lundi 12 juillet 2010 par Notre Voie

Deux faits majeurs et rarissimes sont-ils en train d'extraire de la crise ivoirienne la violence de ses convulsions? Comment ces deux faits, naguère insolites sous les tropiques, s'agencent et s'ordonnent-ils pour alimenter l'humilité démocratique en Côte d'Ivoire? Réflexion. Humblement, contre toute attente, le chef de l'Etat ivoirien s'est délibérément rendu au domicile des différents chefs de l'opposition, pour désamorcer la chienlit, précédemment annoncée comme l'apocalypse, après les événements sans précédent du 19 septembre 2002. Aussi, a-t-il su habilement préserver l'ordre public. On peut également s'enorgueillir de son autre attitude, pleine d'humilité démocratique. Recueillir l'avis de ses adversaires politiques en est une. En effet, comment ce personnage hors du commun, détenteur d'un pouvoir constitutionnel exorbitant, peut-il volontairement se rabaisser et solliciter une sorte de modus vivendi avec ses opposants, dans la recherche d'une date plus consensuelle, pour l'organisation de l'élection présidentielle? D'autre part, puisque rien n'obligeait les autres à le recevoir ou à accepter sa main tendue, pourquoi ne pas s'enthousiasmer devant cette autre modestie républicaine? De ces deux faits convergents et interactifs, transparaît incontestablement, le sentiment partagé de l'humilité démocratique. Celle-ci s'analyse en un dépassement réciproque de soi. C'est la maîtrise de son ego. C'est donc de cette contagion démocratique, synonyme de réciprocité dans le respect scrupuleux de la loi de la démocratie, qu'est née la présente humilité démocratique. Si gouverner, c'est prévoir et choisir, gouverner avec humilité démocratique se résume, pour le prince, en l'aptitude qu'il a d'apprécier au nom de l'intérêt général, sereinement et efficacement, la réalité politique et sociale des problèmes qui se posent à la nation tout entière, avec la conscience de ses limites, dans la conduite des affaires de l'Etat. C'est en fait rechercher conseil autour de lui, écouter avec patience et attention toutes les tendances et opinions, y compris celles de l'opposition, chaque fois qu'il est confronté à de graves problèmes de gouvernance, du fait qu'il a conscience que la vérité peut également surgir ailleurs que chez les siens. De ce point de vue, l'humilité démocratique rime avec le doute. Mais ce n'est pas célébrer l'inertie. C'est la capacité d'oser avec une certaine retenue et discernement. C'est la capacité d'anticiper en toute humilité. Ce qui est le propre des hommes intelligents. Je ne sais qu'une chose, c'est que je ne sais rien, dira Socrate. Ainsi, contrairement à gouverner, l'humilité renvoie au moins à deux sens contradictoires. -Au sens de la vertu religieuse, l'humilité véhicule a priori l'idée de soumission craintive. C'est ainsi que, pour être ou affirmer son soi, la vertu chrétienne oblige le croyant à faire preuve de faiblesse et d'indignité, sans pour autant franchir les limites de l'honorabilité. En témoigne la confession religieuse. Dans sa dévotion, le dévot manifeste un zèle extrême dans sa soumission à son dieu. A la limite, il accepte d'essuyer l'humiliation, l'affront. Sans sourciller, on assume son infériorité. On intériorise son indignité. Ainsi les derniers seront les premiers, et les premiers seront les derniers, selon l'Evangile de Saint-Mathieu. Au sens religieux, sans rechigner, l'humilité de l'homme - croyant réprime en lui tout mouvement d'orgueil. Selon Flaubert: Orgueil de l'homme, humilie-toi. De ce fait, l'humilité religieuse s'oppose au vulgaire orgueil ou manifestation de celui qui souffre d'une estime excessive de soi. Ce narcissisme ou débordement non contenu de son ego fait de lui un présomptueux, un prétentieux, un vaniteux. On est orgueilleusement impétueux et irrévérencieux. - A l'inverse, dans sa version républicaine, l'humilité démocratique exprime une attitude de grande déférence et non de servile soumission. Animée par la foi républicaine, elle ne consiste pas à se dévaloriser ou à cultiver le mépris de soi. Ce n'est pas un vil acte de soumission et de démission dans tout ce que l'on entreprend. C'est un acte de grandeur. Car l'humilité se nourrit de tolérance et de compréhension. Le droit à la différence, auquel est associée l'intelligence, en fait un référent de sagesse. Elle évite de succomber à la tentation de s'enivrer d'orgueil, d'enfler de vanité, d'arrogance et de mépris. En fait, elle pondère notre insolence. Elle structure notre subconscient, au point de nous purifier de l'intérieur. Elle redresse nos torts et repositionne positivement notre ego. Pour André Gide, si l'humilité est un renoncement à l'orgueil, l'humiliation au contraire amène au renforcement de l'orgueil. L'humiliation additionne les rancoeurs et frustrations. Comment établir l'équilibre utilitaire entre l'orgueil et l'humiliation et préserver l'humilité ? Au fond, si l'humilité est une façon de renoncer à l'orgueil étouffant comment peut-on se dèbarrasser de cet orgueil inique et aveugle qui caractérise les grands hommes?, d'après Jean Paul Sartre. Etant donné que l'humilité est la manifestation de l'intelligence, le prince qui se nourrit d'elle est forcément intelligent, perfectible et sage. C'est ainsi que, dans la prise des décisions, au lieu de recourir systématiquement à la dictature ou tyrannie de la majorité arithmétique, il lui substitue volontairement la règle du consensus ou rapprochement des extrêmes. C'est la manière élégante de prendre en compte l'avis de la minorité. C'est le triomphe de la culture démocratique, lorsque l'on met l'accent sur la positivité du couple pouvoir-contestation. C'est dire qu'en démocratie, toute solution politique est nécessairement fondée sur la négociation et la conciliation. Là réside sa force. On a ni vainqueur ni vaincu. Et, pour le professeur Marcel Prélot, lorsque l'action de l'opposition politique s'analyse en une expression du civisme, on doit la considérer comme un service public. Définie comme un véritable service public, l'opposition doit contribuer à valoriser la confrontation par la moralisation de ses critiques. Dès lors, l'idéal d'alternance ou rotation parfaite au pouvoir temporel cesse d'être une man?uvre insidieuse. Désormais, la minorité ne peut contraindre la majorité à la violence. Assujettir la majorité, c'est renoncer à la démocratie. Gouverner avec humilité démocratique, c'est en fait insérer la contagion démocratique au c?ur de la gouvernance démocratique. Pr. Ouraga Obou Professeur de Droit constitutionnel et de Science politique.

(Source: Robert DAHL, De la démocratie, Nouveaux horizons, Paris, 2001 ; Marcel PRELaT, Dalloz, Paris, 1973 ; Sylvie GIULJ, Le statut de l'opposition, La documentation française, n° 458545886, Paris, 1980)

N.B. : Le titre est de la rédaction

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