vendredi 17 mai 2013 par AFP

ABIDJAN (Côte d'Ivoire) - Moins d'un an après la réouverture en grande pompe des universités, le gouvernement ivoirien est confronté au malaise des étudiants, malgré une réhabilitation très coûteuse des campus censée effacer plus d'une décennie de dérives et de violences.

Le ministre de l'Enseignement supérieur, Ibrahima Cissé Bacongo, l'a constaté à ses dépens cette semaine. Dans l'enceinte de l'université Félix Houphouët-Boigny d'Abidjan, il a été pris à partie lundi par plusieurs centaines d'étudiants et a dû battre en retraite sous une pluie de pierres, pendant que la police usait de gaz lacrymogènes. "Bacongo voleur", "Bacongo
menteur", scandaient les protestataires.

La colère est à la mesure des attentes suscitées par les travaux impressionnants engagés après la crise postélectorale de décembre 2010-avril 2011, qui avait fait 3.000 morts et entraîné la fermeture de l'université d'Abidjan, la plus grande du pays (plus de 60.000 étudiants sur près de 90.000
au total), durant plus d'un an. Pour la rentrée en septembre 2012, sur le
campus refait à neuf, le président Alassane Ouattara avait lui-même donné le
coup d'envoi du "départ nouveau", le mot d'ordre officiel.

Mais la grogne n'a cessé de monter depuis lors. "Quand on a vu les
infrastructures, nous étions satisfaits: des bâtiments fraîchement peints, de
l'air conditionné dans les amphithéâtres, de belles pelouses. Mais à peine ces
infrastructures ont-elles commencé à fonctionner que nous avons été déçus",
explique à l'AFP Gaoussou Diabaté, étudiant en licence de droit public et
porte-parole de l'Alliance nationale des étudiants de Côte d'Ivoire (Aneci).

Les amphithéâtres toujours surpeuplés et les salles trop peu nombreuses
(certains cours se font même à l'air libre) sont le premier motif de plainte.
Autre sujet de mécontentement: l'insuffisance des transports publics autour de
l'université, qui provoque d'interminables files d'étudiants en pleine rue
après les cours. La pagaille quand un bus finit par arriver a même déjà causé
des décès et des blessés graves, selon les syndicats.

Budget colossal

En outre, "il y a les coupures intempestives d'électricité, des micros qui
ne marchent pas, il n'y a aucun document dans les bibliothèques, pas de
fontaine sur le campus", déplore Gaoussou Diabaté. "On nous a fait miroiter un
rêve".

Nombre d'étudiants réclament donc des comptes sur la gestion des fonds
dédiés aux chantiers des cinq universités (installées à Abidjan et dans
l'intérieur du pays). Un montant colossal - 110 milliards de francs CFA (167
millions d'euros) - pour un contrat très controversé, jugé opaque par
beaucoup. "Il faut qu'à un moment on puisse voir ce à quoi ont servi ces 110
milliards", affirme Armand Kakou, étudiant en lettres modernes.

Du côté du ministère, on recommande la "patience". Le chantier des
universités "n'est pas terminé", indique Viviane Krou Adohi, directrice
générale de l'Enseignement supérieur, vantant le travail déjà accompli. "Nous
n'avons même pas encore utilisé la moitié" du budget alloué, précise-t-elle.
Selon cette responsable, les travaux pourraient être bouclés "d'ici la rentrée
prochaine".

Toutefois, sous couvert d'anonymat, une source au ministère dénonce des
"sabotages" qui seraient perpétrés sur le campus d'Abidjan par des partisans
de l'ex-président Laurent Gbagbo, tombé il y a deux ans.

L'incident de lundi, suivi jeudi de bagarres entre étudiants, a en effet
rappelé avec force combien l'université reste une question politique et
sensible.

La presse proche du pouvoir a cru voir cette semaine la main de la
Fédération estudiantine et scolaire de Côte d'Ivoire (Fesci), syndicat
tout-puissant sous le régime Gbagbo. Sous le règne de la Fesci, désormais
marginalisée, les milieux universitaires avaient connu une explosion de la
violence et des trafics en tous genres. A l'inverse, pour les journaux
d'opposition, les étudiants désormais "se révoltent contre Ouattara".

Il reste que les tensions dans les milieux universitaires sont "une alerte"
pour le gouvernement, qui a une vision surtout "macro-économique" des
problèmes du pays, estime un diplomate africain en poste à Abidjan. Si la Côte
d'Ivoire reste la première puissance économique d'Afrique de l'Ouest
francophone, elle a été durement éprouvée et appauvrie par une longue décennie
de tourmente politique, militaire et sociale.

Le diplomate ajoute, en forme d'avertissement: l'impatience de certaines
couches sociales "ne peut que renforcer l'opposition", actuellement très mal
en point, d'ici l'élection de 2015, à laquelle le président Ouattara envisage
de se représenter.
eak/tmo/de

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