vendredi 22 octobre 2010 par Reporters sans Frontières

Première semaine de monitoring des médias en période électorale : Le quotidien Fraternité Matin est le seul média public à assurer un traitement équitable des candidats, la RTI et la RCI avantagent le président sortant Laurent Gbagbo, les quotidiens privés Notre Voie, Le Patriote et Le Nouveau Réveil excessivement partisans


Reporters sans frontières se réjouit, au terme des six premiers jours de la campagne officielle de l'élection présidentielle en Côte d'Ivoire, de la couverture du quotidien public Fraternité Matin, qui a consacré une surface globalement équivalente aux quatorze candidats en lice et utilisé presque systématiquement un ton neutre vis-à-vis de chacun d'eux, conformément aux dispositions de la loi électorale et du Conseil national de la presse (CNP). L'organisation invite les trois quotidiens privés Le Nouveau Réveil, Notre Voie et Le Patriote, dont les couvertures de la campagne électorale ont été jusqu'à présent extrêmement partisanes, à s'inspirer de cet exemple pour offrir à leurs lecteurs une information plus équilibrée et contribuer ainsi de manière positive à la pluralité du débat démocratique et électoral.

Contrairement aux déclarations du président du Conseil national de la communication audiovisuelle (CNCA), Franck Anderson Kouassi, le 20 octobre 2010, selon lesquelles "tout le monde est traité au même niveau, de façon égalitaire", Reporters sans frontières constate avec beaucoup d'inquiétude que les médias de l'audiovisuel public - la radio RCI et la télévision RTI - n'assurent pas un traitement équitable de l'actualité des quatorze candidats en lice. Si les dispositions du CNCA relatives à la diffusion d'espaces dédiés pour chacun des candidats ("tranches gratuites") sont bien respectées, en revanche, le reste des programmes évoquant la compétition électorale (journaux d'information, journaux de la campagne, magazines, etc.) offre un avantage très significatif au président sortant Laurent Gbagbo.

Celui-ci a en effet bénéficié, aussi bien sur la RTI que sur la RCI, de temps d'antenne de deux à cinq fois supérieur à ceux des autres candidats. Reporters sans frontières estime que la couverture par la RTI des activités de Laurent Gbagbo en tant que président de la République est excessive. Elle constitue, au même titre que la diffusion de communiqués achetés par des groupes de soutien au candidat Gbagbo sur les plages commerciales de la RCI, une forme de campagne déguisée, fausse le jeu démocratique et fait douter de la neutralité des médias de l'audiovisuel public. L'organisation appelle donc la RTI et la RCI à agir sans délai pour respecter les règles éditées par le CNCA, qui exige que les quatorze candidats bénéficient d'un temps d'antenne strictement égal durant les deux semaines de la campagne officielle.
La partialité de l'audiovisuel public est d'autant plus dangereuse pour la pluralité du débat démocratique et électoral que les télévisions et les radios privées non commerciales ne sont pas autorisées à couvrir les activités des candidats, à l'exception des programmes de la RTI et de la RCI qu'elles peuvent rediffuser sur leur antenne sans en modifier le contenu. Le samedi 16 octobre, le CNCA a ainsi sanctionné la petite radio communautaire Abidjan 1 d'une interruption de programmes de deux semaines (toute la durée de la campagne électorale) pour avoir diffusé des programmes relatifs aux activités des candidats.

Reporters sans frontières s'interroge sur l'impartialité du CNCA dont les procédures de contrôle des candidats ne s'exercent pour l'instant qu'au détriment d'Alassane Ouattara et Henri Konan Bédié, tous deux considérés comme les principaux concurrents du président Laurent Gbagbo. Le CNCA a blâmé un journaliste de la RTI pour avoir utilisé un ton très favorable à Alassane Ouattara dans un reportage diffusé le samedi 16 octobre, et a demandé, le même jour, à Henri Konan Bédié, de modifier une phrase d'un spot de campagne jugé trop agressif à l'égard de Laurent Gbagbo. Reporters sans frontières comprend ces mesures - destinées à garantir la neutralité des médias audiovisuels publics - mais s'étonne que la RCI n'ait pas été blâmée pour la diffusion, le vendredi 15 octobre, de communiqués informant les auditeurs des lieux et dates des meeting électoraux de Laurent Gbagbo, une pratique constituant pourtant une violation flagrante de la règle - que le CNCA a lui-même édictée - qui interdit aux médias audiovisuels d'évoquer la compétition électorale sur des plages commerciales payantes.
Reporters sans frontières rappelle enfin que la procédure de tirage au sort n'a pas été appliquée par le CNCA pour déterminer l'ordre de passage des candidats à l'élection présidentielle dans l'émission spéciale "Face aux électeurs", diffusée quotidiennement et simultanément sur la RTI et la RCI depuis le 16 octobre. Cette émission, programmée à une heure de très grande audience, permet chaque jour à un candidat différent de présenter pendant 90 minutes son programme électoral. Reporters sans frontières estime que les critères retenus par le CNCA - qui ont placé le président sortant Laurent Gbagbo en dernière position, soit la position la plus avantageuse - sont contestables. Nous constatons qu'ils conduisent actuellement le candidat Henri Konan Bédié à reconsidérer sa participation à l'émission.

Voir le site Internet de Reporters sans frontières pour consulter les graphiques par média (http://fr.rsf.org/cote-d-ivoire-premiere-semaine-de-monitoring-des-22-10-2010,38647.html)

RTI ? Radio-Télévision Ivoirienne (chaîne publique)

Conformément aux dispositions du CNCA, les programmes dédiés à la campagne électorale de la première chaîne de télévision publique RTI se composent du "Journal de la campagne", durant lequel les journalistes de la chaîne doivent consacrer un reportage de 2 minutes tous les deux jours à chaque candidat (incluant un maximum de 45 secondes de temps de parole directe), de la diffusion de spots de campagne réalisés par les candidats eux-mêmes (PAD de 5 minutes maximum tous les 2 jours), ainsi que de l'émission "Face aux électeurs". Ce canevas est globalement bien respecté, tous les candidats ayant en effet bénéficié d'une couverture quantitative (temps d'antenne) et qualitative (ton du traitement journalistique) à peu près équivalente. Le temps d'antenne deux fois supérieur aux autres candidats attribué à Laurent Gbagbo s'explique en grande partie par la diffusion dans les journaux d'information - qui ne sont pas autorisés à évoquer les candidats - de longs reportages sur ses activités en tant que président de la République en exercice. Le mercredi 20 octobre, par exemple, la RTI a diffusé à deux reprises, dans le journal de midi et dans celui du soir, un reportage de 3 minutes consacré à l'envoi, par Laurent Gbagbo, du ministre des Transports dans la ville de San Pedro pour doter de 21 millions de Francs CFA un fonds de soutien aux familles de marins disparus en mer en 2009.

RCI ? Radio Côte d'Ivoire (station publique)

La couverture de la campagne électorale sur la radio publique RCI obéit aux mêmes règles que sur la RTI : "Journal de la campagne", avec un reportage de 1 min 30 consacré à chaque candidat tous les deux jours, spots de campagne, et émission "Face aux électeurs". Mais la partialité de la couverture s'exerçant en faveur du président sortant y est encore plus flagrante que sur la RTI. La RCI attribue à Laurent Gbagbo des temps d'antenne nettement supérieurs à ceux des autres candidats dans les journaux de la campagne, diffuse des communiqués achetés par ses groupes de soutien, et programme dans ses magazines musicaux des chansons faisant l'apologie du Président sortant.

Fraternité Matin (Presse écrite publique)

Le quotidien public Fraternité Matin assure un traitement équitable des quatorze candidats en lice. Le quotidien a octroyé à chacun une surface équivalente et a utilisé un ton presque systématiquement neutre pour faire le récit de leur campagne ou pour exposer leur programme politique.

Presse écrite privée

Les quotidiens privés Le Patriote, Notre Voie et Le Nouveau Réveil ont une couverture extrêmement partisane de la campagne électorale. Chacun octroie une surface considérable au candidat qu'il soutient et traite de manière négative, en ayant parfois recours à un langage très agressif, l'actualité et le programme du candidat qu'il considère comme le principal concurrent de son favori. Le Patriote (Alassane Ouattara) et Le Nouveau Réveil (Henri Konan Bédié), véhiculent ainsi une image très négative de Laurent Gbagbo tandis que Notre Voie, l'un des principaux quotidiens soutenant le président sortant, utilise un ton comparable à l'égard des deux autres candidats.

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