par BBC
Les autorités militaires du Niger ont décidé de nationaliser SOMAIR (Société des mines de l'air) dont plus de 63% des actions sont détenues par la société française Orano, l'ex-Areva. C'est par une décision prise en Conseil des ministres ce jeudi 19 juin 2025.
SOMAIR est détenue conjointement par le gouvernement du Niger qui a 36,60% à travers la Société du patrimoine des mines du Niger (SOPAMIN) et la société française de combustibles nucléaires Orano qui détient 63,40% des actions.
La nationalisation, selon le gouvernement nigérien, « va permettre une gestion plus saine et plus durable de la société et par conséquent, la jouissance optimale des richesses issues des ressources minières par les Nigériens ».
Le communiqué du Conseil des ministres a précisé en outre que les actions et le patrimoine de la SOMAÏR « sont intégralement transférés, en toute propriété, à l'Etat du Niger ».
« Les détenteurs d'actions transférées à l'Etat bénéficient d'une indemnité en compensation des actions détenues dans le capital de la SOMAIR, en tenant compte de toutes les obligations légales qui leur incombent à l'échelle nationale notamment les frais de réhabilitation des sites miniers », souligne le gouvernement.
Le Niger a pris cette décision à la suite de plusieurs griefs portés contre son partenaire qu'il accuse d'avoir posé des « actes irresponsables ».
Parmi les accusations du gouvernment nigérien contre Orano, figure l'expiration de la dernière convention minière en décembre 2023. Le gouvernement a aussi relaté une inégalité dans la commercialisation des produits de l'exploitation d'uranium par la société française.
« De 1971, date de démarrage des activités à 2024, la production cumulée de cette mine d'uranium est de 81 861 TU. La production commercialisée est de 80 518 TU repartie comme suit : Orano a enlevé 86,3% de la production totale commercialisée; SOPAMIN a commercialisé 9,2% de la production totale commercialisée », fait savoir le communiqué.
Et le gouvernement de préciser que « selon l'entente faite par les actionnaires, l'Uranium produit par la SOMAÏR est enlevé par les actionnaires au prorata de leurs participations respectives. Mais les chiffres mentionnés sont très loin de refléter, comme on le constate, cette règle de partage ».
La société française est à l'origine de plusieurs actions contreproductives qui nuisent au partenariat, selon le communiqué qui l'accuse, précisant que ceci a commencé depuis l'arrivée du régime militaire le 26 juillet 2023.
Selon le gouvernement, Orano fait « rapatrier tous les ressortissants Français travaillant à SOMAIR, abandonnant ainsi leurs postes sans préavis » dans le but « d'arrêter les travaux d'exploitation » de la société.
« Le 04 décembre 2024, Orano a déconnecté le système informatique de la SOMAÏR du réseau global du Groupe, ce qui l'a rendu non opérationnel et a résilié toutes les licences sans préavis », accusent les autorités nigérienes.
Elles déclarent en plus qu'« outre tous ces actes irresponsables, Orano, actionnaire majoritaire de la SOMAIR a mené plusieurs campagnes d'intoxication pour créer des problèmes entre la société, ses fournisseurs, ses clients, ses sous-traitants et ses employés ».
« Par ailleurs, l'actionnaire Orano qui a exploité la mine de COMINAK de 1978 à 2021 a, depuis la fin de l'année 2024, décidé d'arrêter les travaux de réhabilitation du site de la COMINAK qui est en fin d'exploitation à partir du 31 mars 2021, en violation d'une exigence légale ».
La société française n'a pas encore réagi suite à cette décision de nationalisation de SOMAIR par le Niger. Contacté, le service presse n'a pas voulu donner de suite aux sollicitations de BBC Afrique.
Mais sur le site officiel d'Orano, il est indiqué que plusieurs procédures internationales d'arbitrage ont été engagées à l'encontre de l'Etat du Niger, depuis que la société a constaté la perte de contrôle des filières nigériennes en décembre 2024. Ces procédures sont pendantes auprès du Centre International pour le Règlement des Différends relatifs aux Investissements (CIRDI).
« L'entrave de l'État du Niger dans la commercialisation de la production, ainsi que l'anéantissement des droits d'enlèvement d'Orano, n'ont fait qu'aggraver la situation financière de la SOMAÏR et le préjudice subi par Orano. La dégradation de la situation a conduit le groupe à constater le 4 décembre 2024 la perte de contrôle opérationnel de la SOMAÏR », écrit la société sur son site.
En tant actionnaire majoritaire, Orano entend réclamer des dommages et intérêts et « de faire valoir ses droits sur le stock correspondant aux productions de la SOMAÏR ». La société ajoute qu'elle « réserve également le droit d'initier toutes actions, y compris contre des tiers, en cas de préemption de la matière en violation de ses droits d'enlèvement ».
« Cette action fait suite à une première requête d'arbitrage engagée le 20 décembre 2024 à l'encontre de l'État du Niger relative au retrait du permis d'exploitation de la mine d'IMOURAREN. Orano exprime ses plus vifs regrets face à l'évolution de la situation et au positionnement de l'État du Niger qui pèsent lourdement sur les salariés des sociétés minières filiales du groupe et sur les communautés locales ».
En mai dernier, la société a saisi la justice pour « détention arbitraire d'un de ses collaborateurs au Niger » après que les forces de sécurité nigériennes ont fait irruption dans les bureaux des filiales SOMAÏR, COMINAK, IMOURAREN SA et Orano Mining à Niamey pour arrêter le directeur d'Orano Mining Niger.
Ce dernier, selon la société, « aurait été conduit à la Direction Générale de la Documentation et de la Sécurité Extérieure (DGDSE) ». « Depuis cette arrestation arbitraire et extra-judiciaire, aucune communication n'a pu être établie avec lui, et la police empêche toujours l'accès aux locaux des filiales à Niamey ».
La décision des autorités militaires nigériennes de nationaliser la mine d'uranium est un tournant dans le conflit entre le Niger et la société française Orano. Ce différend est né de la détérioration des relations entre la France et le Niger au lendemain du coup d'Etat du 23 juillet 2023.
Le président français Emmanuel Macron avait vivement condamné le coup d'Etat à l'époque, et appelé au rétablissement de l'ordre constitutionnel en faveur du président déchu Mohammed Bazoum qui était l'un de ses plus proches partenaires africains sur le plan politique et sécuritaire.
Paris a soutenu la position de la Communauté Economique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) qui menaçait d'intervenir militairement au Niger pour rétablir l'ordre constitutionnel.
Les relations entre les deux Etats se sont alors considérablement refroidies avec l'émergence d'une certaine hostilité et de la méfiance du Niger à l'égard de la France.
La junte avait pris le contrôle de SOMAIR et les efforts d'Orano pour reprendre ses exportations sont bloqués par le régime militaire, plongeant ainsi la société dans une crise financière, selon ses responsables.
Toutefois, le blocus de la CEDEAO a empêché l'exportation de la production de la mine de Somair. Fin février 2024, l'itinéraire habituel d'exportation de l'uranium, via le port béninois de Cotonou, est resté bloqué, car la junte a maintenu la frontière fermée dans le cadre d'un conflit politique avec le Bénin.
Pour cela, Orano a proposé d'expédier l'uranium par avion, mais le régime n'a pas retenu cette proposition.
En juin, la junte a annulé les droits de la société française de développer une nouvelle mine sur l'important gisement d'Imouraren, qui avait été considéré comme le principal nouvel espoir de croissance du secteur de l'uranium.
Selon un rapport du Financial Times publié en mai dernier, la société française étudiait également la possibilité de vendre sa participation dans l'entreprise d'uranium.
Le Niger, par cette décision, rejoint ses alliés de l'Alliance des Etats du Sahel (AES) qui, sans exception, se sont inscrits dans une dynamique de nationalisation de leurs ressources minières.
Avant le Niger qui a pris la décision ce 19 juin 2025, le Mali et le Burkina Faso, dirigés également par des juntes après des coups d'Etat, ont nationalisé plusieurs mines dans leur pays.
Après avoir révisé son code minier l'année dernière, le Burkina Faso cherche à contrôler une part importante des ressources dans son pays. La Société de participation minière du Burkina (SOPAMIB) a donc été créée et a pour mission de posséder, de gérer et d'exploiter des actifs miniers stratégiques.
Un décret publié la semaine dernière indique le transfert de cinq mines d'or à SOPAMIB. Ce sont deux mines d'or en exploitation et trois permis d'exploration détenus par des filiales de la société Endeavour Mining (EDV.L), cotée à Londres.
Le décret souligne que « cette acquisition s'inscrit dans le cadre de la politique de souveraineté de l'État en matière de ressources minières, afin d'en optimiser l'exploitation au profit de la population ».
De son côté, le Mali a pris des mesures prises par le gouvernement pour bloquer les exportations d'or et saisir les stocks d'or détenus par les filiales de Barrick Mining (ABX.TO), une société canadienne. Celle-ci a été placée sous le contrôle de l'Etat à travers un tribunal en début de semaine, suit au litige portant sur les taxes et la propriété. Barrick a indiqué qu'elle ferait appel de la décision.
« La justice n'a été ni entendue, ni servie », a déclaré à Reuters Issaka Keita, l'un des avocats de Barrick.
Les deux parties négocient depuis 2023 la mise en ?uvre d'un nouveau code minier qui augmente les taxes et donne au gouvernement une plus grande part dans les mines d'or.
Le permis d'exploitation minière de Barrick au Mali devrait expirer en février 2026, selon des personnes au fait du dossier.
Le Mali, le Burkina Faso et le Niger, après les coups d'Etats et la vague de condamnations qui a suivi, ont décidé de quitter le bloc ouest-africain, la CEDEAO, pour créer l'Alliance des Etats du Sahel.
Les trois pays évoquent la souveraineté nationale et comptent renégocier les contrats économiques avec leurs partenaires pour le développement de leurs populations.