vendredi 1 mars 2013 par Le Temps

Mme la présidente, Mme et monsieur les juges, j'ai suivi ces débats et j'ai entendu beaucoup de choses. Certaines fois, je me suis retrouvé en Côte d'Ivoire, mais d'autres fois, je m'en suis trouvé très éloigné. Tellement les questions qu'on posait étaient loin de ce que nous avons vécu. Et je me suis dit : pourquoi dans cette justice moderne, y-a-t-il des camps retranchés? Parce que sur beaucoup de questions, aussi bien de l'accusation que de la représentante légale des victimes, Mmes et monsieur les juges, vous auriez pu m'appeler. J'aurai pu donner des informations, ne serait-ce que des informations. Que vous auriez pu vérifier après. Mais pour fluidifier le raisonnement, j'aurai pu dire beaucoup de choses sur des petites questions. Par exemple, quand on dit il a signé un décret pour déployer l'armée. Jamais. J'ai signé un décret, pour que l'armée soit mobilisée. Mais c'est une pratique qui date de 1961, de l'époque où l'armée a été créée. Le chef de l'Etat peut, en cas de troubles, signer un décret pour mobiliser l'armée quand la police et la gendarmerie sont totalement submergées. Et donc pour ça, le président de la République signe un décret qu'il donne aux différents chefs. Maintenant, c'est aux chefs d'utiliser l'armée ou de ne pas l'utiliser. Cela dépend de ce qu'ils pensent de la situation. Donc, c'est des choses qu'on aurait pu expliquer. Quand le chef des Fds m'a fait le point de la situation d'Abobo, où il y a les soldats d'Ib, je pense que c'est eux le commando invisible. Donc on ne sait pas comment ça va aller. Je lui ai demandé qu'est-ce qu'on fait? Il m'a dit de signer toujours un décret qu'on va garder. Si on n'en a pas besoin, on n'en usera pas. Mais si on en a besoin, on verra. Donc, il y a plein de choses de la sorte. Et puis, il ne faut pas me donner des parents que je n'ai pas. () Je ne gouverne pas avec ma famille. Moi je suis chef d'Etat, président de la République et ma femme est député. Et Bertin Kadet n'est pas mon neveu. Le mot neveu, est un mot français. Et les neveux, j'en ai plein dans cette salle. Mais Kadet n'est pas mon neveu. Il a été ministre délégué à la Défense et mon conseiller. Je ne gouverne pas avec la famille Gbagbo. Il y a des petits détails qu'on aurait pu éviter pour ne pas alourdir l'atmosphère car cela nous empêche d'aller immédiatement au fond du problème. Mme la présidente, toute ma vie, et toute la Côte d'Ivoire, l'Afrique et la France politique le savent, j'ai lutté pour la démocratie. J'ai demandé la semaine dernière à mes avocats, si je pouvais vous envoyer tous les livres que j'ai écrits sur mon parcours. Mais ils m'ont dit que c'est trop tard pour introduire cela. Mais quand on aura fini, quel que soit le résultat de cette audience, quel que soit ce que vous décidez, j'enverrai un lot des livres de Gbagbo au bureau du procureur et aux juges. Parce que c'est ça l'homme. Il marche, il marche, mais il laisse des traces sur le chemin qu'il parcourt pour qu'on le retrouve. J'ai lutté pour la démocratie. Au moment où on ne savait même pas si le mur de Berlin allait s'écrouler. Nous ne savions pas ça. Donc on luttait avec courage. Mais on était convaincu que nous-mêmes, nous n'allions pas voir la démocratie triompher. Mais le mur de Berlin s'est écroulé. Et cela nous a aidés à gagner la victoire du multipartisme et de la démocratie. C'est pourquoi je voudrais simplement dire et je ne vais pas aller plus loin que Mme la procureure, puisque ça (procureur) existe maintenant en français, (rires) on met un (e) à la fin, a dit une phrase qui m'a un peu choqué. Elle a dit que nous ne sommes pas là, pour savoir qui a gagné ou a perdu les élections. On ne peut pas parler, débattre de la crise postélectorale sans chercher à savoir comment les élections présidentielles d'octobre à novembre 2010 se sont passées. Qui a gagné les élections? Parce que c'est celui qui n'a pas gagné les élections qui a semé les troubles. Je crois que c'est ça la logique. Donc la question est là. Qui a gagné les élections ? Et donc quand je demandais qu'on recompte les voix, ce n'était pas un mot ou une phrase en l'air. Vous avez vu vous-mêmes les documents dont dispose l'accusation et sur lesquels, les voix des électeurs sont répertoriées. On a vu que dans la seule ville de Bouaké, on a ajouté 500.000 voix à mon adversaire. C'est ça le fond du problème. On nous attaqués en 2002, j'ai fait mon travail. C'est-à-dire que je n'ai jamais cru que la Côte d'Ivoire allait s'en sortir par la guerre. Je n'ai jamais cru ça. J'ai toujours cru qu'on s'en sortirait par la discussion. Même si je sais qu'ils (rebelles) ont tort. Mais pour s'en sortir, j'ai toujours cru à la discussion. Alors, j'ai parcouru plusieurs capitales africaines à la recherche de la paix, nous avons tout fait pour rechercher la paix. On a fait les négociations de Lomé. Ils ont fait les négociations de Marcoussis, de Kléber mais je mets cela de côté. Nous avons fait les négociations d'Accra I, III et III sous la présidence de John Kufor. Nous avons fait les négociations à partir de juin 2005, de Pretoria I, de Pretoria II, sous la présidence de Thabo Mbeki. Nous avons tout fait. Nous avons tout fait pour que la discussion avance. C'est à Pretoria que j'ai demandé à Thabo Mbeki de m'aider à trouver une solution légale pour que Ouattara soit candidat aux élections présidentielles, parce que ça empoisonnait la situation. C'était en 2005 à Pretoria. Ouattara, Bédié, Mbeki et moi, nous nous sommes retrouvés. J'ai demandé à Ouattara de faire la traduction entre Mbeki et moi. C'est là que je leur ai dit que ça ne me gênait pas que Ouattara soit candidat. Mais comme mon électorat aussi est là, donc il faut que Thabo Mbeki nous écrive à nous tous, à Abidjan et qu'après je puisse prendre une décision. Je n'aimais pas l'article 48 de la constitution. C'est comme l'article 16 de la constitution française, () cet article qui donne tant de pouvoir au président de la république. Mais ce jour-là, j'ai pris l'article 48 de la Constitution et j'ai permis à Ouattara et Bédié d'être candidats aux élections présidentielles. Mme la présidente, voilà ce que je voulais vous dire.

Nos pays, nos Etats, et ce sera mon dernier point, sont fragiles. Nos Etats sont fragiles. Et chaque fois qu'un chef d'Etat européen ou occidental me disait que nous avons besoin de la démocratie, je leur répondais que nous en avons besoin non pas parce que vous le dites, mais parce que nous-mêmes, nous en avons effectivement besoin pour construire nos Etats. Mme la présidente, regardez la Côte d'Ivoire. Si nous n'employons pas la démocratie, comment allons-nous choisir le chef de l'État? Il y à l'Est adossé à la frontière ghanéenne, les Akans qui ont un mode à eux pour choisir leur chef de village ou de canton ou autre. On a, à l'Ouest, un pouvoir éparpillé. On a au Nord, les Malinkés islamisés qui se regroupent autour des mosquées. Et à côté d'eux les sénoufos qui se retrouvent dans les bois sacrés.

Quel mode électoral allons-nous prendre? Donc la démocratie nous aide. Parce qu'elle fait table rase de tout cela et elle donne à chaque individu, considéré comme citoyen, une voix. C'est pourquoi je me suis engagé dans la lutte pour la démocratie. Surtout nous qui venons de famille très modestes, s'il n'y a pas la démocratie, jamais on n'aurait des postes élevés.

Les gens avec qui j'ai été à l'école, quand j'ai été élu président, ils n'étaient pas étonnés parce qu'ils connaissent mon engagement. Mais ils sont venus me saluer et saluer mon courage et mon engagement. Parce que je n'étais pas le plus aisé, le plus intelligent, le plus aimé, le plus riche hein! Donc, nous avons besoin de la démocratie. Et la démocratie ce n'est pas seulement le vote. Mais qui dit le vote, qui dit le résultat du vote ? C'est ça aussi la démocratie. Quand on va prendre une nuit, le président d'une commission électorale et qu'on l'amène dans le quartier général électoral d'un candidat et on invite une télévision étrangère pour donner les résultats d'une élection, et qu'on diffuse cela le lendemain matin, ce n'est pas la démocratie. Ce n'est pas démocratique ça. La démocratie c'est le respect des textes, à commencer par la plus grande des lois en droit, qui est la constitution. Mme, c'est parce que j'ai respecté la constitution de mon pays qu'on m'a amené ici. Alors je suis là, mais je compte sur vous. Je compte sur vous parce que, je souhaite que tous les Africains, tous les Africains qui me soutiennent et qui sont tout temps ici devant la Cour, devant la prison, dans leur pays, en train de manifester, de marcher, tous ces Africains-là, qu'ils comprennent que le salut de l'Afrique c'est le respect des Constitutions que nous nous donnons et des lois qui en découlent. Je vous remercie Madame.

Propos recueillis par Fabrice Tété

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