mercredi 6 juin 2012 par Le Patriote

L'échéance du 18 juin avance à grands pas. Le Collectif des Victimes de la crise post-électorale a beaucoup collaboré pendant l'enquête préliminaire avec le procureur de la Cour pénale internationale. Nous avons rencontré son président, Diaby Issiaka. Il nous explique, dans cette interview, comment les associations de victimes ont aidé les enquêteurs de la CPI sur le terrain et le sort qu'il réserve à Laurent Gbagbo et les autres criminels qui continuent de courir.

Le Patriote: Les enquêtes de la CPI sont bouclées. Le procureur Ocampo était à Abidjan le week-end dernier pour les derniers réglages. Quel a été votre apport au cours de cette période d'enquête?

Diaby Issiaka: Pendant la crise postélectorale, nous intervenions par associations des droits de l'Homme interposées. Nous dénoncions les abus et les exactions par l'intermédiaire des ONG internationales comme Human Right Watch et d'autres associations.

Concernant la Cour pénale internationale, nous avons avec les enquêteurs de La Haye, recensé 1125 victimes. Nous en avons validé 700. Concernant l'audition de confirmation des charges contre Laurent Gbagbo le 18 juin, il y a 314 victimes qui sont concernées par les faits. Nous avons réuni tellement de preuves que nous avions l'embarras du choix. Nous avons été obligés de faire un tri. Car, il y a eu des personnes qui ont vécu vraiment des choses terribles. Ces personnes sont en mesure aujourd'hui de reconnaitre leurs bourreaux.


LP: Avez-vous travaillé avec les enquêteurs de la CPI. Si oui, que leur avez-vous transmis?

DI: Effectivement, nous avons, avec beaucoup d'associations des droits de l'Homme, travaillé avec la Cour pénale internationale dans la clarté et l'honnêteté. Parce que ce ne sont pas tous ceux qui se disent victimes qui le sont effectivement. Nous avons des témoignages poignants et des preuves capitales qui ont été mis à la disposition du procureur de la CPI. Pour nous, le dossier Gbagbo est bouclé.


LP: Que répondez-vous à ceux qui disent que les preuves en la possession du procureur sont fabriquées de toutes pièces?

DI: Durant toutes les auditions, nous avons eu affaire à des victimes toutes tendances confondues. Je vais vous faire une confidence. Nous avons même sauvé un ministre de Laurent Gbagbo qui avait été violenté par son propre garde du corps qui était son cousin. Le ministre avait en sa possession une forte somme d'argent. Il se cachait. Mais il a été dénoncé par son cousin garde de corps qui voulait lui prendre cette forte somme d'argent. Pour des raisons professionnelles, je ne peux pas vous dire son nom. Mais ce dernier était tellement dépassé qu'il s'est mis à comprendre le bien-fondé de notre action. Il a compris que ce que nous faisons n'est pas une affaire politique, mais une affaire des droits de l'Homme. Par ailleurs, que peut-on attendre des gens qui ont fait une émission télévisée pour dire que le charnier de Yopougon était un montage? Vous vous souvenez du corps de la mère du docteur Alassane Ouattara qu'ils sont allés exhumer. Vous vous rappelez la dépouille du docteur Benoit Dacoury-Tabley qu'ils ont empêchée d'être enterrée dans son village. Vous vous rappelez encore l'assassinat de la pauvre jeune femme qui a été abattue à Abobo devant son père lors de la marche des femmes dans cette commune qu'ils ont cyniquement qualifiée de complot du bissap. Donc, si ces gens aujourd'hui disent que les preuves que le procureur a en sa possession sont des preuves factices, cela ne m'étonne pas d'eux. Même les images qui montrent clairement les hommes en train de brûler vifs d'autres hommes, ils diront que c'est un montage. Cela ne nous étonne pas. Mais, il faut leur rappeler qu'aujourd'hui, les victimes ont décidé de prendre leur destin en main. Nous, les victimes, sommes assez matures pour connaître nos droits. Depuis un an, nous nous battons dans le silence et la dignité pour la reconnaissance de nos droits. Nous avons décidé nous-mêmes de présenter nos problèmes devant la justice.


LP: Si les charges sont confirmées, le 18 juin prochain, Laurent Gbagbo sera jugé à La Haye en tant que coauteur indirect de crimes de guerre et crimes contre l'humanité. Est-ce que cela vous satisfait?

DI: Nous sommes décidés à aller plus loin dans cette affaire. Nous sommes en train de réunir tous les éléments de preuves pour montrer que Laurent Gbagbo a commis un génocide en Côte d'Ivoire. Car, à 99%, toutes les personnes qui ont été tuées l'ont été à cause de leur appartenance ethnique ou régionale. Les faits et les preuves sont enregistrés dans nos fichiers. A un moment donné, c'étaient des Maliens, Burkinabè, Nigériens, Togolais, Nigérians, Guinéens et Sénégalais qui étaient tués. Donc notre combat est d'ajouter le chef d'accusation de génocide aux chefs d'accusation de crimes contre l'humanité et crimes de guerre. Nous allons faire poursuivre Gbagbo pour génocide. Nous sommes actionnés par les victimes qui veulent voir l'éclatement de la vérité. Parce que s'il n'y a pas de justice, toutes les victimes et leurs parents qu'ils ont suppliciés, chercheront à se venger. Le président Ouattara, lui-même, donne l'exemple. Lui qui, pendant longtemps, a subi les humiliations les plus graves, a demandé de ne pas attenter à la vie de Laurent Gbagbo et de pardonner. S'il ne l'avait pas fait, aujourd'hui beaucoup parmi ceux qui parlent, après avoir orchestré tout ce chaos, ne seraient pas en train de circuler librement en Côte d'Ivoire. Parce que chaque victime a son Gbagbo dans les quartiers.


LP: Aujourd'hui, beaucoup de ceux qui ont commis des crimes sont au Ghana, Togo et au Benin. Que comptez-vous faire pour que ceux-là puissent répondre de leurs actes devant la justice?

DI: Nous n'avons pas seulement lancé une action contre Gbagbo. Mais contre tous ceux qui ont commis des crimes. Il faut faire la part des choses. Parmi, les Ivoiriens en exil, il y a deux catégories. Ceux qui sont partis parce qu'ils ont eu peur et ceux qui sont sortis parce qu'ils savent qu'ils ont commis les crimes les plus abjects. Pour la première catégorie, nous leur disons que nous n'avions rien contre eux et qu'ils peuvent entrer. Mais pour la deuxième catégorie, nous allons lancer contre eux l'opération Klarsfeld du nom du couple d'avocats franco-allemands qui a consacré sa vie à traquer les anciens Nazi auteurs de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité. Nous allons demander à ce que les mandats d'arrêts internationaux lancés contre eux soient exécutés. Nous allons pour cela saisir Interpol pour que dans les pays où ils ont trouvé refuge, ils soient livrés à la justice. Et bientôt, nous nous attellerons à ce nouveau combat afin qu'aucun criminel ne puisse échapper à la justice. Il le faut si l'on ne veut plus que ces choses se reproduisent en Côte d'Ivoire.

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