mercredi 22 dcembre 2010 par Libération

Aussi dérangeantes l`une que l`autre, deux leçons sont à tirer de la crise en Côte-d`Ivoire. La première est que, même lorsqu`elles défendent une cause aussi évidente que la volonté exprimée par les urnes ivoiriennes, même lorsqu`elles défendent vraiment le droit et la démocratie, les grandes puissances et les institutions internationales sont singulièrement démunies.

Elles peuvent, bien sûr, recourir aux sanctions économiques mais, outre qu`il n`est pas facile de les adopter car elles contrarient toujours les intérêts politiques ou commerciaux de certains des pays qui ont à les voter, ces sanctions ne peuvent pas avoir d`effet immédiat. Les peuples en souffrent bien avant ceux qui bafouent leurs droits. Aucune n`est incontournable et, même lorsque l`Etat concerné dépend aussi largement que la Côte-d`Ivoire des aides et prêts extérieurs, les pouvoirs en place peuvent y survivre longtemps. Les sanctions ne sont pas la panacée et l`autre arme des grandes puissances, l`intervention militaire, est encore plus difficile à manier.

Pour être légale au regard du droit international, une intervention extérieure doit être approuvée par l`ONU. Si elle ne l`est pas, elle ne fait que tendre les relations entre continents et grandes puissances mais ce consensus onusien est d`autant plus rare qu`il n`y pas que la Chine et la Russie pour répugner à mettre des Casques bleus au service de la démocratie. Peu ou prou, tous les Etats ont des réserves sur le droit d`ingérence. Ils sont même de plus en plus nombreux à y être hostiles, non seulement car aucun n`aimerait qu`il puisse s`appliquer à eux mais aussi parce qu`il y a de bonnes raisons d`en contester l`efficacité et, donc, la pertinence.

Quand une organisation humanitaire intervient dans un conflit pour soigner des blessés et nourrir des réfugiés, elle ne prétend qu`à sauver des vies. Elle ne prend pas de responsabilité qu`elle ne puisse assumer mais lorsque, drapeau de l`ONU ou pas, des Etats entreprennent d`aller faire respecter la démocratie par les armes, ils ne peuvent pas se contenter de débarquer et repartir aussitôt. Le pays dans lequel ils s`ingèrent est, par définition, fragile et déchiré. Il faut prendre en charge son destin, en rétablir l`économie, y créer ou recréer les conditions de la paix civile. Cela demande non seulement d`y investir beaucoup d`argent mais aussi d`y rester assez longtemps pour satisfaire à une obligation de résultats sans pour autant devenir impopulaire.

Les exemples afghan et irakien sont là pour dire à quel point ce pari est risqué. Aucun pays ne peut, en fait, s`y lancer sans que de puissants intérêts nationaux ne justifient, aux yeux de son opinion, les pertes humaines et les dépenses budgétaires qu`il implique. C`est une condition sine qua non mais, dès lors que ces intérêts sont clairs, ils fonderont vite les accusations d`impérialisme ou de néocolonialisme avant de susciter de réactions de rejet contre ce qui apparaîtra bientôt comme une occupation étrangère. A aucun point de vue, on ne prend impunément parti dans un conflit intérieur car ses raisons profondes, historiques, sociales, ethniques ou religieuses, sont encore plus difficilement surmontables de l`extérieur et la seconde leçon de cette crise n`est pas moins cruelle.

Jamais l`indépendance nationale ne fut aussi belle que sous le colonialisme. Très peu des pays sortis des empires du XXe siècle ont pu se stabiliser dans la démocratie parce que leur domination avait été rendue possible par leur retard sur l`Europe, que les puissances coloniales ne les ont pas développés mais saignés à blanc, que la répression y a interdit l`affirmation de vraies forces politiques et qu`ils disposaient de si peu de cadres à leur indépendance qu`ils ont troqué le colonisateur contre le dictateur.

Le postcolonialisme, en un mot, ne leur a guère été plus bénéfique que le colonialisme. Pire encore, quand des élections y sont organisées, elles réveillent trop souvent des antagonismes ethniques car, loin d`avoir dessiné des Etats-nations, les frontières coloniales ont été tracées par des occupants dont le premier souci était de diviser pour régner en faisant éclater et mélangeant des peuples de cultures et traditions différentes.

Cela se surmontera peut-être mais on n`y est pas, particulièrement pas en Afrique noire où la question des frontières ne s`apaise pas mais s`enflamme toujours plus. Même si les pressions internationales finissaient par faire entendre raison à Laurent Gbagbo avant que son pays ne replonge dans la guerre civile, il resterait à réconcilier deux Côte-d`Ivoire, coupées l`une de l`autre depuis près d`une décennie. Organisées et contrôlées par l`ONU, des élections libres n`y ont pas suffi. ... suite de l'article sur Libération

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