mercredi 28 juillet 2010 par Le nouveau navire

L'école ivoirienne a perdu son lustre d'antan. Il suffit simplement de porter un regard sur les résultats enregistrés au cours de ces dix dernières années pour s'en apercevoir. ''Le Nouveau Navire'', dans le souci d'apporter sa contribution à l'amélioration de cette situation est allé à la rencontre du professeur Allassane Salif N'diaye, ancien ministre de l'Enseignement supérieur de Côte d'Ivoire. Dans cette interview qu'il a bien voulu nous accorder, le Pr ne passe pas par quatre chemins pour dépeindre cette situation de notre école.


Bonjour M. le ministre, vous avez pendant de nombreuses années présidé aux destinées de l'école ivoirienne et ce, dans plusieurs gouvernements. Aujourd'hui quel regard portez-vous cette sur école ?

Merci de m'accorder cette tribune pour me prononcer sur l'école ivoirienne, notre école. Ceci dit, c'est un enseignant triste qui voit cette école aller en déliquescence. Cela résulte de plusieurs facteurs. Le premier facteur, c'est d'abord l'environnement dans lequel l'école en Côte d'Ivoire a été plongée depuis les années 1990, jusqu'à ce jour. Car en effet, plutôt que de former, d'enseigner et d'encadrer les étudiants, on les a instrumentalisés, cela depuis l'école primaire jusqu'à l'université. De quoi s'agissait-il ? Un certain nombre de personnes, et c'était leur droit, espéraient en créant des partis politiques, accéder au pouvoir. Ceux-ci ont trouvé très facile de se faire des militants au sein de ceux-là mêmes qu'ils avaient le devoir d'éduquer et de former. Cela nous a donné la perte de tous repères au niveau de l'éducation nationale, l'irrespect de l'enseignant, la banalisation du maître donc le goût de l'effort était pour les enfants une vue de l'esprit et de surcroît c'est le plus gros risque que ceux-là ont créé c'est-à-dire faire croire aux enfants qu'ils fassent plus de politiques que d'apprendre leurs cours et travailler avec acharnement pour réussir. Aujourd'hui, c'est un crime au niveau de l'école de constater que c'est l'argent qui dicte la réussite .Ceux qui en ont, ont des parchemins vermoulus c'est-à-dire des parchemins qui n'ont aucune substance, et ceux qui n'ont pas d'argent, sont les exclus de l'école. Et la masse des enfants qui ont le droit d'être aujourd'hui à l'école est plus importante que ceux qui sont dans nos établissements d'enseignement. Figurez-vous qu'aujourd'hui, l'université de Cocody comporte environ 60000 à 65000 étudiants. Et ce sont les autorités même de l'université qui ont dit que parmi ceux-là, 45000 sont des fictifs. Je veux dire qu'aujourd'hui, l'on a cassé en l'élève le goût de l'effort, le goût du travail et le maître étant devenu le camarade de l'élève, on pense que entre camarades, beaucoup de choses peuvent se régler notamment les accusations de titre par des fraudes au niveau des examens. C'est vraiment le regard triste d'un ancien responsable de l'école qui parle, mais la question se pose : faut il désespérer ? Je pense que non .Je pense qu'il faudrait remettre tout à plat. Mais cela va nous demander au bas mot entre 50 et 75 ans pour que l'école de Côte d'Ivoire retrouve le niveau qui était le sien dès les années 80-85. Cela demande que des responsables nouveaux de cette école là ne tergiversent pas et qu'ils soient rigoureux, fermes parce que pour reconstruire la maison, il faut de nouvelles briques. Et ces briques là, ce sont les enseignants, donc dans un premier temps et par pallier, il faudrait reconvertir et sortir les enseignants de la prison où ils sont enfermés, parce que l'enseignant ne peut plus réprimander, ni dire à un étudiant vous faites mal, corrigez-vous. Parce qu'il a toute la pression sur lui. Il faudrait également une forte éducation au niveau des parents d'élèves, il faut que ceux-là essayent de suivre leurs enfants qui sont à l'école. Au total, il faut revenir à la politique ancienne de l'école c'est-à-dire que le maître est le maître, c'est lui qui décide au niveau de l'école c'est lui qui fixe les programmes, c'est lui qui les enseigne sur le cours de l'année sans qu'il y ait trop de grèves, trop de casses. Je suis franchement très triste quand je regarde l'école de nos jours.


Monsieur le ministre, nous constatons de nos jours que les écoles poussent comme des champignons partout en Côte d'Ivoire. Des écoles qui ne respectent pas les normes de construction et d'enseignement. Mais au delà de cet aspect, avec l'avènement de la crise sociopolitique, nous assistons à la naissance d'un autre groupe d'enseignants dit volontaires .Alors qu'est ce que cela signifie pour vous?

La base de ce que vous venez de dépeindre, c'est l'argent. Avoir de l'argent vite et avoir beaucoup d'argent .C'est également un problème de gouvernance ,parce que je ne suis pas certain que même le ministre de l'Education nationale ait aujourd'hui dans la tête le nombre d'établissements privés qui ont germé comme des champignons, et lorsqu'on cherche à savoir qui sont les propriétaires de ces établissements "pirates", fort est à parier que la plupart appartiennent à ceux qui nous gouvernent aujourd'hui , et qui malheureusement sont des enseignants. Un établissement privé qui est agréé donc qui est connu bénéficie du soutien financier de l'Etat, mais en même temps le propriétaire de cet établissement reçoit de l'argent des parents d'élèves qui y sont affectés. Recevant de l'argent à la limite sans se fatiguer, et bien ce dernier ne peut pas signaler qu'il peut y avoir des déperditions dans son école, des enfants qui ne travaillent pas, théoriquement doivent être renvoyés. Mais je suis persuadé qu'en ce mois de juillet quelques uns de ces établissements fonctionnent sur la base du gain pour faire passer les enfants en classe supérieure. La deuxième chose que je veux dire c'est que tout est politisé .Dans tous les pays sérieux, l'école est un sanctuaire, l'école n'est pas violée par des éléments exogènes qui viennent lui imprimer ce que doit être son image. Or aujourd'hui, Dieu seul sait que nos universités sont devenues pratiquement de véritables marchés. Dans nos campus, il y a plus de maquis et les choses de basses activités s'y sont concentrées. Même aux abords des collèges aujourd'hui, la liberté est donnée à des commerçants véreux d'aller vendre ce qui fait fortune, c'est-à-dire l'alcool, la drogue, la prostitution et j'en passe. En clair, le tableau de notre école n'est pas du tout reluisant, mais hélas c'est ce tableau qui existe. Pour que nous arrivions à l'état où était l'école il y a 50 ans, il faut d'abord commencer à former des maîtres. Aujourd'hui, tous les enseignants même à l'université, pour être utiles, devraient connaître un recyclage puisqu'ils ont perdu leurs repères. Former d'abord les enseignants en partant de la base : primaire, secondaire et supérieur et tout ceci concomitamment. Mais la priorité doit être mise sur le primaire, pendant que l'effort est entrepris au niveau du secondaire et qu'au niveau du supérieur on sent qu'il y a un début de renaissance, de restauration de l'école. Cela prendra beaucoup de temps mais comme la demande dans l'éducation est forte, il faudrait que l'effort primordial de l'Etat du point de vue financement soit fait en direction de cette école ivoirienne.


Monsieur le ministre, les résultats qui découlent des concours sont catastrophiques, avez-vous un remède ?

C'est tout simple, le remède c'est la formation, c'est l'encadrement, c'est le sérieux qu'on met à former les enfants .Les résultats ne font que refléter la qualité de l'enseignement qu'ils ont reçu .Comme la formation est mauvaise alors hélas, on connaît les taux de réussite vers le bas, il n'est pas normal que dans un pays comme le nôtre, on nous dise qu'on a 50% de réussite. On doit viser vers les 80% car notre philosophie doit être l'école pour réussir. Cela demande peut-être des efforts supplémentaires aux enseignants, cela demande des moyens colossaux pour l'école (environnement de travail, salaires, mode de vie des enseignants,).C'est vraiment tout un chantier nouveau qui doit s'ouvrir à la Côte d'Ivoire après cette crise en ce qui concerne l'école.

Interview réalisée par Edmond Kouadio

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