uvres, commerçants, fabricants de pirogues et camionneurs, qui dépendent de sa prise pour gagner leur vie. Au cours de la visite du Pnud dans sa localité, le sous-préfet explique qu'un si grand nombre d'autres emplois étant tributaires de la pêche, il est d'autant plus urgent de relancer la chaîne de l'activité dans les communautés des pêcheurs. Il est essentiel de rétablir rapidement les moyens de subsistance, précise-t-il. Nous devions prendre des mesures pour que les pêcheurs repartent le plus rapidement possible, ajoute-t-il, le regard rivé aux trépidations du bouchon flottant à la surface de l'eau. Mais à cause de l'impact de la crise avec tous ces ménages touchés directement ou indirectement, relancer la chaîne de l'activité économique paraît difficile. Pour le Pnud, la reconstruction de ces actifs, représente tout un éventail de liens sociaux et économiques. Dans les abris temporaires où abondent les récits de souffrance humaine, il se manifeste aujourd'hui un sentiment de changement et d'espoir. Les enfants ont repris les classes. Les jeunes filles et les femmes, y compris nombre de veuves, bénéficient d'une formation leur permettant d'acquérir une nouvelle gamme de compétences, comme la conservation du poisson dans les entrepôts frigorifiques. Les femmes ont été organisées en groupes d'entraide, dans lesquels elles apprennent à gagner de l'argent en séchant le poisson, à confectionner des sacs destinés à l'exportation, ou à tisser des guirlandes de fleurs. Les groupes tentent par ailleurs d'expérimenter la pratique de l'épargne dans une communauté qui a de tout temps vécu au jour le jour. Une nouvelle génération de jeunes, essentiellement des enfants de pêcheurs analphabètes, sont en passe d'acquérir les compétences qui leur permettront de prendre leur place au sein de la population active de demain.

De nouvelles entreprises

Il se prépare une révolution sociale dont l'objectif est de bâtir l'avenir. A présent que les populations recommencent à gagner leur vie, on s'attache plus particulièrement à améliorer les infrastructures de pêche. La planification prévoit l'amélioration des centres d'arrivage de poisson, des plates-formes de séchage et des centres de vente à la criée, ainsi que le dragage des embouchures de rivières pour enlever la vase déposée par les vagues. De plus grands travaux d'infrastructure sont également en cours de planification. Une incertitude plane cependant sur l'avenir de la pêche dans la région. En vue d'améliorer l'activité de pêche, les embarcations ont été modernisées et nombre de catamarans en bois pourront être remplacés par des embarcations en plastique renforcé munies de moteur hors-bord. Les experts craignent désormais que le trop grand nombre de pirogues ne nuise probablement à la viabilité à long terme de la pêche dans la région et ne débouche peut-être sur un conflit entre les pêcheurs ivoiriens et guinéens. L'important, c'est la gestion de l'héritage à long terme que nous laissons , souligne François Yao. Certains cadres espèrent que le programme s'attache en outre à aider les pêcheurs à compléter leur revenu en créant des micro-projets, telles que les exploitations laitières, avicoles, fruitières et florales. Si tout va bien, ajoute-t-il avec enthousiasme, ces régions seront méconnaissables l'an prochain. Beaucoup plus, si les champs agricoles deviennent de nouveaux fertiles.

Lanciné Bakayoko, envoyé spécial à Odienné

www.225.ci - A propos - Plan du site - Questions / Réponses © 2023