lundi 19 juillet 2010 par L'expression

Des unités des armées de treize pays africains ont paradé sur les Champs Elysées le 14 juillet. L'acte de reconnaissance de Paris aux africains a été complété par un alignement des traitements des Tirailleurs sénégalais et autres suaves algériens sur la pension des anciens combattants français. Une magnanimité à moindre frais. Le gros de la troupe ayant passé l'arme de côté, il ne reste que quelques survivants dont l'âge ne permet pas de bénéficier encore longtemps de la réparation tardive d'une injustice inexplicable. Sur les quatorze chefs d'Etat invités par la France, un seul a refusé de se rendre à Paris : Laurent Gbagbo. Le chef de l'Etat ivoirien s'est voulu le champion du non à la France. Pas question d'aller célébrer nos cinquante ans d'indépendance sur les Champs Elysées. C'est une question d'honneur et de souveraineté. Un déplacement à cette occasion, à l'invitation de Sarkozy, serait une prime à la Françafrique. Ce cordon ombilical incestueux qui lie l'ancienne puissance coloniale aux pays africains et qui symbolise encore la vassalisation de ces derniers. Les commentaires des proches du numéro un ivoirien n'ont pas manqué de piquant. D'ailleurs, la polémique sur la présence des troupes, et celle des chefs d'Etat de treize pays africains accourus à la convocation-invitation de Paris ne laisse pas indifférents la classe politique et le monde intellectuel noirs d'ici comme du reste du monde. Il y a, il faut bien le noter, quelque chose de choquant à voir les présidents africains se précipiter dès que la France claque des doigts. Dans une situation de coopération normale et de respect mutuel, le chef de l'Etat français aurait mieux fait de venir rendre hommage aux Africains, chez eux, pendant cette année de célébration des Cinquantenaires. Sarkozy aurait ainsi pu donner une preuve de la considération que son pays porte à ces pays ; il aurait là, de fort belle manière, l'opportunité de reconnaitre le sacrifice des Africains pour la libération de son pays. En cinquante ans d'une relation tumultueuse et suspecte à bien des égards, cette démarche du président français allait être moins désagréable que le spectacle offert à la conscience des Africains ce 14 juillet sur les Champs Elysées. Cependant, faut-il dresser des lauriers à ceux qui ont joué les gardiens de la souveraineté, et qui veulent se recouvrir du manteau de la dignité africaine par une absence à un défilé à Paris ? Les réalités ne sont pas si simples. Laurent Gbagbo, lui qui s'essaie à ce jeu, vit une relation de dépit amoureux avec la France plus qu'autre chose. La volonté de rester dans le giron français et de bénéficier des grâces des réseaux de cette fameuse françafrique hante le numéro un ivoirien. Et Gbagbo n'a jamais ménagé ses efforts à cet effet. C'est lui qui a décidé de céder au groupe français Bolloré le portique aux conteneurs du Port autonome d'Abidjan. Une transaction contre l'avis du ministre des Infrastructures économiques et celui des Transports d'alors, et contre, fait notable, l'avis de la Banque mondiale. Les protestations du président de la Chambre de commerce et d'industrie de la Côte d'Ivoire Jean Louis Billon n'y ont rien changé. L'opération était tout, sauf commerciale. Bolloré, c'est une porte d'entrée de première classe vers Sarkozy ; en plus, un gage important donné à la France. Dans la foulée des offrandes pour obtenir l'amour tutélaire de Paris, les contrats de concession de l'eau et de l'électricité ont été renouvelés comme lettre à la poste au profit de Bouygues, un autre mastodonte hexagonal. Les Ivoiriens se souviennent par ailleurs de l'irruption du porte-parole de Laurent Gbagbo au Journal télévisé de 20h, il y a quelques mois. Gervais Coulibaly s'est invité sur le plateau, juste pour dire à la population que son patron a reçu un appel téléphonique du président français. Aux plans économique comme affectif, aux plans diplomatique comme militaire, Gbagbo ne fait pas mieux que les autres chefs d'Etat du continent africain à l'égard de l'ex-métropole. Sur ce chapitre, il est dans les bottes de son illustre prédécesseur Houphouët-Boigny. Des godillots qu'il chausse plutôt mal. Gbagbo n'a-t-il pas demandé l'intervention militaire de Paris lors des moments chauds de la rébellion dans le seul but de sauver son fauteuil menacé ?
Les Africains doivent dire non à la France et à toutes les anciennes puissances coloniales. Mais, un non profond et intelligent ! Un non, par la prise en charge des besoins essentiels des populations. Un non, par la formation des cadres et la mise en valeur effective des potentialités énormes du sol et du sous-sol dans l'intérêt des populations. Un non, par le respect des libertés et la promotion du mérite. Le non folklorique à but de propagande ne signifie pas grand-chose. Si un référendum est organisé aujourd'hui dans les Etats africains pour un rattachement aux ex-métropoles, le résultat sera un ras de marée pour le oui. Preuve que les cinquante ans d'indépendance n'ont pas amélioré la vie des populations. A méditer.
D. Al Seni

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