vendredi 20 août 2010 par Le Nouveau Réveil

Ahne Jacqueline Lohoues-Oble, 60 ans, mère de quatre filles, est la première femme candidate à une élection présidentielle en Côte d`Ivoire. Alors, elle joue à fond la carte du genre et elle ne s`en cache pas. Dans la grande villa modestement meublée, sise à Cocody Deux-Plateaux, qui lui sert de quartier général de campagne, elle reçoit ses invités, rares, ce jeudi 19 août 2010, en respectant scrupuleusement l`heure. Sans complexe, elle confie qu`elle est financièrement essoufflée. Cela n`empêche pas la première femme agrégée de droit en Afrique, ex-doyenne de la faculté de droit de l`université d`Abidjan, de croire en ses chances, au soir de l`élection présidentielle, qu`elle va disputer contre treize hommes.


Pour commencer, une question simple : pourquoi voulez-vous diriger la Côte d`Ivoire ?
Je veux diriger la Côte d`Ivoire parce que nous sommes dans une République et que tout citoyen, qui peut apporter sa pierre à l`édification de cette République et qui respecte les conditions d`éligibilité à la présidence de la République, peut se porter candidat. C`est donc à ce titre que j`ai décidé d`être candidate.

Que proposez-vous de nouveau que les autres candidats n`ont pas proposé ?
Nos propositions partent des problèmes du pays. Et les problèmes du pays sont les mêmes et connus de tous. Ce sont la corruption, l`enrichissement illicite, le racket, la fraude, etc. C`est donc un peu normal que les solutions que les uns et les autres proposent, se ressemblent. Cependant, il y a une différence entre les personnes qui font ces propositions. En effet, il faut voir la personnalité qui appelle à l`application d`un programme de gouvernement. Pour ma part, je veux gouverner par l`exemple. De fait, les Ivoiriens ont perdu leurs repères depuis un certain temps. Il faut donc que celle ou celui qui gouverne soit un exemple en tous points. Prenez le cas du racket. On entend souvent dire, "s`il y a le racket, c`est parce que l`argent remonte à qui de droit". Mais s`il n`y a plus de "qui de droit", il n`y a plus de racket. Et celui qui rackette sera sanctionné. Il y a par exemple l`assiduité au travail, qui est l`un des grands maux de l`Afrique. Nous, nous l`avons déjà expérimenté. Quand j`étais enseignante, les cours commençaient à 7H 30. Le premier jour, je suis arrivée à 7H 30, personne n`était dans l`amphithéâtre. Les jours suivants, je suis arrivée à la même heure et les étudiants étaient présents. Pendant trois ans, j`ai appliqué le principe de l`assiduité au ministère de la Justice. Par ailleurs, le responsable doit donner l`exemple de la transparence.

En parlant de transparence, à combien s`élève votre budget de campagne ?
Je ne peux pas vous le dire pour la simple raison que je dresse mon budget au fur et à mesure qu`on avance et que je reçois des soutiens extérieurs. Cependant, je suis prête à publier mes ressources en ce qui concerne les élections, à condition que les autres candidats en fassent autant.

Etant donné que vous prônez la transparence, qui sont ceux qui financent votre campagne électorale ?
J`ai quelques amis qui me soutiennent. Globalement, ce sont mes économies que j`utilise. C`est d`ailleurs la raison pour laquelle je suis essoufflée. C`est aussi pour cela que je demande qu`on ait des subventions de la part de l`Etat, afin qu`il y ait une égalité entre les candidats. C`est une élection exceptionnelle qui nécessite des mesures exceptionnelles. Ce n`est pas normal que certains candidats bénéficient de certains avantages parce qu`ils sont signataires de l`accord de Marcoussis et que d`autres, parce qu`ils ne le sont pas, n`aient pas droit à ces avantages. Pourtant, nous avons payé la même caution.

Comptez-vous M. Charles Konan Banny parmi vos amis qui vous soutiennent financièrement ?
Pas du tout. Tout le monde pense que M. Charles Konan Banny me soutient financièrement. Mais regardez aujourd`hui la situation de M. Banny, il veut être candidat, selon ce que je lis dans la presse. Quel est donc ce potentiel candidat qui va soutenir une autre candidate ? Au demeurant, M. Banny a dit qu`il soutient le candidat de son parti, le PDCI (Parti démocratique de Côte d`Ivoire du candidat Henri Konan Bédié, NDLR).

Dans votre déclaration de candidature, vous affirmiez que vous allez lutter contre divers maux. Prenons l`exemple précis de la lutte contre l`enrichissement illicite. Comment concrètement allez-vous traduire en acte cette belle promesse ?
C`est très simple. Je vais gouverner par l`exemple. Je considère que si l`exemple est donné, les uns et les autres vont suivre.

Rien que cela ? Quid des mécanismes institutionnels ?
Justement, je parle également d`évaluation, de contrôle et de sanctions. On n`occupe pas un poste, rien que pour les avantages. Il y a aussi les responsabilités. Les fonctionnaires, les travailleurs des entreprises publiques seront soumis à une obligation de résultats. A partir de ce moment, nous saurons qui fait bien son travail et qui ne le fait pas. Par ailleurs, nous allons demander la sanction aussi bien du corrompu que du corrupteur. Ce sera la transparence.

Comment allez-vous appliquer concrètement, la transparence dans la gestion des affaires publiques ?
C`est simple. Chaque année, il y a un budget. Chaque ministère a son budget avec les différents chapitres. Il faut que ce budget soit exécuté conformément à la loi des finances. Je ne tolérerai pas de taxes parallèles. Aujourd`hui, il y a des ministères où il y a des taxes qui sont créées et où des usagers vont payer directement des taxes dans les caisses. Non, ce n`est pas le rôle d`un ministère. Tout l`argent doit être comptabilisé au Trésor. Je vais créer, de ce fait, un observatoire contre la corruption.

Procèderiez-vous à un audit de la Présidence si vous êtes élue ?
Quand je dis que je vais créer un observatoire de lutte contre la corruption, tout cela entre en ligne de compte.

Vous ne répondez pas à la question. Allez-vous commander un audit de la gestion des présidents qui se sont succédé à la tête du pays ?
De toutes les façons, nous aurons à faire le point. Quand on arrive à la tête d`un Etat, on est bien obligé de savoir ce qui s`est passé. Il est évident qu`il y a des dossiers qu`on serait obligé de regarder de plus près. Mais on tiendra certainement compte du temps et de la prescription de certaines affaires.

Quels dossiers allez-vous "regarder de plus près", si vous êtes élue ?
Je ne suis pas encore élue donc je ne sais pas. Vous savez, quand on est à l`extérieur du pouvoir, on a une vision des choses, différente de la vision qu`on aurait, une fois à l`intérieur. J`aimerais donc entrer pour voir ce qui s`y passe.

" L`heure est venue pour la Côte d`Ivoire de panser ses plaies, de recoller les morceaux, de reconstruire le pays et cela, c`est un travail que les femmes savent faire", disiez-vous à l`occasion de votre déclaration de candidature. Pourquoi jouez-vous tant la carte du genre ?
Je suis seule contre treize hommes. C`est la première fois qu`une femme est candidate à l`élection présidentielle, donc il faut l`expliquer à la population dont une grande partie est analphabète. En outre, ce pays appartient aussi bien aux femmes qu`aux hommes. La voie est donc ouverte et aux prochaines élections, peut-être que ce ne sera pas seulement une seule femme contre treize hommes.

Une chose est de déposer sa candidature et une autre est de gagner. Comment comptez-vous battre ces hommes ?
Personne n`est assuré de gagner d`avance, qu`on soit femme ou homme. Chacun a sa chance. Je vous vois venir. Vous ne l`avez pas dit, mais vous auriez pu me demander, quelles sont mes chances en face des "trois grands" candidats que sont Bédié, Gbagbo et Ouattara. Je vous répondrais très simplement, qu`on verra au soir du 31 octobre qui est "grand candidat" et qui est "petit candidat".

Comment avez-vous accueilli l`information relative à une opposition de certains cadres de votre région natale, le Léboutou, à la candidature d`une femme à l`élection présidentielle, vous en l`occurrence ?
Un : je n`ai jamais réagi après la publication de cette information parce que je considérais que cela n`en valait pas la peine. Cependant, des personnalités, hommes ou femmes, ont réagi. Deux : les cadres, supposés avoir exprimé cette opinion, ont nié avoir tenu de tels propos. Une chose est certaine, cela ne m`empêche pas de poursuivre mon chemin parce que je considère qu`aucun poste ne peut m`être interdit.

Dans le chapitre de l`opposition à votre candidature, il y a l`appel aux femmes, lancé par Mme Geneviève Bro Grébé, la présidente des femmes patriotes et responsable de la campagne au niveau des femmes, du candidat Laurent Gbagbo. Elle a appelé les femmes à vous boycotter, lors d`une conférence de presse. Quelle est votre réaction ?
Geneviève Bro Grébé est une jeune s?ur. Elle est responsable des propos qu`elle tient. Moi, j`en prends acte. Je ne veux pas donner l`image de femmes qui s`entredéchirent. Ce qui ferait d`ailleurs plaisir aux hommes qui se frotteraient les mains et diraient : "Voyez comme les ennemis des femmes sont les femmes elles-mêmes". Si cet appel avait été lancé par un candidat, j`aurais eu une réaction.

L`élection présidentielle a été fixée au 31 octobre prochain. Qu`est-ce qui vous porte à croire que ce rendez-vous est le bon ?
La Commission électorale indépendante a proposé une date. Le président de la République a pris un décret pour confirmer cette date. Je pense que nous devons nous en tenir à cela. Le président de la République doit respecter sa candidature. La CEI, nous le pensons, a pris toute la mesure des actions à mener pour tenir le délai. A partir de ce moment, pour moi, l`élection aura lieu le 31 octobre.

Ce n`est pas la première fois que le président signe un décret pour confirmer une date proposée par la CEI. Qu`est-ce qui fonde réellement votre conviction ?
Il faut bien que les reports s`arrêtent un jour. En tant que candidate, ces reports successifs nous portent beaucoup de préjudices, surtout que nous sommes une candidate indépendante et que nous ne bénéficions d`aucune subvention.

Dans ces conditions, que ferez-vous s`il n`y a pas d`élection le 31 octobre prochain ?
Nous aviserons. Mais je peux vous assurer que vous allez nous entendre.

"Les autres cherchent une élection, nous, nous cherchons la paix", a dit le président Gbagbo dans son discours du 7 août dernier. Comment voyez-vous une élection en Côte d`Ivoire sans paix véritable ?
Les problèmes en Côte d`Ivoire sont immenses. Ce ne sont pas les élections qui vont les régler. Les élections sont une porte de sortie. L`élection n`est pas synonyme de paix mais la paix passe par l`élection présidentielle parce que les Ivoiriens auront compris que dès lors, la bataille pour le fauteuil présidentiel est terminé et qu`il faille passer à d`autres batailles allant dans le sens de la résolution des autres problèmes du pays. En outre, tout le monde, notamment les investisseurs à l`extérieur, attendent cette élection pour venir faire des investissements. On ne va donc pas continuer à hypothéquer l`avenir de la jeunesse.

Quelle est votre position sur les radiations réelles ou supposées de potentiels électeurs de la liste électorale ?
Je pense que sur cette affaire, il y a une extrapolation des journalistes. La liste électorale comprend 5,5 millions de potentiels électeurs. Il y a eu 28.000 demandes de radiation. Ce qui ne veut pas dire que ces 28.000 vont être effectivement radiés. Faisons confiance à notre justice. Je ne comprends donc pas tout ce bruit autour de cette affaire. Je pense qu`il faut prendre les choses calmement. Ceux qui sont concernés doivent prendre les dispositions pour soutenir leurs accusations ou pour justifier leur nationalité.

Le dernier article sur votre site officiel de campagne date de février 2010. Ce qui confirme que vous êtes effectivement essoufflée. Manifestement, vous sortez perdante de la guerre de l`usure. Allez-vous encore tenir jusqu`au 31 octobre ?
Y a-t-il une honte à dire qu`on est essoufflé ? Non. Dans un Etat normal, on aurait eu des subventions. Je ne sors pas perdante de la guerre de l`usure. C`est à cette défaite qu`on veut nous conduire. Le site n`est pas à jour parce que le responsable est en déplacement. Ce sera d`ailleurs actualisé. Quant à moi, je continue d`être sur le terrain. Demain (aujourd'hui, NDLR), je serai par exemple à Yamoussoukro. J`étais récemment dans la région du Zanzan. Moi, je privilégie les contacts directs avec les populations.

La question de la nationalité serait au centre de la crise ivoirienne. Pour quel code de la nationalité plaidez-vous ? Celui qui privilégie le droit du sang, comme c`est le cas aujourd`hui, ou celui qui prône le droit du sol comme le demande votre ancien parti, le Rassemblement des républicains (RDR) ?
Mon avis, c`est que le code de la nationalité doit demeurer tel qu`il est actuellement. On l`a déjà amendé, il n`y a pas très longtemps. On peut être Ivoirien par naissance parce que les deux parents ou un parent sont (ou est) Ivoirien(s). On peut l`être par mariage. Autrefois, c`était la femme étrangère seulement qui pouvait devenir Ivoirienne si son mari est Ivoirien. Maintenant, c`est réciproque. Enfin, il y a la naturalisation. Je pense que c`est largement suffisant. Le choix a été fait, à savoir le droit du sang.

En deux mots, à quoi résumeriez-vous le véritable problèmes de la Côte d`Ivoire ?
Le vrai problème de la Côte d`Ivoire s`appelle la lutte pour le pouvoir. Ce sont trois personnes, messieurs Bédié, Gbagbo et Ouattara, qui sont en première ligne depuis une vingtaine d`années. C`est cette lutte qui nous a amené la crise, la guerre que nous connaissons, avec tous ses effets collatéraux. Si donc nous voulons sortir définitivement de ce véritable problème, il faut que les Ivoiriens se prononcent. Moi, je constitue l`alternative. Regardez au Libéria, depuis l`élection d`Ellen Johnson Sirleaf, le pays connaît la tranquillité. Vous connaissez la légende de la reine Pokou. Pendant la colonisation, ce sont des femmes qui ont marché sur Grand-Bassam pour aller libérer les hommes. Pour remettre tout le monde ensemble et repartir sur des bases pacifiques, il faut une femme.

Globalement, comment jugez-vous les dix ans de pouvoir du président Laurent Gbagbo ?
Le temps des débats n`est pas encore arrivé. Mais tout le monde voit que le bilan n`est pas satisfaisant. Aujourd`hui, nous sommes à 50% de pauvres, après 50 ans d`indépendance. Lui-même (Laurent Gbagbo, NDLR) l`a d`ailleurs reconnu quand il a dit que nous avons régressé de 30 ans.

Une question indiscrète : quelles sont les vraies raisons qui vous ont amené à quitter le RDR ?
Il n`y a pas d`un côté, de vraies raisons et de l`autre côté, de fausses raisons. En 1999, je suis partie parce qu`en tant que juriste, je considérais qu`il fallait que je m`en tienne à la loi, tant qu`on ne l`a pas changée, au cas où elle ne serait pas bonne. Dans un groupe, quand on est minoritaire par rapport à une opinion ou une position, soit on se soumet soit on se démet. Je me suis démise parce que je ne pouvais pas faire changer l`opinion majoritaire.

Madame la candidate, quelles sont, en définitive, les rasions qui peuvent pousser un électeur, dans un pays marqué par les "parkings" politiques des trois principaux partis que sont le Front populaire ivoirien (FPI du candidat Laurent Gbagbo), PDCI et le RDR, à porter son choix sur vous ?
C`est très souvent qu`on me demande ce que j`apporte de particulier ou de nouveau, en termes de programme de gouvernement. Je demande tout simplement que les électeurs regardent à la personnalité des candidats. Je dis et je peux le prouver si je suis élue, qu`un Etat peut et doit être gouverné à la limite comme une entreprise privée. On sait ce qu`on doit dépenser, qui doit effectuer ces dépenses, à quels moments et quels contrôles doivent être exercés. La bonne gouvernance est possible et nous allons montrer qu`il suffit d`être animé par l`intérêt collectif, le souci de la transparence, pour l`appliquer.
Interview réalisée par André Silver Konan


www.225.ci - A propos - Plan du site - Questions / Réponses © 2023