mercredi 25 août 2010 par Le Nouveau Courier

Une fois de plus, les développements de la crise ivoirienne ont remis au goût du jour un mot : ivoirité. L`ivoirité serait de retour. Les ivoiritaires voudraient profiter du contentieux pour purger la liste électorale d'un maximum de ressortissants du nord de la Côte d'ivoire.
Mais au juste, qu`est-ce que l`ivoirité, et quelles sont ses manifestations pratiques ? Il ne faut pas être naïf : depuis 1999 et l`expulsion emblématique des Burkinabè de Tabou (sous Henri Konan Bédié), des tensions récurrentes opposent, surtout en zone rurale, autochtones et étrangers, voire autochtones et Ivoiriens originaires d`autres régions... ces tensions sont souvent exacerbées par des "cadres" du coin, liés hier au PDCI, aujourd`hui au FPI, et qui ont souvent les moyens de créer des plantations industrielles là où des "espaces" se seraient créés. Est-ce cela l`ivoirité ? Peut-être. Mais dans les pays où le taux d`immigration est plus bas, ce même type de concurrence foncière oppose des compatriotes d`ethnies différentes, voire de la même ethnie. Ce phénomène global, au-delà des passions idéologiques et des instrumentalisations auxquelles il donne droit, est au fond très contemporain. Il est lié à la raréfaction des ressources et à la compétition qui demain, nous explique-t-on, entraîneront des guerres de la terre et de l`eau. Le fait que la Côte d`Ivoire soit entourée de pays sahéliens comme le Burkina Faso et le Niger, les pays les plus pauvres d`entre les pauvres (plus pour longtemps pour le Niger), dont les taux de natalité sont parmi les plus élevés au monde, peut expliquer un certain nombre de batailles. Poser ainsi le problème est plus objectif que diaboliser une partie des acteurs et victimiser les autres, et appelle des solutions - qui existent, j`en suis persuadé, et relèvent de l`aménagement du territoire - au lieu d`aggraver les problèmes en prenant partie.
Juste avant Linas-Marcoussis, de nombreux éditorialistes ont affirmé que la nationalité de nombreux Ivoiriens était niée, juste parce qu`ils étaient Nordistes. Fort curieusement, les accords qui étaient censés régler tous les problèmes n`ont pas évoqué ce déni de nationalité.
Linas-Marcoussis n`évoque pas des Ivoiriens privés indûment de leur nationalité, mais des étrangers "longue durée" qu`il serait juste - et je le pense aussi - de naturaliser. Une loi spéciale de naturalisation destinée à ces derniers, obligeant l`Etat à répondre aux demandes trois mois après, a été votée par l`Assemblée nationale. Etrangement, très peu de personnes se sont saisies de cette loi. Les adversaires proclamés de l`ivoirité, locaux ou internationaux, n`ont rien fait pour qu`elle soit appliquée. Il n`y a pas eu de campagne d`explication à ce sujet, alors que l`Union européenne a dépensé des sommes importantes pour faire connaître et appliquer le code foncier rural, aussi évoqué à Linas-Marcoussis. Les millions d`étrangers longue durée ont disparu totalement des écrans radar. Inintéressants politiquement de toute façon, puisque la loi prévoyait qu`ils ne pourraient voter que cinq ans après leur naturalisation... donc après la fameuse présidentielle qui vient.
Et si les décideurs et commentateurs politiques décidaient de changer de phraséologie ? L`explication "ivoiritaire" de tous ses soubresauts finit par isoler la Côte d`Ivoire au point de vue international. Cet isolement est dommageable pour l'ensemble du pays, et à plus long terme qu'on pourrait l'imaginer. La mise en accusation permanente de l'ivoirité pourrait aussi, à moyen terme, discréditer les porteurs de chiffons rouges , qui risquent d'être considérés par la partie la moins partisane de l'opinion publique comme des maîtres-chanteurs menaçant de faire sauter l'édifice national si l'on n'intègre pas leur électorat surnuméraire .
Par ailleurs, les ténors du camp présidentiel gagneraient à polir leur langage en évoquant le contentieux sur la liste électorale. Quel bénéfice gagnent-ils à évoquer des mots qui choquent là où un vocabulaire purement administratif et apaisé conviendrait mieux à la période délicate que nous vivons ? Ils ne doivent pas donner l'impression de chauffer à blanc une partie des Ivoiriens contre une autre. De plus, au regard de la loi de naturalisation spéciale qui sera de toute façon mise en ?uvre, un grand nombre d'étrangers d'aujourd'hui seront des Ivoiriens demain. Est-ce vraiment raisonnable d'apparaître, à cause de mots mal choisis, comme le parti anti-étrangers ?



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