dimanche 13 novembre 2011 par L'Express

Après la nation Arc-en-ciel, le patchwork nigérian. Loin du pré carré francophone, le ministre des Affaires étrangères s'emploie à vider les contentieux et à resserrer les liens avec les colosses du continent. Des colosses aux pieds d'argile.
Quand, ce vendredi 11/11/11, à la mi-journée, Alain Juppé s'envole vers Abuja au départ de Pretoria, il quitte un titan pour en rallier un autre. Après l'Afrique du Sud, locomotive économique du continent, place au Nigeria, mastodonte démographique aux 160 millions d'âmes.
Deux poids lourds, en outre, étrangers à la sphère d'influence postcoloniale de l'Hexagone. A une nuance près s'agissant du pays le plus peuplé d'Afrique: dès 1967, la France de Jacques Foccart arme et épaule, avec le concours de l'Ivoirien Félix Houphouët-Boigny, du Gabonais Bongo, alors prénommé Albert-Bernard, et d'une escouade de mercenaires emmenés par Bob Denard, la sécession du Biafra; avant de lâcher les insurgés Ibos, chrétiens pour la plupart, promis dès lors à une déroute fatale. Il s'agit à l'époque, aux dires de Charles de Gaulle soi-même, "d'affaiblir le géant nigérian", coupable d'avoir dénoncé les essais nucléaires de Reggane, dans le Sahara algérien, et d'asseoir au seuil du "pré carré" l'influence britannique...
Deux colosses donc, pourvus d'atouts enviables, que courtisent assidûment les investisseurs occidentaux et asiatiques; mais des colosses aux pieds d'argile. Délestée des lourdes chaînes de l'apartheid, la "nation Arc-en-ciel" peut miser sur la sidérante vitalité de ses enfants. Quant au Nigeria, patchwork fédéral -36 Etats dont un tiers soumis à la charia, 250 ethnies-, il détient un pactole pétrolier qui lui vaut de disputer à l'Angola le titre de producteur africain n°1. Mais voilà: ces Gulliver entravés souffrent de maux analogues: inégalités criantes, corruption dévastatrice et brutales flambées de violences communautaires, plus ravageuses il est vrai vu d'Abuja que de Pretoria.
Qui l'eût cru? La course au leadership continental attise entre l'un et l'autre une sourde rivalité. Si d'aventure les maîtres de l'ONU consentent à élargir le Conseil de sécurité, voire à octroyer au berceau de l'humanité un siège de membre permanent, tous deux peuvent y prétendre. De même, on prête au Nigeria l'ambition de rejoindre les "BRICS", l'alliance de puissances émergentes que forment le Brésil, la Russie, l'Inde, la Chine et l'Afrique du Sud. Du BRICS au BRINCS, une métamorphose prometteuse: on passerait ainsi, phonétiquement au moins, du matériau de construction à la société de transports de fonds...
Gendarme ouest-africain
Trêve de fariboles. Sur les dossiers brûlants, Côte d'Ivoire comme Libye, les divergences furent patentes. Enclin à coiffer le képi du gendarme ouest-africain, le voisin nigérian a d'emblée sommé le sortant Laurent Gbagbo, vaincu dans les urnes, de s'effacer. Et jamais il ne ménagea un Muammar Kadhafi si prodigue en lubies géopolitiques, qui aggrava son cas l'an dernier en préconisant la partition ethnique et confessionnelle du pays.
Si l'Afrique du Sud s'évertue à exorciser vieux démons et périls nouveaux, le puzzle fédéral que préside depuis mai 2010 Goodluck Jonathan doit quant à lui conjurer du nord au sud une cascade de fléaux. A commencer par les assauts meurtriers de la secte islamiste Boko Haram -"l'éducation occidentale est un péché", en langue haoussa- qui frappe désormais loin de ses fiefs nordistes, jusqu'au coeur de la capitale; tel fut le cas le 26 août lorsqu'un kamikaze lança son 4X4 bourré d'explosifs sur le siège des Nations unies (24 morts). Il faut encore citer les affrontements communautaires qui n'en finissent plus d'embraser le secteur de Jos, région charnière entre le Nord musulman et le Sud chrétien, l'essor inquiétant de la piraterie maritime, ou le regain de tension dans le delta du Niger éponge à or noir et théâtre, en pays Ogoni, d'une infernale catastrophe écologique. Là, une rébellion armée, le MEND, prétend servir une cause juste -la répartition équitable de la manne pétrolière- au moyen de méthodes indéfendables, attentats ou prises d'otages.
D'autres travers, endémiques, sapent l'assise d'un Nigéria certes affranchi des putschistes galonnés qui l'ont si longtemps régenté, mais toujours saigné par la gloutonnerie d'élites kleptocrates civiles ou militaires. Cador énergétique, ce royaume du délestage impromptu produit neuf fois moins d'électricité que l'Afrique du Sud. Et il n'est pas rare de faire la queue aux abords des pompes à essence. Rudes chantiers pour le président Jonathan... Si l'on ne redoutait pas le pléonasme, on souhaiterait bonne chance à Goodluck.

Par Vincent Hugeux ... suite de l'article sur L'Express

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