jeudi 31 mars 2011 par Le Temps

Cet entretien a été réalisé quelques jours avant l'embrasement des lignes de front. L'officier de l'armée ivoirienne y fait des révélations sur la situation que vit la Côte d'Ivoire, en ce moment.

Que se passe-t-il sur les fronts ?
Nous savons actuellement que les fronts connaissent une animation. Mais ce qui se passe actuellement à l'Ouest est très grave. En effet, les rebelles ont décidé d'occuper tout l'Ouest afin d'obliger le président Gbagbo à faire des concessions inimaginables. Je pense que la réaction de notre armée n'est pas du tout à la hauteur de la gravité des événements.

Vous remettez en cause le dispositif de défense ?
La guerre n'est pas du virtuel, C'est l'offensive qui fait basculer la peur chez l'adversaire. Même si vous n'êtes pas sûr de prendre sa position. L'ennemi vous respecte quand vous êtes capables de le faire trembler sur ses propres bases.

A votre avis, pourquoi nos militaires ne se battent pas ?
Très bonne question. Sachez que nous ne sommes pas des rebelles. Eux ont la culture de l'offensive. Cela est naturel pour toute rébellion. La timidité de notre réaction peut s'expliquer par deux raisons. Depuis l'accord de Ouaga, les militaires ont regagné les casernes et donc toutes les positions qu'ils occupaient sur le théâtre des opérations sont restées vides jusqu'aujourd'hui. Sauf, quelques positions. La promotion Blé Goudé était des recrues qui ont été d'un apport incontournable dans cette guerre. Malheureusement, beaucoup sont rentrés dans des corps para dans le cadre du Ddr. Donc, il se pose un problème d'effectif. Il faut donc du sang nouveau pour alimenter les camps militaires à vocation de défense et redéployer ce monde sur les anciennes positions. Il est vrai que l'Etat a formé beaucoup de gendarmes et de policiers. Mais tant que les militaires ne sont pas sur les fronts, c'est comme si une dent manquait dans l'engrenage ; ce qui fait mal tourner le système.

L'armée est en train de faire le recrutement
Ce recrutement est tardif. Mais si les formateurs procèdent par une sorte de double vacation, ils pourront réussir et redéployer les éléments à temps avant qu'il ne soit trop tard. Sachez que ce ne sont plus les petits rebelles mal équipés qui nous attaquent ; ce sont les militaires de la Cedeao qui nous combattent. Ce n'est plus le moment de faire des replis stratégiques. Cela est inacceptable. Les Ivoiriens doivent savoir que l'Ouest est la zone la plus stratégique. Si tout l'Ouest est occupé, nous allons perdre plus de la moitié de notre production de cacao. Les habitants de l'Ouest ont payé le lourd tribut à cette guerre depuis 2002. Je ne comprends donc pas pourquoi le Com-théâtre n'a pas pris de dispositions pour que les rebelles ne puissent pas prendre une seule position des loyalistes. En principe, on devrait profiter de cette provocation pour libérer Man, Danané, et Vavoua. J'exhorte le Cema à mettre en place un plan d'urgence afin de libérer tout l'Ouest. Sachez que cette zone est très favorable aux Fds, contrairement au Nord qui est une zone hostile, par endroits.
Libérer Danané, Man, Vavoua n'est pas très difficile car la population est prête à collaborer et accueillir nos forces.
Les rebelles ont l'intention de prendre d'autres zones. Mais, ils sont confrontés à un problème d'effectif et de logistique. Ils ne comptent que sur les livraisons de matériels que leur fournissent le Burkina Faso, l'Onuci et la France.

Quelle stratégie doit entreprendre notre armée ?
Il n'y a rien de secret maintenant. Abidjan et Anyama sont occupés par des rebelles, par endroits. Cela montre la gravité de la situation. Nous sommes en guerre et notre état-major doit prendre des mesures plus vigoureuses. Pendant que le gouvernement occupe les terrains politiques et économiques, il faut que notre armée demande les moyens appropriés afin de libérer le pays. Il faut que dans chaque région sous contrôle gouvernementale, nous ayons un camp de patriotes entrainés par des militaires, prêts à recevoir les moyens pour aller au front comme l'ont fait les Gpp, Flgo Apwe
Pour la formation des patriotes, on n'a pas besoin de rassembler tout le monde dans les centres d'instruction. Ils peuvent faire comme des élèves qui vont à l'école le matin et rentrent à la maison après les cours. Ainsi par cette méthode, on pourra former un grand nombre à moindre coût. Cela ne doit pas se faire dans la clandestinité. La population de chaque région doit manifester sa solidarité en apportant des vivres. Cela est très urgent, sinon dans un mois, tout l'Ouest sera occupé par la rébellion.

N'y a-t-il pas un risque de revoir les milices avec leurs corollaires d'insécurité ?
Pas du tout. Si cela est fait pour faire une offensive, on ne parlera plus de miliciens. Mais plutôt des militaires qui seront intégrés dans la nouvelle armée.
Les rebelles ont très peur des recrues car ils connaissent leur capacité de réaction. Rappelez-vous de Zuénoula. Même lors de la deuxième attaque de cette localité, en février 2003, les recrues de Daloa commandées par le major le brave n'ont même pas mis deux heures pour neutraliser tous les rebelles. Ce sont les recrues qui font la guerre. Ils ont toujours su tenir les positions sous la direction des anciens. Sachez aussi qu'il n'y a pas de traites parmi eux.
Malheureusement, beaucoup d'entre eux ont été renvoyés pour des raisons que le Cema pouvait tolérer. Sachez que dans l'Opération Dignité, tous les militaires se battaient pour faire partie des sections de combats qui allaient faire l'offensive. Il y avait un engouement. Les fantassins qui ont décollé le samedi matin, n'ont eu aucune résistance de la part des rebelles dans leurs progressions. Sachez que si nous ne prenons pas des dispositions urgentes, nous ne pourrons rien faire quand l'ennemi va faire décoller ses avions et ses chars. La seule urgence est de faire une offensive pour libérer tout l'Ouest. Il faut que la guerre fasse rage à l'Ouest. Si les rebelles perdent une seule ville, Alassane va démissionner.

Votre mot de fin.
Je remercie votre journal qui fait l'effort de donner la vraie information aux Ivoiriens, malgré les conditions sécuritaires très dégradantes. Je dis aux Ivoiriens que les rebelles ne pourront jamais prendre Abidjan malgré leurs soutiens en matériels. Nos militaires sont capables de nettoyer Abobo mais les rebelles utilisent une technique terroriste qui empêche les Fds d'opérer correctement. Il leur suffit seulement d'adapter leur technique de combat à la nouvelle donne.
La Bae seule est capable de sécuriser ces quartiers difficiles.
Je demande aux Ivoiriens de se mobiliser pour que l'Ouest soit arraché aux rebelles avant la fête de Pâques. C'est l'enjeu de cette guerre. Soro est pressé d'occuper l'Ouest afin que l'Onu impose un cessez-le-feu à Gbagbo. Ils sont actuellement en train de grignoter nos positions. Cela ne doit pas nous écarter de l'objectif qui est de les chasser de cette zone forestière.
Notre armée doit faire un sursaut. La situation est encore sous contrôle. Mais il faut faire vite car selon certaines informations, les rebelles sont en train de se ravitailler en hommes et en matériels pour contrôler tout l'Ouest. Que le Cema rappelle tous les réservistes, les éléments de la promotion Blé Goudé radiés. Qu'il se rappelle de l'histoire du joueur italien Paolo Rossi. Que le peuple de Côte d'Ivoire fasse comme en 2002 afin d'encourager nos Fds.
Qu'on passe d'un schéma classique de défense à un schéma d'urgence qui s'adapte à la situation actuelle. Si les Fds font une progression, le Golf va s'écrouler. Nous sommes aussi capables d'occuper une partie de Bouaké comme ils le font actuellement à Abidjan. Mais Bouaké n'est pas stratégique. L'objectif est l'Ouest-montagneux qui nous est favorable. Dieu bénisse le Côte d'Ivoire.

Entretien réalisé par
Renaud Djati
Coll : Tché Bi Tché.

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