mercredi 25 août 2010 par Fraternité Matin

Nous revenons d'Odienné où nous avons passé six jours. Partie d'Abidjan ce vendredi 23 juillet 2010 sur le coup de 10h, il était 20h quand notre équipe de reportage est arrivée dans cette ville située à 900 km d'Abidjan, au nord du pays. Jadis sélectif et sujet d'émerveillement de par son architecture splendide, le réceptif hôtelier où nous étions logés semble être jeté aux oubliettes. La piscine atari, les climatiseurs moyenâgeux font un bruit assourdissant, les robinets sont bouffés par la rouille et l'eau qui en sort en prend la couleur. Bref, le lendemain matin, lorsque nous nous sommes rendus au centre-ville, nous avons fait un constat : Odienné, comme les autres villes du pays et singulièrement celles de la zone centre, nord et ouest qui était occupée par la rébellion, connaît des problèmes de développement. Les signes sont là, palpables, frappants. Rues crevassées et broussailleuses par-ci, maisons abandonnées par-là. A Odienné, la guerre a laissé d'autres traces. Ici, tous les matins, c'est une horde de mendiants qui vous assaillent.

Poussés à la rue par la crise militaro-politique

A Sirana, une nouvelle commune frontalière de la Guinée, un jeune cadre du nom de Cissé Mamadou, directeur local de campagne du candidat Laurent Gbagbo, en parle avec beaucoup de peine : La mendicité est un phénomène honteux qui va grandissant dans le département d'Odienné. Nous ne sommes pas un peuple de mendiants par nature. Mais c'est plutôt les conséquences de la sale guerre.

Aidez-nous à éradiquer ce fléau par le biais du développement. Car la vraie compassion, ce n'est pas de jeter une pièce à un mendiant mais il faut plutôt chercher à comprendre l'édifice qui produit les mendiants, a-t-il plaidé auprès du président du Font populaire ivoirien (Fpi), Pascal Affi N'Guessan, qui était en tournée dans la région du Denguélé.

En l'absence du maire, Diakité Coty Souleymane, c'est son adjoint, Kourouma Amidou, que nous avons rencontré. Résidant à Odienné, il se dit très préoccupé par ce phénomène. C'est la guerre qui est à la base de ce problème parce qu'il n'existait pas auparavant. Aujourd'hui, les parents ont des difficultés pour nourrir leurs enfants. Pour s'en débarrasser, ils les envoient dans les écoles coraniques qui, ne pouvant pas les nourrir aussi, les déversent dans la rue pour mendier, nous-t-il appris.

Le maire résident se bat pour combattre ce fléau qui, selon lui, salit la ville. Ainsi, il a, en collaboration avec la cellule Protection de l'enfance de l'Onuci, eu des rencontres avec les responsables des écoles coraniques. Je les ai mis au pas, nous révèle Kourouma Amidou. Qui veut que l'on entende cela : Si les enfants viennent pour étudier dans les écoles coraniques, qu'ils étudient. S'ils viennent pour mendier, on doit les vider. Pour l'élu, la situation est grave. Car, ailleurs, les tout-petits, pour éviter le désoeuvrement, exercent des petits métiers (porteurs, cireurs...). Mais ici, à Odienné, ces enfants, dont l'âge varie de six à 14 ans environ, ont trouvé un bon créneau pour s'occuper : mendier.

Tenant chacun une boîte de tomate vide, ils sillonnent la ville, particulièrement les rues passantes, visitent les maquis, gares et le marché pour demander de l'argent. C'est le cas du petit Abou Konaté : J'ai faim, tonton je veux 100 F Cfa pour manger, m'a-t-il dit. Il est reparti avec 200 F cfa. Deux minutes après, comme si ces mendiants se passaient le mot, un autre qui a refusé de donner son nom nous accoste et tend la main. La chance ne lui sourit pas. L'explication est toute simple : nous n'avions plus de monnaie.

Pendant notre séjour, nous avons été la providence de plus de dix jeunes gens qui ont reçu, de notre équipe de reportage, des pièces de monnaie pour satisfaire leur fringale. Ce n'est pas Lanciné Koné qui se disait enfant de l'école coranique qui soutiendra le contraire.

Cellule protection de l'enfance de l'Onuci

De nombreuses personnes, corroborant les allégations du maire résident, nous ont appris plus tard que dans le lot de ces mendiants, il y en a que la nécessité de survie de leur famille démunie du fait de la guerre a entraîné sur cette voie. Ces bambins, livrés à eux-mêmes, sont, pour la plupart, sales.

C'est un élément fondamental auquel nous allons essayer de trouver la solution avec la cellule protection de enfance de l'Onuci pour que l'on puisse encadrer ces enfants, déclare l'adjoint.

Outre les mendiants, Odienné a un autre problème : on y trouve des malades mentaux. De toutes sortes: agressifs, débonnaires, déguenillés, nus, bavards, taciturnes...

Nous sommes devant une pharmacie de la place où nous achetons des cartes de recharge téléphoniques avec une jeune dame gérante de cabine. Sur ces entrefaites, arrive un homme bien habillé. Il s'appellerait, selon lui, Touré Brahima dit Bento. Il affirme avoir été employé à l'ex-Peyrissac, à Bouaké. Nous saurons qu'il n'avait pas toute sa tête lorsqu'il montrera une lettre qu'il tenait absolument à remettre à un responsable du Pdci-Rda à Abidjan. En fait de lettre, c'est un bout de papier sur lequel il y avait des gribouillages. Mieux, quand j'ai baissé la vitre de la voiture, Bento a laissé éclater sa joie en me disant ceci : Votre visage me dit quelque chose. Tiens, vous êtes le ministre de la Communication. Moi, ministre de la Communication ! Parole de fou. Mais où Bento ne semble pas délirer, c'est quand il aborde la politique : Le Pdci, le Rdr, le Fpi et tous les autres partis politiques sont des complices. Si, cette année, il n' y a pas d'élection présidentielle, il faudrait qu'ils se comprennent, conseille-t-il.

A la fin de notre entretien, il a demandé à Poro Dagnogo, le reporter photographe, de lui donner la somme de 5.000 F Cfa. Quelque temps après, il a réclamé 1000 F Cfa. Finalement, nous ne lui avons remis que 400 F Cfa.

Un autre malade mental, plus jeune que le premier, assure que je suis son ami. Moi, ami d'un schizophrène! Un dicton bien de chez nous dit que l'?uf ne joue pas sur un terrain caillouteux.

De jour comme de nuit, au rond-point de la ville, en face de la radio du Denguélé, ils rodent, cherchant leur pitance. Pourquoi y a-t-il autant de malades mentaux? C'est vrai qu'il y a des fous à Odienné qui sont dans leurs familles respectives. Mais aujourd'hui, il y en a beaucoup parce qu'Odienné étant un carrefour, des frères des pays voisins passent ici et y laissent leurs parents malades. Parfois, nous sommes surpris de voir des fous parlant les langues des pays voisins. Je dois rappeler qu'Odienné se trouve entre la Guinée, le Mali et le Burkina Faso. Quand on fait le recensement de ces fous, en général, ce sont des étrangers, révèle Kourouma Amidou.

D'autres, par contre, citent, comme cause principale, les actes posés par les uns et les autres pendant la crise armée qu'a connue le pays : Il y a des gens qui ont tiré à bout portant sur leurs semblables, pendant la guerre. Pensez-vous que Dieu va leur tolérer cela?, indique un jeune commerçant qui a requis l'anonymat par crainte des représailles.

La mendicité et la présence massive des malades mentaux à Odienné : deux véritables fléaux à combattre.

Emmanuel Kouassi
Envoyé spécial à Odienné

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