lundi 29 avril 2013 par Le Patriote

Le Directeur général de l'Autorité pour le Désarmement et la Démobilisation (ADDR), Fidèle Sarassoro, dans cette interview, réagit à propos de la récente manifestation des ex-combattants de Bouaké. Il donne également les stratégies de réinsertion des ex-combattants. Entretien.
Le Patriote : M. le directeur général, le 11 avril dernier, les ex-combattants de Bouaké ont manifesté en bloquant le corridor sud. Quel était le motif réel de ce mouvement d'humeur ?
Fidèle Sarassoro : Nous avons été surpris de ce mouvement d'humeur de certain ex-combattant qui ont bloqué des points stratégiques de la ville de Bouaké, notamment le corridor sud. Cette manifestation a fortement perturbé la circulation et bloqué les activités économiques de la ville. Nous avons essayé de nous renseigner pour savoir ce qu'il en était. Nous avons reçu l'information comme quoi ils étaient mecontents, frustrés du fait que le processus prenait trop de temps. Ils ont estimé que leurs préoccupations telles que exprimées n'étaient pas prises en compte. Ils ont émis le souhait que chaque ex-combattant puisse percevoir de l'Etat de Côte d'Ivoire la somme de 40 millions de francs CFA. Nous avons trouvé cette revendication irréaliste dans l'état actuel des choses. Car, elle vient à contre-courant des efforts que nous, en tant que ADDR, étions en train d'entreprendre sur l'ensemble du territoire en faveur des ex-combattants. La sensibilisation que nous avons menées à Ferké, Korhogo, Bouaké, Man, Danané, Guiglo , Toulépleu et Duékoué allait dans le sens d'expliquer aux ex-combattants les missions de la structure qui a été créée seulement le 8 aout 2012. Moi-même, j'ai pris fonction le 1er octobre 2012. Donc, cela prend un peu de temps pour mettre en place tout le dispositif qu'il nous faut. Nous sommes en partenariat avec les bailleurs de fonds, l'Etat de Côte d'Ivoire a mobilisé d'énormes ressources pour résoudre les préoccupations des ex-combattants. Mais, il faut du temps pour mettre cela en place de façon systématique. Nous comprenons la situation d'un certain nombre d'ex-combattants qui disent avoir attendu pendant longtemps. Mais, avec l'engagement de l'Etat de Côte d'Ivoire, les instructions que nous avons reçues sont telles que nous sommes sur la bonne voie pour résoudre leurs problèmes. Mais, cela doit se faire dans l'ordre et la discipline. C'est pour cela que tout à l'heure, j'ai dit que nous avons été surpris par ce mouvement d'humeur. Nous sommes à la tâche pour apporter des solutions aux préoccupations des ex-combattants.

LP : Justement, M. le Directeur, comment expliquez-vous cette manifestation alors qu'il y a seulement quelques semaines vous étiez à Bouaké pour installer le bureau régional de l'ADDR, vous avez même eu une séance de travail avec eux ?
F.S : C'est pour cela que je dis que j'ai été surpris. Je n'ai pas compris cette manifestation. Les ex-combattants que nous rencontrons, nous discutons avec eux. Nous avons déroulé devant eux le programme que nous envisageons pour eux. Je profite de l'occasion pour demander à tous les ex-combattants de faire confiance à l'ADDR. Nous sommes en train de travailler pour eux. D'ailleurs, à Bouaké, certains ex-combattants ont ouvert des comptes bancaires. Nous avons signé des partenariats avec beaucoup de structures bancaires et les comptes sont en train d'être ouverts. Des ressources seront transférées pour leur permettre de mettre en ?uvre leurs projets et leurs programmes. Ceux qui disent qu'ils ne veulent pas de projets, de programmes, nous sommes surpris de leurs réactions. Parce que nous voulons les réinsérer durablement.

LP : Pourquoi ne veulent-ils pas de ces projets alors ?
F.S : Je vous ai dit que certains parmi eux, veulent de l'argent en espèces et ils demandent 40 millions de francs CFA par ex-combattant. La Côte d'Ivoire est en train de se relever d'une crise économique terrible. Par conséquent, elle ne peut pas se permettre de prendre un tel engagement pour une cible de plus de 60.000 personnes. Soyons réalistes ! Nous voulons leur offrir des activités pérennes. Je pense qu'il faut faire preuve de réalisme. Nous allons les orienter vers des projets crédibles. Nous avons l'oreille attentive d'un grand nombre d'ex-combattants qui viennent dans nos bureaux et qui sont intéressés par les projets et les initiatives que nous leur proposons. D'eux-mêmes, ils viennent avec des initiatives et on les accompagne. Nous avons approché des cabinets pour les aider à monter leurs initiatives et leurs projets. Nous sommes à leur disposition, mais il faut quand même être raisonnable dans les revendications.

LP : Pensez-vous à un sabotage ?
F.S : Je ne crois pas. Peut-être que je suis naïf. Mais, je n'ose pas croire qu'il existe des actions de sabotage. Parce que l'enjeu est tellement important pour le pays, son économie, pour la paix que je veux croire que tous les Ivoiriens sont dans une bonne disposition pour aider à la réussite du processus du DDR en Côte d'Ivoire.

LP : Qu'est-ce que vous avez dit aux ex-combattants mecontents de Bouaké pour les rassurer ?
F.S : Nous leur avons dit de faire confiance à l'ADDR et au gouvernement. Nous leur avons demandé de faire confiance au président de la République, Son Excellence Alassane Ouattara qui nous a donné des instructions nous demandant d'accélérer le processus de réintégration des ex-combattants. Et c'est ce que nous sommes en train de faire. Nuit et jour, mes collaborateurs et moi travaillons dans ce sens. Nous sommes aujourd'hui dans la phase de la mise en ?uvre des initiatives de réintégration des ex-combattants. Je leur demande de faire donc preuve d'un peu de patience. Dans les jours et semaines à venir, ils verront la concrétisation des initiatives que nous sommes en train d'entreprendre pour eux.

LP : A combien estimez-vous le nombre d'ex-combattants déjà réintégrés depuis votre prise de fonction en octobre dernier?
F.S : A la date d'aujourd'hui, nous avons réintégré à peu près 2200 ex-combattants essentiellement dans le corps des gardes pénitentiaires et dans le domaine de l'agro-pastoralisme. Nous avons allons initier le programme de 2000 démobilisés à la douane. A côté de cela, nous avons d'autres projets qui sont en cours notamment dans le secteur privé. Mais également dans le corps des gardes forestiers et l'agriculture, de la protection civile. Nous sommes en train de dérouler ce programme et vous allez voir que très bientôt nous allons initier cela pour réintégrer effectivement les ex-combattants.

LP : Avec tout ce programme, dans quel état d'esprit se trouve Fidèle Sarassoro après les événements de Bouaké ?
F.S : Je suis serein. C'est une mission stressante certes, mais exaltante. Elle est exaltante dans la mesure où la réussite de ce programme contribuera non seulement à la sécurité, à la paix sociale. Mais très certainement au processus de développement de la Côte d'Ivoire.

LP: Quelles sont vos stratégies de réinsertion et de réintégration ?
F.S : Les stratégies sont simples. Dans ce domaine-là, il faut être simple. Il y a quatre créneaux essentiels que nous avons identifiés. Il y a la réinsertion et la réintégration directe. C'est celle-là qui permet aux ex-combattants de rentrer dans l'administration publique et dans le secteur privé. C'est-à-dire que des gens qui vont déboucher sur des emplois rémunérés. Pour ce qui concerne l'administration publique, c'est un créneau qui existe. Mais qui est limité. Le secteur privé, par contre, offre plus d'opportunités. Et nous travaillons à encourager les entreprises privées à accompagner l'ADDR en nous offrant des opportunités de réinsertion. Le second créneau, c'est l'auto-emploi. Certains ex-combattants se sont pratiquement réinsérés eux-mêmes. Ils ont des petits métiers, des micro-entreprises. Nous allons les accompagner par le renfoncement de leurs capacités dans ce qu'ils font déjà. Certains n'ont aucune qualification et qui veulent apprendre un métier. Ceux là seront formés et nous allons les aider à s'installer. Le dernier créneau, c'est une frange des démobilisés qui sont relativement jeunes qui ont des diplômes comme le BEPC ou le Bac et qui veulent retourner à l'école. Ceux-là seront aidés à reprendre leurs études. Voilà un peu les stratégies que nous avons mises en place.

LP : Avec le PNRRC, certains ex-combattants ont déjà bénéficié de certains projets. Quel sera le sort de ceux-là ?
F.S : Ceux qui ont déjà bénéficié de projets qui ont été réintégrés par le PNRRC, nous sommes en train de voir la base de données pour pouvoir les sortir. Evidemment, ce n'est pas un processus facile. On sait qu'à la faveur de la crise postélectorale, il y a certains qui avaient été intégrés et qui à la suite de ces événements ont repris les armes. Pour ceux-là, il faut tenir compte de leur spécificité. A partir du moment où ils ont repris les armes, ils redeviennent des ex-combattants. C'est donc ce travail d'affinage que nous sommes en train de faire pour s'assurer qu'il n'y a pas de doublon et qu'il n' y a pas de faux ex-combattants. Je lance un appel aux ex-combattants, il faut qu'ils sachent que la paix et la sécurité sont nécessaires pour le développement de ce pays et pour la création d'emplois. Qu'ils sachent que l'Etat de Côte d'Ivoire est résolument engagé à les réintégrer dans la vie socio-professionnelle. C'est pour cela que l'ADDR a été créée. Cette structure a été créée pour eux. Leurs préoccupations sont des priorités pour le chef de l'Etat et le gouvernement. Nous sommes engagés à leurs côtés pour trouver une solution durable à leurs préoccupations. Je leur demande de laisser l'ADDR travailler en toute sérénité. Parce que chaque fois qu'il y a des sauts d'humeurs et des mouvements, cela ne nous permet pas de travailler en toute sérénité. Au contraire, tous ces mouvements retardent le processus de réintégration.

LP : Combien d'ex-combattants avez-vous à réintégrer ?
F.S : Le nombre est estimé à 64.777. C'est le chiffre de la planification.
Entretien réalisé par Zana Coulibaly

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