lundi 14 juin 2010 par Demain

La mode semble être à la republication de propos de certaines figures politiques dont a décrété que le tort infâme est de vouloir briguer quelque poste de responsabilités. Comme l'exhumation de la mémoire des mots n'est le privilège d'aucun quotidien, fût-il passé maître dans l'art de manipuler les lecteurs, nous vous proposns ici des paroles fortes, écrites, et hautement significatives, de l'actuel président du Pdci-Rda, Henri Konan Bédié. Comme elles respirent du parfum de l'actualité !

-En 1990, vous êtes donc réélu président de l'Assemblée nationale, et, à la suite de la révision constitutionnelle du 6 novembre, vous devenez le successeur désigné d'Houphouët. Pourtant, le 7 novembre, à la surprise générale, le président nomme un Premier ministre.

La nomination d'un Premier ministre correspondait certainement à une attente de la population. Bien sûr, Houphouët avait toujours déclaré que le pouvoir ne se partageait pas, mais une telle position était défendable tant qu'il était en pleine possession de ses moyens physiques. Avec l'âge et la complexité croissante des problèmes, la pression qui s'exerçait sur lui était devenue trop forte.


-Aviez-vous été prévenu de son choix ?

Bien-sûr, et d'autres personnalités ivoiriennes aussi. ()


-Mais très vite le Premier ministre, Alassane Ouattara, apparaît comme votre rival politique ?

C'est le jeu des ambitions. En vérité, il se trouvait totalement en porte à faux avec sa conscience. Il savait qu'un contrat moral le liait à Houphouët. Le président, en le recevant pour lui définir la nature de sa mission, lui avait clairement laissé entendre que l'action qu'il serait amené à conduire excluait toute dimension politique. Le Premier ministre lui-même est venu, à la demande d'Houphouët, me le répéter à ma résidence, en présence d'un témoin, l'ambassadeur Ahoua N'guetta.


-Comment jugez-vous le plan de relance qu'il élabore peu après son entrée en fonctions ? (...)

La Côte d'Ivoire négociait depuis longtemps le rééchelonnement de sa dette et un plan d'ajustement structurel du temps du ministre des Finances, Moïse Koumoué Koffi. C'est alors qu'il a été fait appel à Alassane Ouattara. Je me rappelle encore sa profession de foi des cent jours , mais dans les faits le déficit n'a cessé de croître jusqu'en 1993, en dépit des sacrifices consentis par les Ivoiriens. Le fonds monétaire avait même arrêté la poursuite du programme. Et en accédant à la magistrature suprême, j'ai hérité d'un déficit intérieur de 1200 milliards de francs cfa. A cela il fallait ajouter la dette extérieure qui se montait, elle, à 18 milliards de dollars. Le déficit global s'élevait alors à 9 200 milliards de francs cfa et se présentait comme un obstacle insurmontable, d'autant plus que nous étions dans une conjoncture de récession qui avait considérablement réduit nos recettes fiscales. ()

-Pourtant, en octobre 1992, vous surprenez l'opinion en sermonnant le gouvernement.

Ce n'était pas mon intention. J'ai prononcé un discours à la fois pondéré et constructif pour aider le gouvernement. Il faut se replacer dans le contexte : nos négociations avec le fonds monétaire international étaient interrompues, car cette institution estimait que nous n'appliquions pas de façon satisfaisante le programme qui avait été décidé. Un des principaux points sur lesquels nous étions bloqués portait sur la diminution de la masse salariale. La première solution envisagée, la réduction des salaires, avait failli provoquer l'explosion à travers le pays. L'autre choix, la réduction des effectifs, était également douloureux, mais nous nous y sommes pliés plus tard. Pour réduire la masse salariale, et c'était l'objet de mon intervention, je proposais un emprunt forcé sur les salaires. Ce prélèvement n'était pas un impôt mais un avoir matérialisé sous forme de bons du Trésor, remboursables par l'Etat, une fois revenu à meilleure fortune. Vous voyez, je n'ai pas sermonné le gouvernement, je suis venu en renfort en faisant preuve d'imagination pour tenter de sortir de l'impasse. Et la Caisse française de coopération avait soutenu cette initiative.


-Que vous a dit le Premier ministre ?

Rien du tout, mais les réactions favorables à mon discours dans l'opinion ont irrité le gouvernement. Cela peut s'expliquer. Nous étions en régime de parti unique, donc sous le régime de la pensée unique, mais j'estimais que l'Assemblée nationale, dont j'étais le président, faisait partie de ces institutions qui devaient constituer une force de proposition au service de l'Etat et du gouvernement. Je n'ai pas été compris.


-Peut-être cet agacement était-il dû au fait qu'Alassane Ouattara se posait en rival ?

C'est ce que j'ai cru comprendre plus tard. Vous savez, j'ai toujours été étranger aux intrigues. Mais compte tenu peut-être de l'existence de cet article 11 de la constitution, certains se méfiaient de moi naturellement, ce qui était injuste. En effet, le parlement, avec beaucoup de civisme et de dignité, appuyait tous les efforts de restructuration que nous savions d'ailleurs parfois dictés par le FMI et la Banque mondiale. Cette méfiance s'est encore manifestée lorsque, au sujet des privatisations des sociétés d'Etat et participations publiques dans les entreprises, le Parlement a proposé une loi d'habilitation. Le refus fut même hostile. ()


-En 1993, alors que la disparition du président est imminente, on dit que vous vous appuyez sur le pays réel alors que votre rival tablait sur les médias, la police et l'armée.

C'est vrai, j'ai quitté le chevet du président deux jours avant son décès, parce que ma présence à Yamoussoukro pouvait être mal perçue. Je ne voulais pas donner aux gens le sentiment que j'attendais le dernier soupir d'Houphpuët. Lorsque nous avons été informés de son décès, le 7 décembre, jour de la fête nationale, nous avons organisé une prise d'armes et nous avons commencé la cérémonie par un salut au drapeau, puis je me suis retiré au palais présidentiel avec le Premier ministre et M. Philippe Yacé, président du conseil économique et social, et le grand chancelier Germain Coffi Gadeau. Et là, j'ai assisté au déclenchement des hostilités : Philippe Yacé a déclaré que le Premier ministre devait être celui qui se rendrait seul à Yamoussoukro pour s'incliner devant la dépouille mortelle. J'ai objecté qu'il était impensable, dans ma position et compte tenu des fonctions que j'exerçais, que je n'aille pas saluer la dépouille du président. J'ai donc décidé de m'y rendre, mais j'ignorais que le Premier ministre avait fait préparer l'avion présidentiel qui se tenait prêt à décoller pour l'emmener. Il ne m'avait pas invité à l'accompagner alors que constitutionnellement, depuis la mort d'Houphouët-Boigny, j'étais le nouveau chef d'Etat. Je me suis rendu à Yamoussoukro par la route et je ne suis revenu qu'à 18h. Entre-temps le Premier ministre, de retour à Abidjan, avait annoncé par les médias le décès du président et mis en place un comité d'organisation des obsèques, alors que ce n'était plus son rôle. Il avait cessé d'être Premier ministre à l'instant où le président expirait. ().


-Vous intervenez à la télévision le 7 décembre, et pourtant le Premier ministre ne présente sa démission que deux jours plus tard. Que s'est-il passé ?

Des intrigues. Il s'agitait et moi je l'attendais pour qu'il me présente sa démission. J'avais l'intention de lui confier l'expédition des affaires courantes jusqu'à la fin des obsèques du président Félix Houphouët-Boigny. Je le lui avais fais savoir dans la nuit du 7 décembre par des amis communs. Il n'a pas accepté mon offre de demeurer à son poste.


-Quand l'avez-vous rencontré ?

Il est venu me voir le surlendemain, le 9 décembre au soir, vêtu d'une tenue à manche courte qui a choqué les personnalités présentes. Au cours de cette entrevue, il m'a déclaré qu'il avait été trompé par les juristes du gouvernement qui estimaient qu'il devait attendre que le décès du président soit constaté par la cour suprême, et même la fin des obsèques, pour présenter sa démission. Son explication me paraissait difficile à admettre, mais comme j'avais toujours eu pour lui de l'amitié et manifesté de la protection, il a pu repartir libre. Je lui ai quand même fait savoir que j'aurais pu ordonner son arrestation pour avoir eu un tel comportement. Il m'a répondu : Je ne savais pas que c'était aussi grave que cela . J'ai préféré garder mon calme en pensant au pays meurtri par ce grand deuil. De toute façon, il était burkinabé par son père et il possédait toujours la nationalité du Burkina-Faso, il n'avait donc pas à se mêler de nos affaires de succession.


-Mais il avait pris la nationalité ivoirienne ?

Je ne saurais le dire, jusqu'à ce que la preuve en soit faite. Le président Houphouët lui avait accordé un passeport diplomatique quand il avait des difficultés avec les autorités du Burkina-Faso. Il servait alors à la Banque centrale commune aux sept Etats d'Afrique de l'Ouest. Un passeport diplomatique, vous savez, n'est pas une pièce d'état civil.


-Il avait tout de même été Premier ministre et à ce titre le chef du gouvernement.

Certes, mais sa mission était terminée. La charge de ministre, fût-ce celle de Premier ministre, n'a pas comme un mandat électif une durée fixée d'avance. A tout moment il peut être mis fin à cette fonction par le président de la République. Ce n'était pas la première de son histoire que le président Houphouët-Boigny faisait appel à des compétences techniques extérieures. Encore une fois, il n'existait pas la moindre ambiguïté là-dessus. Au demeurant, Alassane Ouattara était allé un jour voir le président Houphouët-Boigny, en présence d'un témoin, pour lui demander de le prévenir quelques jours à l'avance, au cas où il souhaiterait mettre fin à ses fonctions, de façon à avoir le temps de faire ses valises. Il ne semblait pas vouloir servir en Côte d'Ivoire après sa mission à la tête du gouvernement. Aussi, lorsque M. Camdessus, directeur général du FMI, m'a informé de son intention de l'appeler auprès de lui, je n'y ai vu aucun inconvénient. J'ai répondu : à condition qu'il ne s'occupe pas des dossiers de la Côte d'Ivoire, pour des raisons élémentaires de déontologie en vigueur dans cette institution. ()


-Selon certains observateurs et experts, la candidature à la présidence d'Alassane, en 1995, aurait menacé l'unité du pays, en raison d'un risque de fracture entre le Nord et le Sud, entre chrétiens et musulmans ?

Alassane Ouattara savait très bien que la mission qui lui avait été confiée exigeait qu'il ne se mêle pas des problèmes politiques, d'autant qu'il n'était pas un citoyen ivoirien. Le président le lui avait dit et me l'avait confié, ainsi qu'à de nombreuses personnalités ivoiriennes et étrangères.


-En quels termes ?

En termes très clairs et aussi par des faits précis. Peu après sa nomination, le président a demandé à Alassane Ouattara de se rendre dans les capitales voisines pour insister sur l'objectif purement économique de sa mission. La preuve que son action était temporaire, c'est que le président demandait de conserver son poste vacant à la tête de la Banque centrale. Pendant deux ans le poste fut maintenu ouvert et son occupant, Charles Banny n'agissait que comme intérimaire.


-En 1993, a-t-il vraiment existé un risque de conflit religieux ?

La réponse est non. Je répète que le président voulait qu'Alassane Ouattara s'occupe uniquement de l'économie. A cette fin, il devait s'appuyer sur moi et sur l'Assemblée nationale pour faire passer les mesures impopulaires de l'ajustement structurel. En revanche, je n'étais pas parfaitement informé des relations qu'il entretenait avec les milieux musulmans. Ce que je sais, c'est qu'un tract intitulé La charte du nord circulait pendant qu'il était au gouvernement. Le président s'en était du reste vivement indigné et avait même demandé que l'on traque les auteurs de ce manifeste. Lors de mon accession à la présidence de la République, les musulmans n'ont pas manifesté la moindre hostilité à mon encontre, et, en 1995, quand je suis devenu président élu, les régions musulmanes de la Côte d'Ivoire ont voté pour moi à plus de 95%. Par conséquent, je crois que cette donnée n'a pas pesé dans la balance. L'intrigue se situait ailleurs, plutôt au niveau des prises de position d'un certain groupe sur l'application de la Constitution.(...).


Extraits de Les chemins de ma vie,

page 137 à 150

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