lundi 27 septembre 2010 par Nord-Sud

Dans cette contribution, le Pr Ouaga Obou explique les devoirs de l'Etat de droit. L'universitaire précise également les prorogatives de l'armée dans l'organisation de la Défense de la République.

Poser la problématique de l'armée dans la construction de l'Etat de droit, revient, en fait, à s'interroger sur sa capacité à s'insérer dans la logique juridique, synonyme de respect du droit. En effet, comment celle dont la mission première est d'user de la violence, pour défendre la nation en péril, peut-elle se laisser séduire, se faire dompter, au point de se soumettre au droit?
Répondre à cette interrogative, commande que l'on définisse d'abord ce que l'on entend par l'Etat de droit, par opposition à l'Etat de police et l'Etat policier.

L'Etat de droit a pour but spécial de défendre les citoyens contre l'arbitraire. Le droit y ayant acquis une valeur de mythe, nul ne peut impunément s'en soustraire. Nul n'y est au-dessus de la loi, y compris les gouvernants et l'armée.

Quant à l'Etat de police, la règle de droit y existe. Mais les gouvernants s'estiment autorisés à s'en soustraire. En fait, l'Etat de police est fondé sur l'idée que la fin justifie les moyens.
Enfin, distinct des deux premiers, l'Etat policier est un régime dans lequel la présomption de culpabilité se substitue à la présomption d'innocence : Est coupable celui qu'on arrête.C'est le règne de l'arbitraire.

A l'analyse, l'armée ne peut véritablement contribuer à la construction de l'Etat de droit, que si elle consolide l'autorité publique d'une part, et d'autre part, elle s'engage résolument à défendre la République.

1- Le devoir de consolider l'autorité de l'Etat
En règle générale, l'Etat n'est fort que s'il dispose d'un ordre qu'il maîtrise.
Car, toute société, quelle qu'elle soit, peut être du dedans comme du dehors, sujette à des menaces de dissolution. De ce fait, selon le professeur Marcel PRELOT, le pouvoir, quel qu'il soit, légal ou illégal, légitime ou illégitime, ne peut se passer de l'obéissance, sinon, il cesserait d'être un pouvoir. En effet, sans règle, il n'y aurait pas d'ordre et, sans ordre, pas d'Etat. Force reste à la loi. Cela correspond au mouvement d'absorption continu de l'énergie qui nourrit le désordre.
Cela signifie aussi que l'armée ne peut consolider l'autorité de l'Etat que si elle satisfait aux conditions énumérées ci-après, à savoir :

1-1 Sa soumission à l'autorité civile
Gardienne de la sécurité de l'ordre républicain, l'armée est subordonnée au pouvoir civil, notamment au président de la République. Chef du pouvoir civil et chef suprême des armées, il préside le Conseil supérieur de la Défense (art. 47 const.). Il nomme aux emplois militaires (art. 46 const.). En vertu de l'article 34 de la Constitution, il veille au respect de la Constitution. Il est le garant de l'indépendance nationale, de l'intégrité du territoire, du respect des engagements internationaux. Il incarne l'unité nationale. Il assure la continuité de l'Etat. Arbitre national, il est au-dessus des luttes et mêlées partisanes.

Clef de voûte des institutions républicaines, l'armée a envers lui, un devoir de soumission. Et, elle n'est assujettie à lui que si elle s'astreint au devoir de loyalisme.

Ce devoir de loyalisme envers l'autorité s'impose à elle. Par définition, l'armée est astreinte à la fois à une obligation morale et juridique. Par ce loyalisme institutionnel, le devoir d'obéissance au pouvoir légitime dont elle dépend, est tel, qu'il s'impose au soldat, le devoir de bien servir sa patrie jusqu'à la mort.

En substance, le devoir d'obéissance et l'obligation de se taire s'imposent à l'armée. Celle-ci doit demeurer la grande muette , même s'il lui arrive de temps en temps de murmurer et de discuter en sourdine . Cependant, il lui est formellement interdit de manifester hautement son opposition. Elle n'a pas le droit d'élever la voix ou de crier au point de s'imposer et au demeurant se substituer au pouvoir légitime. Car, une armée gagnée par le désordre et le déficit récurrent de commandement, ne peut garantir ni l'ordre ni la sécurité nationale.


1-2 - Son adhésion aux valeurs du civisme et de l'éthique
Par civisme, il s'agit d'avoir des citoyens ayant conscience de leur liberté et responsabilité et un sens élevé de l'intérêt général et du devoir. On a une obéissance raisonnée ou éclairée, synonyme de développement de l'esprit critique. Je n'obéis qu'aux ordres de ma conscience et aux convictions de mon intelligence . Mais dans le feu de l'action, que peut valoir ce principe pour le soldat?
Pour l'essentiel, selon Napoléon 1er : Tant qu'on n'apprendra point, dès l'enfance, s'il faut être républicain ou monarque, catholique ou irréligieux, l'Etat ne formera pas une nation. Il reposera sur des bases incertaines et vagues, et il sera constamment exposé au désordre et aux changements .

Que peut donc faire l'armée pour que la République ne sombre pas dans l'anarchie, au point de disparaître ?


2- L'obligation de défendre la République
Défendre la République revient, en fait, à sauvegarder la souveraineté de l'Etat, notamment son intégrité physique. En la matière, la notion de défense est nécessairement liée à celle de l'ordre.
Externe ou interne, la souveraineté se rattache à trois traits distinctifs qui en font sa particularité. Indivise, aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s'en approprier l'exercice. Inaliénable, nul ne peut la transférer à autrui, puisqu'elle appartient au peuple ou ensemble du corps social. Imprescriptible, la souveraineté est perpétuelle, à durée illimitée.

La souveraineté est le critérium de l'imperium, qui donne l'être à l'Etat, un être à certains égards unique . Selon Jean Jacques Rousseau, il est de l'essence de la puissance souveraine de ne pouvoir être limitée : elle peut tout ou elle n'est rien . C'est en fait, la négation de toute entrave ou subordination ou la qualité de l'Etat de n'être obligé que par sa propre volonté .Aucune autorité ne lui est supérieure, en ce qu'il n'est soumis à aucun pouvoir de même nature. De ce point de vue, l'une des fonctions régaliennes de l'Etat est de garantir sa souveraineté. Car, l'Etat est souvent affecté par la crise. Et, peut-il procéder autrement pour retrouver son équilibre, s'il ne disposait pas d'une force qu'il maîtrise? Car, le risque est que l'on peut passer sensiblement ou insensiblement, d'une crise primaire au conflit, et du conflit à la guerre, équivalente à une crise majeure.

Multiforme comme le dieu Janus, vue de son double visage hideux, la guerre est donc soit étrangère, soit civile, même si la seconde peut se transformer à la longue, en la première.


2.1- la défense de la souveraineté externe

La guerre étrangère oppose au moins deux nations. Sa particularité est de provoquer l'union sacrée au plan interne, dans le but de ressouder la patrie contre l'ennemi commun qui la menace. En pareil cas, tuer l'ennemi devient un devoir moral .


2.2- la défense de la souveraineté intérieure

Supposée comme moins révoltante selon Chateaubriand, la guerre civile guerre interne ou guerre intestine, met aux prises une partie de la population contre une autre ou oppose une partie de la population à l'autorité légale. C'est la rébellion ou la guerre civile. Elle se nourrit de toutes les passions. Dans ce combat fratricide, nourri par la haine réciproque, où l'on voit dans son ennemi, un traître, avec qui tout compromis et toute cohabitation sont désormais impossibles, la guerre civile, s'apparente à l'affrontement le plus meurtrier, le plus féroce, de sorte que nul n'ose la risquer (guerre civile aux USA, en Espagne, au Nigeria, au Liberia, en Sierra Leone, au Burundi, au Rwanda, au Tchad, au Mali, au Niger , en Algérie, au Sénégal, au Tchad, au Soudan etc.).
Cependant, quelle que soit sa forme et malgré sa cruauté et sa férocité, la guerre obéit à des règles impératives, connues sous l'appellation de Droit de la guerre . Ce principe d'humanisation est destiné à protéger les civils, les faibles, les vaincus : Ne pas faire plus de mal qu'il n'est permis ; Ne pas détruire ni imposer de souffrances au-delà de ce que requiert le but recherché , et ainsi éviter aux victimes, des traitements humiliants et dégradants, etc. C'est dire que les belligérants n'ont pas un droit absolu de nuisance. A fortiori, même la guerre a des limites . Limitée, elle a aussi une fin .


3- l'armée et la paix

En sens inverse du mouvement ascendant de la crise, la paix rime avec la courbe déclinante de l'agressivité. Dans ce cas, l'état de paix se substitue à l'état de crise.

Mais, selon la manière dont se module l'intention des parties en conflit, il peut s'agir dans le règlement du conflit, d'une paix fourrée ou d'une paix blanche. Quel pourra être le rôle de l'Armée dans la conclusion d'une paix durable ?

D'un côté, la paix fourrée est celle qui est conclue dans l'espoir réciproque de gagner du temps et de recommencer la guerre. Elle est le terreau naturel de la guerre permanente. On s'enlise dans la crise. On s'y installe durablement. On s'y complaît, de sorte que nourrie à nouveau et à souhait par les haines, la crise peut se réactiver et dégénérer en conflit, puis en guerre. En fait, on a une paix armée. On ruse et on s'use à dessein. C'est le triomphe de la mauvaise foi.
D'un autre côté, la paix blanche est empreinte de sincérité et d'humilité. Ici, il n'y a ni vainqueurs, ni vaincus. Ce qui explique que dans le passé, des peuples ou populations, qui après s'être longuement opposés et combattus terriblement, se portent l'un vers l'autre. C'est la paix des braves ou la paix honorable (France- Allemagne, les deux Corées, les deux Chines, USA- Japon, etc.).

Conclusion :

En règle générale, la paix règne là où il existe une sécurité juridique. Corrélativement, la norme juridique n'est l'antidote du désordre et des crises, que si l'armée, laïque et républicaine, se laisse subjuguer par le droit. C'est le mythe fécond de l'Etat de droit.

Ouraga Obou
Professeur de Droit constitutionnel et de Science politique.

Sources :
VEDEL (G), Manuel élémentaire de droit constitutionnel, réédition, Dalloz, Paris, 2002.
HAMON (F), TROPER (M), Droit constitutionnel, LGDJ, 28è éd., 2003.
GICQUEL (J), Droit constitutionnel et Institutions politiques, Montchrestien, 14è éd., Paris, 1995.
CARRE de Malberg (R), Contribution à la théorie générale de l'Etat, t 1, Centre National de la Recherche Scientifique, Recueil Sirey, Paris,1920.
REUTER (P), Institutions internationales, PUF, Paris,1955.
DAILLIER et A. Pellet, Droit international public, LGDJ, 7è édition, Paris, 2002.
D. TOURET, Introduction à la sociologie et à la philosophie du droit, LITEC, Paris, 1998.
PRELOT (M), Sociologie politique,
Dalloz, Paris 1973.

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