mardi 17 août 2010 par Le Patriote

Depuis le démarrage de la phase du contentieux sur la liste électorale provisoire, l'on assiste de plus en plus, à une montée de tension. Cela, du fait que certains Ivoiriens, partisans du parti au pouvoir, demandent la radiation d'autres Ivoiriens, sous le prétexte que ceux-ci ne seraient pas des nationaux. Afin d'avoir des éclaircissement sur cette affaire qui relève strictement du Droit, nous avons approché le président de la Ligue Ivoirienne des Droits de l'Homme (LIDHO), Dr André Kamaté. Entretien.
Le Patriote: De plus en plus, l'on assiste à une montée de tension autour de la liste électorale. Certains Ivoiriens demandent la radiation d'autres Ivoiriens, sous le prétexte que ceux-ci ne seraient pas des nationaux. En tant que président d'organisation de Droit de l'Homme, quel commentaire avez-vous à faire ?
Dr. André Kamaté : Je pense que pour des questions de radiation, il faut analyser les choses avec sang-froid. Le mode opératoire a prévu qu'il y ait des radiations. Cependant, le même mode opératoire prévoit également que ceux qui demandent la radiation apportent les preuves. Parce qu'il ne s'agit pas de demander la radiation d'untel ou d'un autre, sur la simple base de son patronyme ou de son faciès. Il faut bien entendu avoir les preuves qu'untel ne mérite pas d'être sur la liste électorale.

LP: Mais il se trouve que c'est à cette situation de dénonciation à base du patronyme que l'on assiste aujourd'hui.
Dr AK : Malheureusement ! Mais il faut comprendre aussi que le dernier mot, après la CEI, revient au juge. Il faut que celui-ci se réfère aux textes. Si un dénonciateur n'apporte pas de preuve, on parle là d'une dénonciation calomnieuse et le juge n'a pas à y faire face.

LP: Pour une dénonciation calomnieuse, quelles peuvent être les sanctions?
Dr AK: Je n'ai pas en mémoire la durée des peines prévues par la loi. Mais ce qui est sûr, c'est que le mode opératoire prévoit des sanctions contre ceux qui dénoncent de façon calomnieuse leurs concitoyens. Ils doivent subir la rigueur de la loi, tout comme quelqu'un qui est reconnu comme ayant fraudé sur la liste électorale. Ils doivent être sanctionnés. Il y a donc des sanctions pénales qui sont prévues, aussi bien pour ceux qui se sont inscrits frauduleusement sur la liste, que pour ceux qui dénoncent de façon calomnieuse ou fantaisiste.

LP: Selon vous, qu'est-ce qui peut expliquer de tels agissements de certaines Ivoiriens?
Dr. AK: Je pense que tout cela est dû au fait que les gens n'ont pas encore compris que la nationalité est tout simplement du domaine du droit. La nationalité est un lien juridique qui lie un individu à un Etat. Il faut que cela soit clair. Et en Côte d'Ivoire, notre code de la nationalité prévoit au moins quatre modes d'acquisition de la nationalité ivoirienne. On est Ivoirien lorsque l'un ou l'autre de nos parents est Ivoirien. On peut devenir Ivoirien par adoption. On peut l'être par naturalisation. On peut l'être aussi par mariage. Mais très souvent, les gens prennent la question de la nationalité sur le plan purement ethnique ou sur le plan régional, tribal ou clanique. Or, ce n'est rien de tout cela. C'est simplement un lien juridique. Et la seule institution habilitée à trancher sur la question, c'est le juge. Seul le juge peut dire qu'untel est Ivoirien et untel ne l'est pas. Mais sur la base de preuves matérielles. Il ne faut pas regarder le visage de quelqu'un ou dire que comme il s'appelle comme-ci ou comme-ça, alors il n'a pas droit à la nationalité. Non, mais plutôt sur la base de preuves matérielles.

LP: Mais cette situation de dénonciation calomnieuse devient de plus en plus inquiétante avec la tension qui ne cesse de monter au sein de la population. Ne faut-il pas craindre des conséquences néfastes de cette montée de tension sur le processus de paix et de cohésion sociale?
Dr AK: Bien sûr qu'elle peut avoir des conséquences graves. Dès l'instant où des personnes sont injustement taxées d'étrangères, on crée là une catégorie de citoyens apatrides, c'est-à-dire des personnes qui n'ont aucune existence légale vis-à-vis d'un Etat. Ceux-là deviennent ainsi une population marginalisée. Ce qui peut entraîner encore des tensions sociopolitiques. Nous avons tous vu ce qui s'est passé en février dernier dans les villes de Divo, de Man, de Katiola où la population s'est levée contre les symboles de l'Etat. Il faut donc éviter de retomber dans les mêmes travers. Pour que cette liste électorale provisoire soit obtenue, n'oublions pas qu'il y a eu plusieurs tamis. La liste a donc passé plusieurs épreuves. Elle a passé l'épreuve des fichiers historiques. Elle a passé l'épreuve de la liste de 2000. Elle a passé l'épreuve de tout un système informatique, avec le contrôle des Etats civils. Qu'on vienne encore nous dire qu'il y a des milliers de fraudeurs sur la liste, je crains que cela ne soit possible. On peut comprendre qu'il y ait toujours des personnes étrangères sur la liste. Parce qu'aucun système n'est parfait. Il y en a qui peuvent réussir à passer entre les mailles du filet. Mais dire que ce sont des milliers et des milliers de personnes encore, cela me paraît trop gros pour être vrai. Je pense donc qu'il faut dépassionner la question. Que ceux qui demandent la radiation de ces personnes-là apportent les preuves. S'ils apportent les preuves, il n' y a pas de débat, parce que la radiation est prévue par les textes.

LP: Est-ce à dire que le débat est trop passionné en ce moment ?
Dr AK: Oui ! Je trouve que le débat est non seulement passionné, mais il est aussi trop passionnel, dans la mesure où on a lié cela à la question des élections. Or figurez-vous, le nombre de cartes d'identité distribués dans ce pays. Mais la question de nationalité ne surgit qu'à l'approche des élections. Or tout le monde sait qu'à l'approche des élections, la passion l'emporte souvent sur la raison. Parce que nous n'avons pas encore intégré en nous que la démocratie est un jeu. Et que les élections s'inscrivent dans ce jeu démocratique. C'est pour cela que j'en appelle à dépassionner le débat et à regarder la question de la nationalité avec beaucoup plus de sérieux. Ce n'est pas parce que quelqu'un s'appelle Ouédraogo, Kaboré, Diop ou Fall qu'il est automatiquement un étranger. Parce que si on veut donner des exemples, l'ex-footballeur Basile Boli est bien Français, pendant que l'entraîneur Philippe Troussier est bien Ivoirien. Or quand on regarde notre univers du point de vue anthropologique, on ne trouve nulle part le nom Troussier en Côte d'Ivoire. Mais Philippe Troussier est bel et bien Ivoirien. Je pense donc qu'il faut dépassionner le débat. On peut trouver un Ouédraogo qui est Ivoirien sans problème, comme on peut trouver un Koffi qui est parfaitement Burkinabé.

LP: A ce niveau, peut-on parler d'ignorance du côté de certaines populations?
Dr AK: Je ne crois pas. Parce que je me demande toujours pourquoi une telle situation ne surgit qu'à l'approche des élections en Côte d'Ivoire. Je pense donc que ce sont plutôt les intérêts politiques qui sont en dessous de toutes ces questions.

LP: La manipulation donc
Dr. AK: C'est possible. C'est possible qu'on parle de manipulation. Parce que ceux qui tirent la sonnette d'alarme en criant une présence massive d'étrangers n'apportent aucunement la preuve. En tout cas, c'est ce que nous constatons. Et c'est dommage. Il faut éviter que nous retombions dans la situation que nous avons connue, il y a bientôt huit ans et qui perdure.
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