mardi 2 avril 2013 par Nord-Sud

Dans cette interview exclusive, Nicolas Djibo, secrétaire national chargé des affaires économiques à la direction du Rassemblement des républicains, critique sans ménagement la gestion d'Amadou Soumahoro, le secrétaire général par intérim de son parti.


Pourquoi avez-vous décidé de vous présenter en indépendant, alors que votre parti a déjà un candidat ?
Je pense qu'il faut remonter au sens de ma candidature pour comprendre cette décision d'aller en indépendant. Ma candidature avait un double sens. Le premier était un sens militant : c'était de pouvoir ramener la victoire au Rdr (Rassemblement des républicains, ndlr). Mon engagement était d'être un candidat qui avait un profil suffisamment crédible pour pouvoir entraîner une certaine dynamique auprès des populations, afin de permettre au Rdr de conserver la mairie. Cette formation politique a la mairie de Bouaké, la deuxième ville de la Côte d'Ivoire, ce serait dommage pour notre parti de la perdre dans la mesure où la cote de popularité du maire sortant dans sa commune a fortement chuté, tout le monde le sait. Donc les chances de conserver la mairie par le maire sortant sont très, très minces.

Quel sondage avez-vous réalisé qui dit que M. Fanny n'est plus aimé ?
J'ai les sondages. Ils ont été réalisés par une agence de communication bien connue, qui a étudié les cotes de popularité et les taux de rejet des différents cadres de Bouaké, y compris ceux du Pdci (Parti démocratique de Côte d'Ivoire, ndlr). Le maire sortant a le plus fort taux de rejet. Nous ne sommes pas à 100% adoubés par les populations, mais notre taux de rejet est bien en deçà de celui du maire sortant.

N'avez-vous pas le sentiment de faire courir à votre parti le danger d'une défaite programmée, en vous présentant en indépendant ?
Vous ne m'avez pas laissé aller jusqu'au bout de ma démonstration. J'ai voulu donner une opportunité au parti de garder la main sur la mairie. La deuxième chose, c'était une menace envers les populations de Bouaké. Celles-ci, vu le taux de rejet important du maire sortant, la démarche était d'offrir une alternative crédible à la population de Bouaké. Et je pensais pouvoir incarner cette alternative. Sur le premier point, je n'ai pas été suivi par le parti. Cependant, sur le deuxième point, j'ai été suivi par la population, parce qu'il y a une dynamique de celle-ci en faveur de ma candidature. Donc le parti ne m'a pas suivi. Il n'a pas vu en ma candidature quelque chose de suffisamment intéressant dans le cadre de la désignation des candidats. J'en prends acte ; mais j'assume la responsabilité de me présenter en indépendant pour permettre au Rdr de conserver la mairie.

Je repose la question. Est-ce que vous ne faites pas courir le risque de fractionner les voix de vos militants et ainsi de faire perdre votre parti ?
Il y a toujours un risque dans tout ce qu'on fait. Mais le risque que je prends, n'est pas aussi important que cela, d'autant qu'au niveau de nos concurrents, le plus dangereux, c'est le Pdci où il y a aussi des indépendants. Aujourd'hui, on peut dire que le compteur se remet à zéro de part et autre. Maintenant, ce sont les personnalités qui doivent jouer. Et là, je peux dire que je me dégage du lot et je vais jouer mon rôle.

Quels sont les atouts sur lesquels vous comptez pour remporter cette élection municipale à Bouaké ? Pensez-vous qu'étant le fils de l'ancien maire, tout devrait se passer facilement, comme lettre à la poste?
Pas du tout. Aucune élection ne peut passer comme une lettre à la poste. Mais, il faut reconnaître qu'être le fils de Djibo est réellement un atout à Bouaké, comme ç'a été un atout pour le président Ouattara d'être un fils du président Houphouet-Boigny, s'agissant de l'élection présidentielle. Ces atouts, ça existe. Si vous partez à Bouaké, vous verrez que la filiation fait partie d'un des éléments que la population retient. Mais en dehors de cela, j'ai quand même un profil qui est suffisamment crédible. Je suis un capitaine industrie et j'aspire à faire autre chose, en me consacrant à ma commune. L'expérience de meneur d'hommes que j'ai acquise tout au long de ma vie d'industrielle, mes relations avec les investisseurs, m'ont fait penser que j'ai des atouts à proposer à la population. Mon passé, je pense, plaide aussi pour moi, tant par ma formation que par mon parcours professionnel.

Vous êtes comptable de la gestion de l'équipe sortante, puisque vous comptez parmi les conseillers de Fanny Ibrahima. Cela n'est-il pas un handicap pour vous ?
Je suis comptable vis-à-vis de vous, parce que vous êtes un tiers. Mais si vous saviez ce qu'il se passait dans la gestion de la municipalité, vous sauriez que je me suis mis en opposition au maire, dès le départ. Je n'ai pas voulu en faire un plat. Je n'ai pas voulu simplement dénoncer la gestion du maire, étant avec lui, de manière à ne pas le fragiliser.

Pourquoi n'avez-vous pas démissionné ?
Démissionner, ça l'aurait fragilisé encore plus. C'est vrai que je dois assumer cette contradiction. Sachez que le maire sortant sait très bien ce que je pense de sa gestion. Il sait parfaitement les critiques que j'ai eu à faire également pour corriger cela. Mais, il ne m'a pas suivi.

Etes-vous prêt à assumer vos actes, puisque vous défiez la direction de votre parti ?
Je suis prêt à tout assumer. Si le parti me chasse demain, je vais partir...

Ce nomadisme ne vous gêne-t-il pas ?
Non, ce n'est pas du nomadisme.

Comment cela s'appelle-t-il, puisque vous avez quitté le Pdci pour déposer vos valises au Rdr d'où vous êtes prêt à partir au cas où ?
Non ! Si je pars du Rdr, j'arrête tout au niveau de la politique.

Voulez-vous dire que vous n'irez nulle part ailleurs ?
Oui, je n'irai nulle part ailleurs.

Le processus de désignation des candidats aussi bien aux municipales qu'aux régionales a connu beaucoup de tumulte à Bouaké. Qu'est-ce qui explique cela ?
C'est la direction qui a failli totalement. Monsieur Soumahoro n'a pas été à la hauteur de sa tâche, dans le cadre de la désignation des candidats. On ne peut pas dire quelque chose et faire son contraire, surtout à ce niveau de responsabilité. Il est venu à Bouaké dire que les décisions seront prises par la base. Première chose. Et dans les coulisses, on s'aperçoit que les tractations se passent de manière à ce que ces décisions ne soient pas appliquées. Voyant que s'il outrepassait cette décision, ça allait mal se passer, il a dû annoncer une deuxième fois concernant les municipales que c'est la base qui allait décider et que pour les régionales, c'est la direction qui allait choisir les différents candidats. Lorsqu'on est responsable d'un parti et quand on s'engage publiquement, il faut respecter sa parole. Le manquement à sa parole est une chose grave. Aujourd'hui à Bouaké, le parti est éclaté. Contrairement à ce qu'il pense, ce n'est pas le maire sortant qui fédère autour de lui les militants et les responsables du parti. Ça, c'est grave !

Pensez-vous qu'au terme de ces élections, il va falloir faire le ménage au niveau de la direction ?
C'est un impératif. Pour moi, je pense que la cohésion du parti est menacée. Les résultats des élections pourront infirmer ou confirmer notre jugement. Mais je ne vois pas comment le parti pourra continuer véritablement sur un bon chemin, sans la cohésion en son sein.

En avez-vous parlé avec d'autres membres de la direction qui partagent les mêmes points de vue que vous ?
Non, non. Moi j'ai assez à faire. Je suis entre Bouaké et Abidjan. Quand je suis à Bouaké, je suis sur le terrain. Et quand je suis à Abidjan, je m'occupe de mes responsabilités à la Chambre (Chambre de commerce et d'industrie, ndlr).

En tant qu'indépendant, êtes-vous l'objet de pression, relativement à votre candidature ?
Je ne suis pas menacé. Et personne ne peut m'imposer quoi que ce soit. Au niveau de la dynamique que j'ai entraîné auprès de la population, je sais aujourd'hui que si je ne suis pas candidat à la mairie de Bouaké, je perds toute crédibilité, je deviens un homme politique mort, car la population de Bouaké ne comprendrait pas pourquoi je ne suis pas candidat. Ça, c'est clair, net et précis.

Votre parti, le Rdr est agité. La coalition à laquelle il appartient est également agitée. Avez-vous bon espoir qu'un jour le Rhdp va présenter mieux, au terme de ces élections couplées ?
Pour moi, la fracture est prononcée. Je ne crois donc plus au Rhdp. C'était maintenant ou jamais qu'il fallait faire le Rhdp. Nous devions faire en sorte que les ambitions des uns et des autres ne l'emportent pas au niveau politique le plus élevé. Qu'au niveau des législatives, on n'arrive pas à se mettre en Rhdp, parce qu'il fallait déterminer le rapport de force entre le Pdci et le Rdr, c'était compréhensible, on peut l'accepter. Mais jamais à ces élections locales, le Pdci et le Rdr devraient présenter séparément de candidats. A partir du moment où chaque parti va de son côté, c'est fini. Moi je ne crois plus au Rhdp.

Pensez-vous qu'en 2015, le Pdci va vraisemblablement présenter un candidat contre le président Ouattara ?
C'est évident. Déjà même au niveau du Pdci, il y a des candidats contre le président Bédié. S'il y a des cadres du Pdci qui défient le président du Pdci, ce n'est pas contre le président Alassane Ouattara qu'ils ne se présenteraient pas en 2015.

Vous dites que vous ne croyez plus au Rhdp. Qu'est-ce qui justifie alors la présence de certains cadres du Pdci sur votre liste?
Ça, c'est ma façon de faire et de voir les choses.

C'est donc votre Rhdp en miniature?
Bien sûr. Comme vous l'avez dit, c'est mon Rhdp en miniature.

Pourtant, vous ne croyez plus au Rhdp
Je ne crois plus au Rhdp avec les politiques, tel que c'est fait. Le Rhdp, c'est la solution, l'avenir de la Côte d'Ivoire. Mais le comportement des hommes politiques nous éloigne de cela. J'ai fait le Rhdp à mon niveau, parce qu'on ne peut pas gérer seul convenablement la cité, dans l'intérêt des populations. Une ville cosmopolite comme Bouaké ne peut être gérée par un seul parti. Il faut donc s'ouvrir aux autres. Et j'ai fait cette ouverture au Pdci, à la société civile, etc. Seulement pour moi, si on pense à l'intérêt des populations pour le développement d'une commune, il faut aller rassembler.

Si vous êtes élu maire de Bouaké, quels seront les premiers chantiers, les premiers défis auxquels vous allez vous attaquer ?
Le premier problème pour lequel toute la population attend des solutions, c'est le marché central. Cela fait des années qu'il aurait dû être reconstruit ; malheureusement, notre concurrent principal s'est impétré dans ce projet. Chaque mois, il annonce que la reconstruction va démarrer les semaines qui suivent. Jusqu'aujourd'hui, rien n'est fait.

Pensez-vous que c'est le problème le plus important pour la population ?
Non, ce n'est pas le problème le plus important. Le projet le plus important, c'est la lutte contre la pauvreté. Mais la reconstruction du marché, c'est l'attente immédiate des populations. C'est ce qu'elles veulent voir se réaliser. Les gens en ont marre. Si vous regardez, Bouaké ressemble désormais à un vaste marché, sur toute la surface de la ville. Aujourd'hui, le développement de certains hôtels dépendra par exemple de ce marché. Aussi, sachez qu'à défaut d'un vrai marché, il y a partout des micromarchés. C'est dire que l'avènement d'un marché ultramoderne est plus qu'attendu, même s'il n'est pas l'ultime projet qui, lui est la lutte contre la pauvreté. Les statistiques parlent d'elles-mêmes. En guise d'exemple, le taux moyen national de la pauvreté est de 50%. Mais dès que vous montez en zone Cno (Centre, Nord et Ouest ndlr), ce taux atteint les 65% pour les jeunes et 60% pour les femmes.

Quelles solutions préconisez-vous à cela?
J'ai déjà posé des actes majeurs dans ce sens. De ma position de président de la Chambre de commerce et d'industrie, chaque fois qu'il y a un investisseur qui arrive en Côte d'Ivoire, je lui montre le chemin de Bouaké. Je lui dis qu'il n'y a pas qu'Abidjan qui a besoin d'investissement. J'ai réussi également à attirer des investisseurs allemands à Bouaké. Ils sont prêts à venir investir dans les matériaux de construction, avec la création d'un centre technopôle qui est un genre de centre de formation professionnelle très pointu.

Vous qui êtes le président de la Chambre de commerce et d'industrie, chef d'entreprise, arrivez-vous à comprendre l'impatience des populations de Bouaké, face aux promesses du président Ouattara ?
Oui, je comprends, parce que nous avons vendu une réalité trop belle. Le président n'avait pas la réalité de la situation.

Pensez-vous qu'il n'avait pas fait une bonne évaluation ?
Je pense que l'évaluation n'était pas suffisante. Il fallait d'abord voir les conditions dans lesquelles il est arrivé au pouvoir ; cela n'a pas été fait. On s'est rendu compte que l'évaluation de la réalité était plus profonde que cela, quand il s'est installé dans le fauteuil.

Pourquoi n'avoir pas dit aux populations que la situation allait être plus compliquée que ce qui a été annoncé ?
Je pense qu'il y a eu un manque de communication. On n'a pas suffisamment averti la population sur la réalité du terrain, je pense.

Malgré tout, est-ce qu'il y a bon espoir ?
Il ne faut tout de même pas désespérer. Disons que la population veut un changement. Certains vont jusqu'à dire qu'au lieu de s'améliorer, leur condition de vie a empiré. Je comprends leur état d'âme, parce que lorsque vous voulez boucher un trou que vous pensez être profond de cinq mètres et que vous vous rendez compte qu'en réalité, il est profond de vingt mètres, il vous faudra plus de temps. C'est ce problème que rencontre le président Ouattara. Je suis certain que dès l'année 2014, beaucoup d'Ivoiriens sentiront un changement dans leur quotidien. Ce n'est pas seulement au niveau des grands travaux qui avancent, mais dans plusieurs autres secteurs. Le pays se transforme à grande vitesse et, en 2014, le quotidien de beaucoup d'Ivoiriens va changer.

Il y a à peine trois mois, vous avez été porté à la tête de la Chambre de commerce et d'industrie et déjà on annonce votre départ. Etes-vous poussé vers la sortie ?
Non, personne ne me pousse vers la sortie. Au contraire, j'ai des pressions pour me maintenir à mon poste. C'est Bouaké qui est la raison. Vous ne pouvez pas être un bon maire sans un minimum de disponibilité pour la ville et être en même temps, un bon président de la Chambre de commerce et d'industrie. Etre un bon président de la Chambre demande une disponibilité totale. Et aujourd'hui, Bouaké est dans un tel état de délabrement qu'il faut pratiquement être un maire résident pour pouvoir assumer le challenge qui sera le vôtre, quand vous serez élu maire. Si le 21 avril, quelqu'un d'autre que moi est élu maire, à son âme et conscience, s'il veut réussir son mandat, il faut qu'il soit correct vis-à-vis des populations. Il se doit d'avoir un minimum de disponibilité. Ce minimum de disponibilité est incompatible avec ma fonction. Je ne peux pas être à Bouaké comme je l'entends, pour redresser la ville de Bouaké et assumer en même temps ma fonction de président de la Chambre de commerce et d'industrie.

Démissionnez-vous avant ou après les élections ?
Non je ne démissionne pas. Je reste jusqu'à la fin de mon mandat. La date des élections sera fixée par le pouvoir public, c'est-à-dire par le ministre de l'Intérieur. Si celui-ci fixe la date des élections dans un mois, je ne me représenterai certainement pas à la tête de la Chambre.


Interview réalisée par Marc Dossa

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