vendredi 7 decembre 2012 par Nord-Sud

Appelée à la barre en tant que victime, dame Yolande Gossé, la partenaire du Casque bleu nigérien assassiné a relaté leur mésaventure de la nuit du 14 au 15 mars 2011. Un témoignage émouvant et accablant.

Dans la nuit du 14 au 15 mars 2011, j'étais en compagnie de mon ami (Mamoudou Idy, ndlr).

L'un des ses collègues a voulu que je lui trouve une petite amie. Ce que j'ai fait. J'ai appelé Alice et nous nous sommes rendues au lieu du rendez-vous. Il était 20 heures. Nous nous sommes retrouvés au carrefour dénommé Synacasci. Je précise que lorsque nous partions, il n'y avait pas encore de barrages érigés par les jeunes patriotes. Quand nous sommes arrivés, mon ami et son collègue ont acheté de la nourriture et de la boisson. Nous avons mangé et bu. Nous étions assis dans un maquis en face du camp de l'Onuci. Lorsque nous avons fini, alors j'ai demandé à rentrer à mon ami puisque le lendemain matin je devais faire le marché. Mon ami m'a dit qu'il allait m'accompagner. Je lui ai dit que cela n'en valait pas la peine. Mais il a insisté pour m'accompagner. C'est ainsi que nous avons pris le chemin du retour. Il était presque 22 heures. Arrivés au carrefour de Synacasci, nous sommes tombés sur des jeunes patriotes qui avaient dressé un barrage. On partait lorsque l'un d'entre eux nous a interpellés. Nous nous sommes arrêtés. Il a demandé nos pièces d'identité. Malheureusement, mon ami n'avait pas ses pièces en sa possession. Il leur a dit qu'il est un soldat des Casques bleus et qu'il m'accompagnait. Et qu'il devait se retourner pour rentrer au camp. Ils ont refusé de le laisser partir. Ils l'ont maintenu à leur poste. Et ils m'ont dit de rentrer. Ce que j'ai refusé parce que c'est à cause de moi qu'il s'est retrouvé à ce barrage. Donc, je leur ai dit que je ne pouvais rentrer à la maison en le laissant dans leurs mains. Ils ont refusé de le libérer.

Ils ont pris le monsieur et ils se sont dirigés avec lui vers leur position. Je les ai suivis pour savoir ce qu'ils voulaient faire. C'est ainsi qu'ils ont appelé les miliciens postés devant la résidence du ministre Mel Eg Théodore. Ceux-ci sont venus le chercher. J'ai commencé à pleurer car j'ai eu peur pour sa vie. Je leur ai demandé pardon, mais ils n'ont pas voulu entendre raison. J'ai sorti un billet de 5.000 Fcfa que j'ai remis à leur chef pour qu'il libère mon ami. Il a pris l'argent plus des boîtes de conserve. Mais ils ont refusé de le libérer. C'est ainsi qu'ils l'ont remis aux miliciens. Ils ont pris la direction du corridor se trouvant devant la résidence du ministre Mel Théodore. Je continuais de pleurer. Les miliciens sont partis avec lui. Quinze minutes plus tard, trois miliciens sont revenus me chercher au barrage. J'ai rejoint mon ami. Arrivée sur le lieu, j'ai trouvé le monsieur nu. Les miliciens l'ont mis à poil. Et ils ont commencé à le tabasser. Ils l'ont roué de coups. Lorsque moi, je suis arrivée au poste, ils m'ont dit de me déshabiller. Je n'ai rien compris. Cependant je me suis exécutée puisqu'ils étaient tous armés. Ils se sont mis à me frapper de toutes parts. On a commencé à pleurer. Et pour ne pas que le voisinage soit alerté, ils nous ont envoyés dans la pénombre où se trouvait leur second corridor à environ 200 mètres. Là-bas, nous étions nus et adossés au mur. Ils ont appelé leur chef, monsieur Séahet (le capitaine). Quand il est arrivé, il a demandé ceux qui nous ont bastonnés et mis nus. Il a ordonné qu'on nous remette nos habits. Ils m'ont remis le pantalon jeans que j'ai porté. Mais le monsieur est resté nu.

Le capitaine Séahet a commencé à m'interroger sur mon identité et ma profession. Je lui ai dit que je suis une commerçante et que je vendais le koutoukou (Ndlr : boisson alcoolisée de fabrication artisanale). Je lui ai tout expliqué. Et il a aussi interrogé mon ami. Après cet interrogatoire, le capitaine Séahet est reparti. Et le lt. Krapa est venu à bord d'un véhicule (selon la jeune femme, c'est lors de la confrontation à la police qu'elle a su l'identité des militaires accusés, ndlr). J'ai senti le danger venir. J'ai envoyé un message (sms) à ma camarade pour lui dire que nous sommes en danger. Quand il a vu la lumière de mon téléphone portable, il me l'a arraché. Il a composé le numéro de ma camarade. Ça sonné puis il a coupé la ligne.

Il a donc confisqué mes deux téléphones. Il était 2 heures du matin. Et le lt. Krapa a dit aux miliciens : pourquoi vous ne l'avez pas bien frappée ? Il m'a dit de me déshabiller à nouveau. Je me suis exécutée et ils ont commencé à me frapper encore. J'ai commencé à pleurer. Pendant ce temps, les autres miliciens rouaient de coups mon ami. Il a commencé à me demander ce que je faisais avec un étranger. Selon lui, il ne comprenait pas pourquoi nous les filles ivoiriennes, nous n'avons pas honte. Et que nous passons notre temps à courir après les Casques bleus. Il m'a traitée de tous les noms. Le caporal Mabré Alain a pointé sa kalach sur mon front. Il disait que si je continuais de le regarder il m'abattrait. Mon ami le suppliait, mais il continuait de nous torturer. Il a donné plusieurs coups de pieds avec sa paire de rangers. Mon ami avait le visage ensanglanté. Moi aussi j'avais des blessures sur tout le corps. Ils m'ont défigurée. Le caporal Mabré a fait semblant de compatir à ma douleur.

Et contre toute attente, il m'a giflée. Je précise que ce soldat était le plus excité et le plus barbare. J'ai entendu ce dernier dire aux miliciens qu'ils devaient plutôt tuer mon ami. Le lt. Krapa a récupéré mon ami qui était dans un état physique grave. Ils l'ont transporté dans leur véhicule pour prendre la direction du commissariat du 18ème arrondissement. Et vers 3 heures du matin, il est revenu au poste. De ma position, je ne pouvais savoir si mon ami était revenu avec eux. Mais il a dit aux militaires (miliciens, ndlr) qui étaient-là (au nombre de 6 selon elle), de s'occuper de moi. Car, d'après lui, comme j'aime les hommes, j'étais face à des garçons. Monsieur Krapa a donné l'ordre à ces miliciens de me violer. Parmi eux, il y a un militaire qui s'est rétracté. Donc, les 5 miliciens m'ont violée sur ordre du lt. Krapa. J'étais troublée et couverte de honte car mes agresseurs avaient l'âge de mes petits-frères. Quand ils ont fini de faire ce qu'ils avaient à faire le lt. Krapa m'a dit de me lever pour qu'il me raccompagne à la maison. Chemin faisant, il m'a dit de ne rien dire. J'ai raconté mon aventure à ma camarade.

Et le lendemain matin, vers 17 heures, j'ai réussi à rejoindre le camp des Casques bleus. J'ai expliqué ce qu'il s'était passé la veille. Je n'avais aucune nouvelle de mon ami. Sa vie était menacée par les ?'jeunes patriotes''. J'ai quitté la Riviera pour me réfugier chez mon frère à Port-Bouët. C'est après le 11 avril 2011, le jour de l'arrestation du président Gbagbo que je suis revenue au quartier. Mais je signale que j'étais régulièrement en contact avec le chef des Casques bleus. Leur médecin m'a prise en charge concernant les soins et les différents examens médicaux. Je ne sais pas ce qui est arrivé à mon ami jusqu'à ce jour, je ne sais pas où il se trouve. Je ne sais pas s'il est mort ou vivant.

Propos recueillis par Ouattara Moussa

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