jeudi 29 juillet 2010 par Le Temps

Après un long silence, le Dr Hyacinthe Leroux parle des difficultés et des progrès de la Recherche scientifique ivoirienne, de l'agriculture, de la crise du riz et de la visite d'Etat du Président Laurent Gbagbo dans le Grand Ouest. Il donne les raisons pour lesquelles il invite les Ivoiriens à voter l'actuel chef de l'Etat à la future présidentielle.


Comment peut-on présenter Hyacinthe Leroux pour ceux qui prennent l'histoire de la Côte d'Ivoire en cours ?

Je suis Leroux Hyacinthe, Ingénieur agronome, diplômé de l'Ensa de Montpellier, Pédologue Orstom devenu Institut de recherches en développement (Ird), Docteur ès Sciences naturelles de l'Université d'Abidjan. J'ai fait valoir mes droits à la retraite en décembre 1994. Et pour m'éviter une sclérose intellectuelle, je m'exerce à l'écriture je dis bien, je m'exerce ! Je suis membre du Congrès national de la résistance et de la démocratie (Cnrd), collaborateur du président Bernard Dadié.


De quel parti politique est M. Leroux Hyacinthe aujourd'hui ?
Depuis trois ans, je suis membre du Front populaire ivoirien.


Nous allons parler sciences. Quelle est la place de la recherche agronomique dans le concept global de la recherche scientifique ?

Nous allons essayer de répondre à votre préoccupation. J'espère me faire comprendre : La recherche scientifique est un concept, comme vous le dites bien, général. Il peut être défini comme étant la connaissance exacte, universelle et vérifiable exprimée par des lois, qu'elles soient obtenues par hypothèses et déductions, par observations et inductions ou par un aller-retour entre les deux. C'est l'idée généralement admise que Lenoble exprime autrement, lorsqu'il écrit et nous le citons : Tout ce qui est du monde phénoménal est du domaine de la science. La science organise les apparences par un système de lois. L'Agronomie est une science. La recherche agronomique est un maillon de l'ensemble Recherche scientifique. Elle se fixe pour but, d'analyser et de déduire des lois des phénomènes qui régissent le monde des productions agricoles. Elle (la recherche agronomique) obéit aux règles d'observation, d'analyse et d'interprétation de rigueur, dans toutes activités scientifiques. C'est, comme vous le voyez, un maillon de la recherche scientifique appliquée aux choses relevant, ou par extension dépendant, du monde agricole : la recherche zootechnique (bovins, ovins), ichtyologique (poissons, crustacées), par exemple. Il n'y a donc pas de limite tranchée entre recherche scientifique, concept général, et recherche agronomique, démarche spécifique.


Cinquante années après la proclamation de l'indépendance de la Côte d'Ivoire, que peut-on dire de notre recherche scientifique ?

La volonté politique de l'Etat est de considérer la recherche scientifique comme un outil essentiel pour le développement (économique, social et culturel). Elle doit le précéder et l'accompagner. Pour mémoire, il est bon de rappeler succinctement, qu'avant la proclamation de l'indépendance le 7 août 1960, la colonie de Côte d'Ivoire a disposé d'une capacité scientifique, dans le domaine agricole, non négligeable. Celle-ci a été matérialisée par l'existence de plusieurs instituts spécialisés fixant leurs activités sur des spéculations agricoles précises. Exemple : le café et les plantes stimulantes, le cacao et autres sterculiacées (cola), le palmier à huile et autres oléagineux, le coton et autres textiles, etc. A cet ensemble de structures de recherches spécialisées s'est ajouté l'Office de recherches scientifiques et techniques Outre-Mer (Orstom) pour des recherches tropicales fondamentales et/ou appliquées sur l'homme et la biosphère. Recherches qui, pour certaines, n'ont pas de rapport direct avec le développement du pays. Après 1960, l'état des lieux n'a connu un changement significatif qu'une quinzaine d'années plus tard. Le sursaut va se manifester de manière concrète par la volonté politique de l'Etat, dans les années 1970, de faire de la science utile qui doit précéder et accompagner sa politique de développement. C'est pourquoi, les instituts français, les seuls d'ailleurs, qui ont précédé la naissance de l'Etat souverain de Côte d'Ivoire, ont continué leurs activités en prenant en compte des programmes précis demandés par l'Etat et financés par le budget local.


Comment sont nées les initiatives ivoiriennes dans ce domaine ?

Au-delà de cette antériorité, plusieurs instituts de recherches fondamentales, de créations ivoiriennes, rattachés à l'Université et autres structures de recherches appliquées restructurées verront le jour. Ces instituts, il faut le souligner, ne font pas la recherche pour la richesse. Leurs différents travaux ont permis à la Côte d'Ivoire de réaliser de nombreux projets pour le bien-être de la population : création des blocs agro-industriels de palmier à huile, d'hévéa, d'ananas, de bananes etc. D'autres travaux passés ont été réalisés avec succès, pour : lutter contre le swallowshot ou pouce gonflé du cacaoyer, créer et mettre au point une nouvelle variété de café : l'Arabusta (arabica x robusta). D'importantes recherches ont été faites pour la cartographie des sols de Côte d'ivoire au 1/500000. C'est une réalisation de l'Orstom à la demande du gouvernement en 1963. Sur la base des données de cette cartographie, décideurs et bailleurs de fonds ont pu juger de la fiabilité et de la faisabilité des investissements engagés dans les plans palmier, hévéa, etc. Au plan structurel, le processus d'absorption des instituts français d'héritage, des défunts Idessa (Institut des Savanes) et Idefor (Institut des Forêts) a permis la naissance du Centre national de la recherche agronomique. Pour l'avenir, il faut créer, pour l'enregistrement et la gestion des programmes des structures de recherches scientifiques établis en Côte d'ivoire, la Délégation nationale de la recherche scientifique (Denares). Cette institution, pour la souplesse et l'efficacité de son fonctionnement, doit jouir d'une autonomie financière et avoir un conseil d'administration.


Tout le monde s'accorde à dire que la recherche scientifique est chère ; alors comment la financer ?

La recherche coûte cher. C'est vrai. Le mal est nécessaire, si l'on veut être indépendant. La question qui se pose, naturellement, est de savoir si l'on veut sa recherche qui libère ou s'obstiner à acheter des brevets d'inventions, si l'on peut. Le travail est de longue haleine, mais il nous faut bâtir notre recherche scientifique. Nous le pouvons, à une période où le transfert des technologies peut se faire par des voies multiformes, grâce aux nouvelles technologies de l'information. Nous ne connaissons pas de règles en matière de financement de la recherche.


Une idée de ce qui se fait ailleurs où la recherche connaît un épanouissement ?

Pourquoi pas ? Mais chaque pays, nous semble-t-il, a ses méthodes en fonction de ses possibilités financières. Nous pourrions, à titre indicatif, proposer aux utilisateurs des produits de la recherche, que nous sommes tous, deux sources de financement. On a les ressources endogènes. Il s'agit de la contribution de l'Etat à hauteur de 1% du Pib et non du Pnb ; d'un prélèvement de 2 à 3% sur les recettes de la vente des produits agricoles, forestiers et animaux ou à l'importation et à l'exportation et du secteur privé industriel pouvant contribuer à hauteur de 5% prélevés sur ses bénéfices (pour un effort de développement de la Recherche scientifique). La deuxième source concerne les ressources exogènes. Elles ont trait aux ventes des produits de la recherche, des brevets d'invention et aux apports de pays ou d'organisations qui participent à des programmes spécifiques d'accord parties avec la Denares.


Alors, le chercheur que vous êtes, serait-il pessimiste ou optimiste pour le futur ?

Nous sommes très optimistes. Notre pays, malgré tout, connaît un progrès certain dans la formation de ses chercheurs et techniciens, ici ou ailleurs. C'est une satisfaction pour le présent et le futur. La dynamique doit être soutenue, car l'activité scientifique est indispensable au progrès de tout pays. Henri Baissas, ancien commissaire à l'Energie atomique a écrit : chaque pays se trouve devant un dilemme : disposer d'une recherche valable ou perdre son indépendance ! Economiser sur la recherche et acheter le progrès économique sous forme moderne, par les pays industriels. La mise en garde juste, pertinente, interpelle chacun de nous.


Il y a quelques mois, le Président de la République a effectué une visite d'Etat dans les régions des Montagnes, du Bafing et du Denguélé. Qu'en pensez-vous, malgré le recul du temps ?

Que du bien hier, encore du bien aujourd'hui, pour avoir dégagé de son chemin ce qui, au niveau des régions, a été considérée comme une situation mythique, un ballon gonflé, qui n'est plus. Les populations sont rassurées, en apparence, du recul de la sale guerre. Elles n'oublieront jamais cette marque d'attention courageuse, de la part du chef de l'Etat.


Que vous a inspiré, en tant que fils de la région, la joie délirante des populations, tout au long de la visite, dans ces régions ?

Merci, pour l'occasion que vous m'offrez, de pouvoir réitérer mes condoléances attristées à la famille de feu le ministre Docteur Bra Kanon Denis, Ingénieur agronome (Ensa Montpellier) mon parrain d'école, à qui je voue reconnaissance ad vitam aeternam. Il a été l'une des figures de proue, du développement agricole de la Côte d'Ivoire. Le ministre Bra Kanon Denis est mort en service commandé, à Man. La consternation a été très grande pour la Côte d'Ivoire. Mais, comme l'on dit, son âme a assuré le succès de la visite du Président de la République, grâce à l'efficacité de son rôle d'éclaireur, à Biankouma, notamment. Ceci étant, la joie des populations de Man, Touba et Odienné est, on ne peut plus légitime. Ce n'est pas tous les jours, qu'un chef d'Etat visite ces régions. De plus, elles n'ont jamais pensé, loin s'en faut, qu'elles pourraient être dans le brasier de cette sale guerre injuste, à tous égards, que la raison est en train de repousser lentement mais sûrement. Nonobstant cette euphorie, les populations ont tiré la leçon selon laquelle : tout est possible. Il faut se préparer à chaque instant. Le réchauffement n'est pas seulement climatique, il est aussi de conscience, désormais.


Quel sens, le Président de la République a-t-il voulu donner à sa visite dans ces régions ?

Permettez-moi de commencer mon propos, sur ce point, par vous livrer cet adage bien connu chez nous, selon lequel : quand la tête est là, le genou ne porte pas le chapeau. Nous nous comprenons.


Mais j'avoue que je ne vous suis pas vraiment.

Dans ce cas, disons que le chef de l'Etat a décidé de visiter son peuple désemparé, meurtri par la guerre organisée par la France contre la Côte d'Ivoire, pour lui manifester sa compassion et exprimer sa sympathie, dans sa détresse.


A votre avis, les doléances des populations prennent-elles en compte l'ensemble des préoccupations de ces régions ?

En principe, à travers les livres-blancs préparés par les populations, avant la visite d'Etat du président de la République, tous leurs désidérata auraient été exprimés. Néanmoins, ce que l'on a le moins entendu, à travers les multiples discours, c'est l'expression du souci de la formation de l'élite. Nous osons croire que c'est un oubli ! Aussi, nous nous faisons l'avocat du futur pour dire que, de la vaste région des Montagnes au Denguélé en passant par le Bafing, demeure sans structure d'enseignement universitaire ! Nous proposons, alors modestement, les créations : d'une Faculté de géologie et des mines, d'un Institut supérieur de formation touristique, d'un Lycée agricole mixte et la rénovation du Lycée professionnel d'Odienné. Il vaut, pour mémoire, de comprendre par le terme mine : un gisement souterrain, d'où l'on extrait des substances métalliques (grosso modo) : substance native : l'or ; substances métalliques : divers oxydes de fer, de nickel, de plomb, d'aluminium (bauxite) etc., d'autres alliages naturels. Les charbonnages. Le pétrole et ses dérivés sont des mines particulières pour lesquelles il faut un établissement de formation supérieur, pour s'imprégner des théories de détection et d'exploitation de cette manne, que possède aussi notre pays.


Le soja et l'anacarde ont semblé être des cultures de rente ayant fait l'objet d'une demande de soutien par le chef de l'Etat. Qu'en pensez-vous ?

Il y a un temps pour chaque chose ! Les cultures de rentes destinées à l'exportation, y compris le bois, continuent de se comporter en piliers de l'économie ivoirienne. Mais, n'oublions pas qu'une économie prospère, ne peut être bâtie que par une population bien portante, nombreuse, qui ne meurt pas de faim, et une armée forte. C'est pourquoi, nous semble-t-il, tout en n'écartant pas les v?ux exprimés par les habitants de ces régions, le chef de l'Etat a insisté sur la nécessité de développer les cultures vivrières, motrices de la dynamique des marchés locaux et bases de leurs indispensables alimentations. D'une manière générale, soit dit en passant, un effort particulier et soutenu doit être fait pour la recherche sur les cultures vivrières (féculents, protéagineux, légumes). Oui, pour la culture du soja, qui a de bonnes perspectives pour l'élevage (bovins, ovins, aviculture) et pour l'alimentation humaine, par le développement et l'amélioration des techniques locales de fabrication des mets à base de soja ou par l'agro-industrie alimentaire (biscuiteries, aliments diététiques, bouillies d'enfants, etc.) Pour l'instant, son avenir sur le marché mondial plombé par les Usa, l'Europe, le Brésil, etc., est incertain. Nous ne pouvons tenir la concurrence, faute de moyens de production. Il vaut mieux éviter les erreurs du passé accusées sur la production caféière robusta, en raison de la complexité de sa commercialisation fondée sur un système de quota.


Que faut-il faire ?

Concentrer ses efforts sur le développement de la culture de l'anacardier est utile. La transformation de la noix de cajou in situ, apporterait une valeur ajoutée à la culture. La noix de cajou est une denrée rare qui intègrerait aisément les habitudes alimentaires locales, au moins ! S'il y a une option à prendre, c'est celle de l'appui à la culture de l'anacardier. Les conditions climatiques, surtout au Nord, lui sont favorables (autant qu'à la pomme de terre à Touba et à Odienné, produit dont la forte demande oblige à son importation, alors qu'elle peut être produite dans ces régions, comme à Sikasso au Mali). Pour nous résumer, il convient, pour les Régions du Bafing et du Denguélé de conseiller, par ordre d'importance : le riz, la pomme de terre, la patate douce - l'anacarde et, par prudence le soja. Dans les montagnes ? Le riz !


En tant qu'Ingénieur agronome, comment expliquez-vous la crise du riz qu'a connue la Côte d'Ivoire ?

La crise du riz, si je dois vous en parler, je risque d'avoir des ennemis. Parce qu'il y a trop de non- dit. Il n'y a aucune raison pour que la culture du riz ne soit pas développée. Parce que nous avons et les conditions climatiques et tout ce qu'il faut, pour que la riziculture soit développée en Côte d'Ivoire. On trouve le besoin d'importer du riz, alors qu'il y a une vingtaine d'années, l'on nous a parlé du livre vert et la Banque mondiale finance. On refuse que notre agriculture soit subventionnée. En 1970, la Côte d'Ivoire n'importait que 20 à 30 mille tonnes. Puis il y a eu une flambée, qui est partie de 100 à 200 mille voire plus. C'est vrai que dans les pays producteurs du riz, nous ne consommons que ce que nous produisons. Pourquoi est-ce que cela s'est passé ainsi en 1970. Cela c'est passé ainsi, parce que nous nous sommes amusés à subventionner la culture du riz. Chaque fonctionnaire avait son lopin de terre dont il s'occupait chaque week-end. La production s'en est trouvée accrue et l'importation a baissé. Cela ne faisait pas l'affaire des hommes d'affaires. Jusqu'au jour où l'expérience nous montrera que nous devons changer de fusil d'épaule.


L'annonce de la création des Autorités de développement a été faite à Man. Elle a été suivie, très rapidement d'effet. C'est dire l'importance et l'urgence de ces structures. Quels intérêts ?

C'est un acte de gouvernement, bien pensé. Comme tel, il faut le respecter.


Si vous étiez au stade Léon Robert de Man, plein à craquer, que diriez-vous aux populations qui s'apprêtent à voter ?

Je leur dirais de voter le Président Laurent Gbagbo, sans hésiter. Il a le courage d'un chef. Il a la générosité d'un père, le programme de gouvernement d'un visionnaire et une priorité : la paix. Et lorsque nous parlons de paix, ces populations, à qui il a fait déjà l'honneur de rendre visite, savent de quoi nous parlons.

Interview réalisée par Germain Séhoué
gs05895444@yahoo.fr

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