mercredi 19 octobre 2011 par Nord-Sud

Si l'Etat a fixé le prix bord champ du cacao à 1.000 Fcfa le kilogramme, la réalité est tout autre sur le terrain, une semaine après l'ouverture de la campagne. Dans les zones de productions (Man, Soubré, Gagnoa et Abengourou), les paysans dénoncent la loi des pisteurs et autres acheteurs véreux et demandent une forte implication du gouvernement.


Man : le règne des pisteurs véreux

Situation déplorable dans la région des 18 montagnes. Rien n'a chan­gé, fulmine le président de la Fédération régionale des producteurs de café et cacao du grand ouest (Frccgo). Selon Obed Doua Blondé, les pisteurs continuent d'acheter le cacao à 600 ou à 650 Fcfa. Selon lui, le gouvernement doit garantir un prix bord champ sur toute l'année aux producteurs afin de mettre un terme au dé­sordre dans la commercialisation. Avant de demander au comité de gestion d'aller un peu plus loin en prenant des mesures pour sauver les revenus des producteurs. Nous vivons les mêmes problèmes que l'année dernière où l'Etat avait fixé le prix à 1.200 Fcfa le kg mais en réalité, cela n'a jamais été appliqué sur le terrain. Nous avons bradé nos produits parfois à moins de 500 Fcfa le kg. Nous craignons de revivre une situation similaire lors de cette campagne, avertit Doua Blondé. Si ces difficultés sont réelles, les planteurs de l'ouest montagneux ne comptent pas baisser les bras. Les organisations professionnelles agricoles comptent se réunir bientôt à l'effet de statuer sur le prix bord champ. Objectif, faire respecter le prix annoncé par les pouvoirs publics et demander l'appui du gouvernement au profit des coopératives.

Gagnoa : les routes impraticables

Le prix fixé est favorablement accueilli par les producteurs locaux. Mais, nuancent-ils, le fait que ce prix soit indicatif ouvre la porte aux acheteurs véreux de proposer aux paysans un prix en dessous de ce qui a été indiqué par Massandjé Touré Litsé, la présidente du comité de gestion de la filière café-cacao (Cgfcc). Le prix de 1000 Fcfa est acceptable, mais nous craignons que dans certains villages, cela ne soit pas respecté, s'inquiète Jean Sepi, jeune planteur dans un village de la commune. De l'avis des acteurs de la filière de la région du Fromager, pour cette campagne, ils peuvent s'en sortir avec des gains importants. Car la production a été abondante. Le facteur climatique ayant été d'un apport positif. Grâce à une bonne pluviométrie, la production s'est accrue. En conséquence, la campagne va s'éten­dre sur une période plus longue, se réjouit P. Digbeu, planteur à Mahiboua.

Mais, le revers de la médaille, déplore-t-il, c'est que les intempéries rendent les pistes impraticables. Au point que les paysans dans les zones reculées éprouvent du mal à vendre leurs productions. Ce qui fait que l'acheteur qui s'y aventure dicte sa loi aux producteurs, contraints d'accepter de peur de voir leurs marchandises restées immobilisées. Conscients de ces difficultés, des producteurs prennent des dispositions. Ils mettent à contribution les élèves venus pour les vacances scolaires. Ceux-ci nettoient les accotements des voies, remplissent les nids-de-poule avec du sable, des cailloux et autres gravats. Pour certaines coopératives, il faut pouvoir régler les problèmes liés à la sacherie.

Abengourou : les coopératives fictives faussent le jeu

Dans la cité royale, les paysans plaident pour un prix minima ou un prix stabilisé. Bilé Bilé, président du Comité de relance des agriculteurs et producteurs de café-cacao (Crap-cc) a jugé que le prix indicatif, s'il est alléchant, n'arrange pas les producteurs qui se voient acheter le fruit de leur labeur à 750, 600 voire 500 Fcfa. Je souhaite qu'on aille à la stabilisation parce que sur le terrain, le producteur n'en profite pas. Même au port, le cacao est acheté à 810 Fcfa le kilogramme, dit-il. Pour Bilé Bilé, le prix indicatif provoque l'anarchie dans la commercialisation. Tout en appréciant la distribution des produits phytosanitaires, Kouakou Diè, producteur de café-cacao à Angouakro (village situé à 17km d'Abengourou) insiste sur le manque de financement, les problèmes de sacherie qui restent un handicap pour une bonne campagne. Il faut qu'on réduise les taxes fiscales et parafiscales.

Les producteurs souffrent des prélèvements et de la complicité des coopératives fictives qui marchandent à la solde de certains exportateurs véreux, peste Yacouba Yéo, un autre producteur.

Soubré : l'insécurité gâte tout

Sur les bords de la Nawa, la campagne démarre sous de bons auspices. Pour les acteurs à la base, le prix fixé à 1.000 le kg redonne le sourire d'autant que pendant la campagne écoulée, ils n'ont pratiquement pas travaillé. Selon Venance N'Da, directeur général de la coopérative Coasis de Méagui, la récolte s'annonce bonne. Pour de nombreux producteurs de Soubré, cette campagne, les choses se sont considérablement améliorées avec le plan d'urgence pour la réhabilitation des pistes. C'est le signe d'une très bonne campagne cacaoyère. Puisque sans route praticable, le cacao ne peut pas se vendre correctement, se satisfait-il. Ce n'est pas tout. Car, au dire de Kouadio N'Goran, délégué régional du Fdpcc à Soubré, de nombreuses coopératives du département se sont engagées dans la démarche qualité qui commence à donner des résultats satisfaisants. Or, c'est la mauvaise qualité du cacao qui est à la base des grosses pertes. Mais, le patron local du fonds s'inquiète de l'insécurité qui risque d'entraver cette campagne prometteuse. Notre plus grosse préoccupation aujourd'hui, c'est l'insécurité. Il y a trop d'hommes en armes. Les braquages sont monnaies courantes sur nos pistes. Nous souhaitons que le gouvernement prenne des mesures appropriées pour traquer ces bandits de grand chemin qui mettent à mal l'économie du pays, soutient Kouadio N'Goran.

A cela s'ajoute, le mauvais état des pistes villageoises et la concurrence déloyale des pisteurs véreux. Quant à Bernabé Comoé, agent de l'Agence nationale du développement rural (Anader), il s'inquiète plutôt du vieillissement du verger. De grosses exploitations de cacao produisent très peu à cause du vieillissement des plants. De plus, certains producteurs détruisent les plantations de cacao et de café au bénéfice de l'hévéa. Donc, il faut un véritable travail de sensibilisation, suggère-t-il.

Oumé : besoin de sacherie

Selon Germain Banny, président de l'Union nationale des producteurs agricoles de Côte d'Ivoire (UNPCI), seuls les exportateurs gagnent dans l'augmentation annoncée du prix du cacao bord champ à 1.000 F le kilogramme. Ce sont les exportateurs qui font la pluie et le beau temps dans un monde agricole sinistré , s'indigne Germain Banny, planteur à Oumé. Il critique aussi le coût du transport et les difficultés de collecte du produit. Les pistes sont dégradées. Ce qui pousse les acheteurs à procéder à des réfactions insensées. Il faut attirer l'attention des pouvoirs publics, surtout le président de la République qui n'est sûrement pas informé de ce qui se passe effectivement sur le terrain. Une situation qui pourrait gâcher le bonheur du paysan souhaité par le gouvernement qui a pris cette décision salutaire. Pour lui, il est urgent de ­ faire une réforme en profondeur de la filière où pullulent trop de prédateurs qui, pour la plupart ne sont planteurs que de nom . L'intrusion de ces gens, une véritable mafia, a été favorisée. Par ailleurs, Germain Banny dénonce le retard dans la fourniture et la mauvaise distribution des produits phytosanitaires pour le traitement du cacao.


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