mercredi 18 août 2010 par Le Patriote

Chef de cabinet du ministre de la Justice, Directeur des Opérations Audiences et Point focal du contentieux sur la liste électorale, Ibrahime Kuibiert, fait le point de l'opération, explique les procédures et les peines encourues par ceux qui s'adonnent aux dénonciations calomnieuses.

Le Patriote: Comment avance le contentieux sur la liste électorale dont vous êtes le point focal?
Ibrahime Kuibiert : Les choses avancent bien. Toutes les juridictions ont été informées de l'existence de ce contentieux de l'inscription sur la liste électorale. Nous avions deux soucis, avec la juridiction de Man et celle de Katiola. Cela, parce qu'en son temps, ces deux juridictions avaient fait objet des actes de vandalisme. Il a donc fallu les réhabiliter, les remettre en l'état, les meubler et demander aux Magistrats de repartir sur le site. C'est ce qui a justifié ce petit retard. Mais comme la CEI nous avait assurés de ce que toutes ces opérations ne se feront pas dans un temps record, mais plutôt de façon progressive, il faut comprendre par là que les juridictions de Man et de Katiola vont prendre le train en marche.

LP: Pouvez-vous nous faire un bilan à mi-parcours?
IK: Non, malheureusement. Pour le moment, nous ne pouvons faire de bilan. Mais comme vous le constatez, nous suivons l'opération de façon quotidienne. Vous voyez ce tableau journalier (), il est écrit Tableau journalier du contentieux judiciaire de la liste électorale. Chaque jour donc, nous appelons les juridictions pour savoir le total des requêtes enregistrées aux greffes : inscriptions, radiations et rectifications. Nous venons donc d'élaborer ce document qui va permettre aux journalistes d'avoir le point quotidien de tout le contentieux sur la liste électorale. Pour le moment donc, nous ne pouvons pas faire de bilan, parce que c'est maintenant que les juridictions commencent à entrer en activité. Ce qui est sûr, c'est que nous respecterons tous les délais, puisque le dernier délai, c'est le 26 août prochain.

LP: Concrètement, quelle est la démarche à suivre pour une demande de radiation?
IK: Une demande de radiation sous-entend que la personne est déjà inscrite sur la liste électorale. Donc, si moi, M. Kuibiert, je ne suis pas d'accord que le nom de M. X figure sur la liste électorale, je vais donc saisir la CEI, pour dire : monsieur untel qui se trouve sur la liste électorale ne mérite pas d'y figurer. La CEI va demander les arguments et moyens qui justifient que ce monsieur untel ne soit pas sur la liste électorale? En ce qui nous concerne, voilà les éléments dont nous disposons et qui nous ont permis de mettre cette personne sur la liste électorale. Et comme vous dites le contraire, rapportez-nous la preuve''. Si vous rapportez la preuve et qu'elle satisfait la CEI, elle va radier. Mais si la CEI n'est pas satisfaite, elle dira les raisons qui l'ont poussée à maintenir la personne sur la liste électorale. La copie de cette décision sera remise au pétitionnaire ayant fait la réclamation. Muni de cette copie, s'il n'est pas satisfait, il va saisir le Tribunal. Mais il ne peut pas saisir le Tribunal, s'il n'a pas préalablement saisi la CEI. Ce document est donc la preuve qu'il a bel et bien saisi la CEI. C'est une condition de forme de recevabilité de sa requête devant les juridictions. Quand il arrive donc au greffe, le code électoral précise les conditions de forme et les conditions de fond en ce qui concerne la recevabilité de sa requête. Il lui appartient donc de respecter ces conditions de forme, notamment au niveau de son identité. Ensuite, au niveau de ses allégations. Il devra rapporter la preuve de ses allégations. Il doit indiquer, entre autres, son identité lui-même avec une filiation complète, l'objet de sa requête et, surtout les preuves de sa déclaration. A partir de là, le Tribunal va convoquer l'audience. Et quand il va comparaître, il devra se justifier. Le Tribunal peut être satisfait de ce qu'il va dire, comme il peut ne pas l'être. Si le Tribunal est satisfait, il va ordonner à la CEI de radier la personne. Mais s'il n'est pas satisfait, le Tribunal va immédiatement signifier au dénonciateur qu'on ne peut pas radier cette personne. Par conséquent, tant que la CEI n'aura pas cette décision lui ordonnant le contraire, elle considère que sa décision vaut jusqu'à ce qu'on lui dise de faire autrement. Voilà comment se présente la procédure.

LP: Cependant, est-ce parce que vous faites l'objet d'une demande de radiation que vous serrez forcément radié ?
IK : Non, ce n'est pas parce que vous faites l'objet d'une demande de radiation que vous serez forcément radié. C'est l'occasion ici de rassurer les populations. Les juridictions vont bel et bien travailler. Et le Garde des Sceaux, par ma voix, a confiance dans les Magistrats. Ce sont des personnes qui ont été formés pour ce travail. Et en la matière, le code électoral est aujourd'hui la Bible ou le Coran du Magistrat. Il doit se référer au code électoral. Il ne faudrait donc pas que les uns et les autres se fassent peur, au vu des demandes de radiations. Non, il n'y a aucun problème. Parce qu'ils peuvent être nombreux à solliciter la radiation. Mais en fin de compte, il peut ne même pas y avoir de radiation. Je veux aussi dire par la suite que ce n'est pas parce qu'une personne sollicite la radiation qu'elle est de mauvaise foi. C'est aussi un devoir citoyen de dire et démontrer que telle personne ne mérite pas d'être sur la liste électorale. Parce qu'elle est ressortissante de tel pays. Cela ne veut pas dire que cette personne est méchante, xénophobe ou a un esprit malveillant. Parce que l'infraction qui consiste à la dénonciation calomnieuse n'existera que s'il est établi, de quelque manière que ce soit, des éléments qui puissent justifier une intention de nuire, de faire mal, de calomnier. Mais tant qu'il n'y a pas cette intention de nuire, il n'est point nécessaire ici de rechercher la constitution de cette infraction. Et en troisième point, je voudrais que les gens retiennent que l'objectif est de travailler. Nous disons donc aux uns et aux autres de rester sereins. Vous ne pouvez pas venir demander à un Magistrat de solliciter la radiation de quelqu'un et aller demain rechercher les preuves de cette radiation. S'il est vrai que la radiation est un acte civique, il est aussi vrai que cela ne sert à rien de venir demander la radiation de quelqu'un avant d'aller, le lendemain, chercher les preuves. Au moment où vous déposez la requête pour radiation, il faut que vous soyez à mesure de justifier vos allégations. C'est cela l'intérêt du débat. Et c'est ce qui a entraîné des problèmes dans les précédentes opérations. Par exemple à Katiola, des personnes sont venues dire que monsieur X ne mérite pas d'être sur la liste électorale. Et le juge leur demande : si monsieur X ne mérite pas d'être sur la liste, qu'est-ce qui justifie cela?. Il a donc sollicité auprès du juge une ordonnance de compulsoire, avant d'aller maintenant à la Mairie pour demander les éléments qui puissent étayer sa déclaration. Cela est une situation embarrassante. C'est comme si j'appréhende un voleur et je l'amène devant le Commissaire de Police. Le Commissaire demande qu'on le mette au violon. Et quand, dans ma déposition, il me demande qu'est-ce qu'il a volé, je lui dis : attendez que je retourne à la maison pour voir ce qui a disparu. Entre-temps, on aura déjà fait du mal à la personne qu'on accuse. Et cela n'est pas bon.
Je veux terminer pour dire à la population de faire très attention.

LP: Peut-on se baser sur le patronyme de quelqu'un pour le dénoncer?
IK: Au stade où nous sommes arrivés, surtout pour ce qui concerne la nationalité, le débat est technique. Ce n'est pas parce qu'une personne s'appelle Kaboré, Diouf ou Dupont, qu'elle est forcément étrangère. M. Dupont peut avoir sa mère ivoirienne. Il peut s'être marié à une Ivoirienne. Il peut s'être naturalisé. Or ce sont des actes qu'on ne porte pas forcément devant le public. Il peut s'appeler Dupont, être de teint blanc et être Ivoirien. Nous souhaitons que ce débat soit laissé aux techniciens. Cela, pour ne pas qu'on soit mis devant les faits accomplis qui seront préjudiciables à chacun de nous. Evitons donc d'entrer dans ces débats qui relèvent plus des techniciens. Les médecins ont été formés pour exercer la Médecine. Les mécaniciens sont formés pour faire la mécanique. Et les Magistrats sont formés pour dire le Droit. Il ne faut pas s'immiscer dans leur fonction. Sinon, cela donne une forme de cacophonie et ce n'est pas bien. Les choses sont aujourd'hui très sérieuses. Tous les Ivoiriens ont souffert, tous souhaitent qu'on sorte de cette affaire avec des élections propres. Mais il faudrait que chacun y participe. Et la meilleure façon d'y participer, c'est justement de rester serein. Le voisin peut être d'origine malienne, il peut être dans les mariages et baptêmes de la communauté malienne, mais il peut être Ivoirien. Moi qui vous parle, quand j'étais plus jeune, tous mes amis étaient des jeunes baoulé. De sorte qu'on croyait que j'étais baoulé. Alors que je ne suis pas baoulé.

LP: Vous avez parlé de l'intention de nuire. Mais comment la justice peut-elle s'en rendre compte?
IK: Le juge, c'est son métier de déceler les éléments constitutifs d'une infraction. Je peux vous dire que c'est un faisceau d'indices. Il y a plusieurs éléments qui puissent justifier cela. Premièrement, la loi dit que quand vous sollicitez la radiation de quelqu'un, il faut en apporter la preuve. Mais vous venez dire que telle personne n'est pas Ivoirienne, donc il faut l'enlever. Et vous n'apportez pas de preuve. Cela peut révéler déjà une mauvaise intention de nuire. Puisqu'on a dit qu'avant de solliciter la radiation, il faut avoir les preuves. Je ne saurais entrer dans tous les détails qui puissent déterminer la religion de Magistrat. Sachez tout simplement que les Magistrats sont formés pour cela. C'est un faisceau d'indices qui lui permettra de savoir s'il y a un esprit malveillant ou non. C'est pour cela que cette infraction existe et on parle de dénonciations calomnieuses, donc une dénonciation dans l'intention de nuire. Un autre exemple, celui de quelqu'un qui est sur la liste 2000 ou qui dispose du Journal officiel qui le naturalise. Si des gens, en dépit de toutes ses preuves, témoignent qu'il n'est pas Ivoirien, on peut s'attendre à imaginer que ces personnes recherchent quelque chose d'autre que la vérité. Parce que ces éléments dont dispose le pétitionnaire, rapportent la vérité que les accusateurs n'ont pas. Mais retenons tout simplement que les Magistrats bénéficient d'un faisceau d'indices. Comme il s'agit des faits, ils vont donc se fier à leur intime conviction pour déceler s'il y a infraction ou non.

LP: Quels sont les risques que courent les personnes qui s'adonnent à ces dénonciations calomnieuses?
IK: Avant de venir à la peine qu'elles encourent, il faut généraliser la situation. Il y a des infractions qui sont commises à l'occasion du contentieux électoral. Elles sont différentes des dénonciations calomnieuses. La dénonciation calomnieuse est une infraction de droit commun. Mais il y a des infractions qui peuvent être commises à l'occasion du contentieux de l'inscription sur la liste électorale. Ces infractions ne sont pas poursuivies comme ordinairement. Aujourd'hui, qu'est ce qu'on a constaté? Le premier individu qui se lève dit qu'il est citoyen et que M. Kuibiert n'est pas Ivoirien. Il va saisir le Procureur de la République avec des faux documents pour qu'on puisse m'arrêter. Mais au fond, la loi ne dit pas cela. L'article 41 dit que seules les personnes qui ont fait publiquement acte de candidature et les membres de la CEI sont les seuls à saisir le Procureur de la République. Cela veut dire que ce ne sont pas tous les citoyens qui peuvent mettre l'action publique en mouvement dans ce cas d'espèce. Même le Procureur de la République ne peut pas lui-même mettre l'action publique en mouvement dans le cas du contentieux de l'inscription sur la liste électorale. En dehors de ces personnes, nul autre, même un officier de Police judiciaire, ne peut enquêter lui-même sur une telle situation. Il appartiendra au candidat qui voudra mettre l'action publique en mouvement de saisir les juridictions pour que jugement soit fait.
Ce sont les infractions dont les procédures requièrent une certaine célérité. Et dont les peines vont de 3 mois à 12 mois d'emprisonnement et même plus en fonction des circonstances qui vont les accompagner si vraiment vous avez fait du faux rien que pour faire radier des gens. On peut vous poursuivre pour des peines plus graves allant jusqu'à 5 ans.

LP: Dans le cadre de la conduite de ce contentieux, quelles sont vos relations avec la CEI?
IK: Nous avons de très bonnes relations avec elle. Le Garde des Sceaux, ministre de la Justice a eu deux ou trois réunions avec la CEI pour pouvoir avoir la même lecture des dispositions législatives en la matière. Nous avons eu des séances de travail et tout s'est bien passé. Aujourd'hui, cette parfaite harmonie a justifié le fait que pour le convoi de nos matériels à Man et à Katiola, c'est la CEI qui nous a donné son porteur pour la circonstance. Mais ce n'est pas parce que les relations sont bonnes que l'indépendance de la CEI serait entamée. Elle demeure toujours indépendante. Et cela se fait conformément aux règles de l'art.

LP: Il est vrai que vous êtes technicien, cependant, croyez-vous en la tenue des élections le 31 octobre 2010 comme indiqué par les politiques?
IK: Il faut dire que depuis le début du processus de sortie de crise, nous avons eu à exécuter les projets de sortie de crise. Parce que c'est par les audiences foraines que le processus a commencé. Cette opération est de la compétence du ministère de la Justice. Ensuite, le deuxième point était la reconstitution des registres d'Etat civil. C'était encore du domaine du ministère de la Justice. Et le troisième point aujourd'hui, c'est le contentieux de l'inscription sur la liste électorale. C'est encore le ministère de la Justice. Ce que nous souhaitons, c'est que tout le monde fasse ce qu'il a à faire. Et c'est sûr que si tout le monde fait ce qu'il a à faire, la date du 31 octobre pourra être tenue.

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