mercredi 20 juillet 2011 par Notre Voie

Comment résumer les 100 jours d'Alassane Ouattara au pouvoir ? Surtout quel bilan doit-on faire de sa gestion sous l'angle de la protection des libertés individuelles et collectives ? Quelle est sa conception de la séparation des pouvoirs dans une république telle que la Côte d'Ivoire ? Quelle est le sort réservé à la presse privée naguère libre et indépendante ? En somme, quel est l'Etat de la démocratie depuis son arrivée au pouvoir ? Au plan formel, l'intitulé du livre du journaliste sénégalais Latif Coulibaly Wade, un opposant au pouvoir. L'alternance piégée (Editions Sentinelles, Dakar, 2003, 300 pages) campe à grands traits la situation ivoirienne. A la différence que Abdoulaye Wade est le président du Sénégal et que l'objet de cette analyse est le Chef de l'Etat ivoirien Alassane Ouattara. A la différence également que le Sénégal n'est pas la Côte d'Ivoire et donc il saurait avoir de similitude parfaite entre la gestion de ces deux hommes d'Etats.

Où sont les partis d'opposition ?

Alassane Ouattara arrive au pouvoir, le 11 avril 2011, dans un contexte de pluralisme politique ; son parti, le Rdr, était lui-même dans l'opposition depuis sa création en 1995, soit durant 16 ans. A la faveur du multipartisme exigé par les forces du progrès, dont la figure emblématique est Laurent Gbagbo, feu Félix Houphouët Boigny concède la création de partis politiques autre que le Pdci-Rda. C'est ainsi que une centaine de partis politiques ivoiriens est crée, progressivement, sur les vingt années qui vont suivre. Soit d'avril 1990 à ce jour. Mais une bonne dizaine, en réalité, est présente au sein de la sphère politique. Les autres n'ayant pas les moyens humains et financiers de s'assumer. Ainsi, en Côte d'Ivoire, les libertés individuelles et collectives se déclinent au quotidien, depuis 20 ans, par la liberté pour les membres d'un parti politique de se réunir, de s'exprimer ouvertement et sans crainte sur les questions concernant la nation, de revendiquer (marche pacifique) et d'aller à la rencontre de leurs militants et sympathisants (liberté de circulation). Force est de reconnaître que une rupture brutale s'est opérée dès l'arrivée du Chef de l'Etat actuel au pouvoir. Par la force du canon. Une opaque ombre s'est abattue sur l'avenir, pourtant, prometteur de la démocratie ivoirienne. Et les signes qui l'attestent ne manquent pas. En effet, c'est bien la première fois que près de 300 personnalités (proche de Laurent Gbagbo), pour l'essentiel des prisonniers politiques, sont emprisonnées par grappe pour être incarcérées à la faveur d'un changement de régime. Dans diverses prisons au nord du pays qui fait office, désormais, de goulag à l'ivoirienne. Du nom de ces célèbres lieux de déportation soviétique où les opposants étaient envoyés pour purger des peines parfois illimités. Jusqu'à ce que mort s'en suive quelque fois. C'est également la première fois, en Côte d'Ivoire, qu'un Chef de l'Etat sortant, en l'occurrence Laurent Gbagbo (2000-2011), subit les supplices d'un vulgaire bandit de grand chemin avant d'être jeté dans les geôles infâmes. Privé d'assistance juridique, de communication et de présence affective dans sa prison de Korhogo, il est un peu un bagnard à l'américaine, attendant fébrilement et sachant très peu sur son sort. La mort ? La vie ? Pour quel motif ? Rien ne lui a été pour l'instant été signalé. Où est l'immunité dont devrait jouir un président de la république sortant ? Pareil fait ne s'est jamais produit en Côte d'Ivoire depuis 50 ans. Feu Félix Houphouët Boigny (1960-1993), premier président de la Côte d'Ivoire moderne n'a pas osé, même en 1963 (les faux complots), prendre pareil risque d'enfermer, en si grand nombre la crème de l'intelligentsia. Même le général de brigade, Robert Gueï, le Chef de l'Etat de la transition (1999-2000), à la tête d'une junte militaire n'a pas réservé un traitement de bagnard au président Henri Konan Bédié qu'il a renversé. On ne lui connaissait pas de prisonnier politique. Aujourd'hui, la Côte d'Ivoire des forces du progrès est laminée. Les partis qui la composent sont terrés, embastillés, malmenés et n'ont plus d'autres choix que de se cacher ou d'avoir le réflexe du somnambule : il faut se laisser conduire par l'ennemi et accepté tout pour ne pas perdre sa substance. Le Front populaire ivoirien (Fpi) a été décapité et sa sève s'est répandue. Jugez-en vous-même : Laurent Gbagbo (fondateur), Mme Simone Ehivet Gbagbo (1ère vice présidente, député, présidente du groupe parlementaire), de Affi N'Guessan (président, ex-Premier ministre), de Sangaré Aboudrahamane (2è vice président) croupissent tous en prison. En somme, la tête pensante de ce parti et dans une certaine proportion celle qui a contribué à impulser les valeurs démocratiques depuis 20 ans en terre ivoirienne. La majorité présidentielle (Lmp), au sein de laquelle le Fpi fait figure de levain, est déstructurée par la même occasion parce que ses autres membres ont été arrêtés à l'image de Mme Danielle Boni Claverie. Les autres partis politiques tels que l'Usd et le Pit n'ont pas osé lever le petit doigt devant la violence ambiante. Ce serait d'ailleurs suicidaire. Il n'y a pas de parti politique de l'opposition, pour l'instant, qui a retrouvé l'effectivité de ses activités. La nation ivoirienne présente, pour l'instant, les signes cliniques d'un retour à la pensée unique (1960-1990). Avec son corollaire de mécontents chroniques, de citoyens emprisonnés, d'exilés. Comme on le constate déjà depuis le fameux 11 avril 2011, alors que la constitution en son article 12 proscrit l'exile forcé à un ivoirien.

Assemblée nationale indésirable

Le monde de la presse, véritable moteur dans une démocratie, n'est pas à l'abri des difficultés d'existence que vivent les partis politiques et, il faut le signaler, les syndicats. Par l'arrestation, à titre d'exemple, de Basile Mahan Gahé de la centrale Dignité. Par ailleurs, la presse de l'opposition proche du Fpi souffre le martyr. Elle est dans la tourmente. En somme, l'épée de Damoclès pèse sur toute la presse dite bleue en référence à la couleur symbole du parti de Laurent Gbagbo. Le siège social du journal Notre voie est occupée depuis le 11 avril 2011, illégalement par des hommes en armes. Qui ont saccagé, pillé et parfois brûlé tout l'outil de production (ordinateurs, imprimerie, matériel de bureau, etc.) Le quotidien Le Temps , proche comme Notre voie du régime de Laurent Gbagbo, a été pillé. Il a été, en outre, suspendu (momentanement) de parution au même titre que le journal Aujourd'hui avec qui il partage globalement la même ligne éditoriale. Autre fait : les institutions de la république, à l'exception de la Présidence ; n'ont pas trouvé grâce auprès des nouvelles autorités. De sorte que la séparation des pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire), consacrée par la deuxième république et qui s'est révélé être le socle de la démocratie ivoirienne pendant 20 ans, est menacée. L'Assemblée nationale présidée par Mamadou Koulibaly a vu son fonctionnement être paralysé par deux faits : premièrement des membres de l'hémicycle ivoirien sont incarcérés sans tenir compte de leur immunité parlementaire. Mme Simone Ehivet Gbagbo (député, présidente du groupe parlementaire Fpi), emprisonnée à Odienné, est le signe tangible que la justice est aveugle et frappe sans discernement en ce moment. Deuxièmement, le président Ouattara a visiblement une préférence pour la gestion par ordonnance pour ce qui est des affaires de l'Etat. On ignore, en tout cas, si l'Assemblée nationale sera sollicitée ou ignoré. Le refus du Chef de l'Etat, Alassane Ouattara de répondre à l'invitation du président de l'Assemblée nationale, Mamadou Koulibaly, donc des députés, le 27 avril 2011, est t-il un signal qu'il envoie à l'opinion ? Doit-on le décrypter dans le sens de sa volonté de ne pas tenir compte de ce lieu de débat national ? De même, le Conseil Constitutionnel (Cc) est en pleine inertie. Il est paralysé du faite de sa prouesse, jamais égalé, d'avoir fait deux prestations de serment pour la même élection. Cela a fait désordre et agité les consciences des juristes. Il est également en panne parce que l'exécutif a remplacé en son sein, en violation flagrante de la constitution, deux membres. Que devient l'impartialité basée sur le respect des règles ? La réalité est identique au Conseil économique et social (Ces) dirigé par le passé par Laurent Dona Fologo, Il a changé de présidence par la volonté des tenants du pouvoir. Au mépris des règles régissant cette institution. Cerise sur le gâteau, le personnel de ces institutions n'est pas payé, selon des sources, après la chute du régime passé. Conséquence : aucune institution ne fonctionne réellement. Et la démocratie s'en trouve pénalisé. Qui a affirmé que en Côte d'Ivoire, si nous ne prenons pas garde, nous risquons d'avoir un hyper président, qui concentre entre ses mains tous les pouvoirs ?

Serge Armand Didi

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