mardi 28 mai 2013 par Le Patriote

Alpha Condé, le Président Guinéen, est au bilan de ces deux années de pouvoir. A Conakry où nous l'avons rencontré, il a dit sa foi à une renaissance guinéenne, sa méfiance de l'opposition et ses attentes de la diaspora.

Le Patriote : M. le Président, quelle est votre vision pour une Guinée Nouvelle ?
Alpha Condé : Vous savez, quand je suis devenu Président, j'ai dit que j'ai hérité d'un pays, pas d'un Etat. Parce que l'administration guinéenne était quasiment inexistante. La gestion était catastrophique. Mon premier souci était d'établir l'équilibre macro-économique et de sortir du PPTE. Le PIB était de 5 milliards de dollars c'est-à-dire six fois moins que le Sénégal. Et on avait 3 milliards de dollars de dette. Il fallait donc faire une gestion macroéconomique correcte pour nous permettre de sortir du PPTE afin que la Guinée puisse se lancer maintenant dans sa politique de développement. Evidement le PPTE, c'est bien. C'est l'inflation, etc. Mais cela ne change pas l'assiette du citoyen. Or la Guinée est l'un des pays où le niveau de vie est le plus bas. J'ai dû expliquer aux populations que compte tenu des reformes, nous allons souffrir deux à trois ans. Mais que le développement est à ce prix. Maintenant nous sommes débarrassé du PPTE. Nous sommes encore en programme avec le Fonds Monétaire International (FMI) jusqu'en 2014. Nous allons maintenant progressivement essayer de faire un développement profitable au peuple. Cependant, il fallait se débarrasser de cette mauvaise gestion. Ensuite, dans beaucoup de secteurs, nous sommes obligés d'avoir un partenaire stratégique, notamment au niveau de l'Eau et de l'Electricité. Non seulement nous avons réparé des groupes mais nous avons dépensé 120 millions de dollars pour acheter deux groupes de 50 Mégawatt chacun. Mais jusqu'à présent ils ne sont pas sur le réseau. Du fait de la mauvaise gouvernance du Directeur général. C'est pourquoi, nous cherchons maintenant un partenaire stratégique qui va travailler avec lui. Que ce soit pour l'Eau ou l'Electricité, nous recherchons un partenaire stratégique qui va nous aider à la bonne gouvernance. Mon problème aujourd'hui, c'est une bonne gestion, une véritable administration, au fond, une vraie reforme. Nous avons déjà procédé à la reforme la plus difficile, celle de l'armée. Vous savez dans quel état était l'armée guinéenne. Les grades ont été harmonisés. Nous sommes maintenant au tableau d'avancement. Ce ne sont pas des reformes faciles, parce que les habitudes ont la peau dure. Le changement en Guinée est très très difficile car le peuple s'est attaché à beaucoup de mauvaises habitudes. Les citoyens ont perdu l'habitude de la loi. On prend un voleur, au lieu de le conduire au Commissariat, on le frappe à mort. L'Etat est quasi-inexistant. Il faut créer l'Etat. A tous les niveaux, que ce soit l'administration et l'Etat en tant qu'organe existant pour maintenir l'ordre dans le pays.

LP : quel est votre bilan des deux ans comparativement à vos promesses de campagne?
A.C : Quand je suis venu, j'ai dit aux populations : la Guinée est à terre, nous allons souffrir entre deux et trois ans pour sortir de cette situation. J'ai donc promis des reformes entre autres, l'unicité des caisses. Cela a été fait. Aujourd'hui, la monnaie est stabilisée par rapport aux devises. Nous avons aussi amélioré le fonctionnement de la Banque centrale. Bref ! J'ai rétabli les équilibres macroéconomiques. Nous avons procédé à la reforme de la Sécurité. Nous sommes actuellement au recensement biométrique de la fonction publique pour faire la reforme de ce secteur. Quand je suis arrivé, l'agriculture était à l'abandon. En deux ans, nous avons fourni de l'engrais, de l'insecticide, des tracteurs, etc. nous avons soutenu l'Agriculture. Quand je suis arrivé, le riz importé était à 250 000 ou 300 000 Francs Guinéens (FG), aujourd'hui il est à 185 000 FG. Le riz local était à 8000 ou 9000, aujourd'hui il est à 4500 FG. Nous avons accompagné les paysans. Aujourd'hui, ces derniers ne consomment plus le riz importé, ils consomment leur riz local. Notre objectif, c'est d'arriver à l'autosuffisance alimentaire. Avec l'irrigation, la Guinée peut arriver à deux récoltes par an. L'un de nos gros objectifs, c'est l'énergie. Ce n'est pas aussi facile que cela. Vous savez, il ne s'agit pas que de produire, il faut aussi transporter. Or les tuyaux sont très vieux. Ils sont installés depuis assez longtemps. Ensuite, il y a la distribution. C'est un tout. Même si nous produisons 1000 mégawatts aujourd'hui, on ne peut pas donner l'électricité à tout Conakry, parce qu'il faudra rénover tout le système de transport. Pour moi, il faut poser les bases d'une économie simple à partir de laquelle on peut maintenant lancer le développement qui change le panier de la ménagère. Il faut avoir une bonne administration, une bonne gouvernance et assurer l'autosuffisance alimentaire en n'important plus de riz.

LP : Vous avez un programme, une vision pour votre pays. Malheureusement, on ne peut pas dire que les tensions politique et sociale vous facilitent les choses. Comment comptez-vous vous y prendre pour un climat apaisé, favorable la mise en ?uvre de ce projet ?
A.C : Je n'ai pas de problème avec la société civile. Depuis que je suis arrivé au pouvoir, il n'y a pas de grève. Les syndicats m'accompagnent. En contrepartie, une fois le point d'achèvement PPTE atteint, nous avons augmenté les salaires de 50%. Pour l'opposition, appréciez vous-même leur comportement. Mon objectif est de maintenir la Guinée en paix. Il nous faut une bonne gestion. On ne peut pas gérer la Guinée comme avant.

LP : Pourtant quasiment chaque semaine, il y a des marches à Conakry. Qu'est-ce qui explique cela ?
A.C : On fait croire que Conakry est à feu et à sang. Vous êtes ici à Conakry depuis une semaine. Tirez vos conclusions. Y a-t-il du désordre ? Les manifestations sont dans un seul quartier, à Ratoma. On ne peut empêcher des gens qui veulent faire la pagaille. A part ça, qu'avez-vous vu. Vous avez circulé tranquillement. Tout se passe correctement. Il n'y a aucune menace.

LP : Encore une fois, M. le Président, comment comptez-vous vous entendre avec l'opposition pour conduire votre programme ?
A.C : Je me suis battu pendant 40 ans pour la démocratie. J'organiserai des élections transparentes et sécurisée. Les experts me l'ont assuré. C'est ce que je peux assurer. Pour le reste, je ne peux obliger personne à aller aux élections. Je m'attèle à ce que techniquement, l'élection soit transparente et sécurisée. Qu'il n'y ait aucun reproche à ce niveau. Nous avons la communauté internationale, notamment la francophonie qui nous accompagne.

LP : Avec l'ambiance qui prévaut, la date du 30 juin est-elle vraiment tenable ?
A.C : Cela ne dépend pas de cette ambiance. Tout dépend de la CENI. Si techniquement la CENI estime que c'est possible, l'élection aura lieu le 30 juin.

LP : Nous avons constaté un certain nombre de grands travaux à travers la capitale, quels sont réellement vos projets en la matière ?
A.C : la Guinée a la plus grande potentialité des pays de l'Afrique de l'Ouest. Et aujourd'hui, elle est dernière. Alors que nous pouvons être l'élément moteur pour le développement de l'Afrique de l'Ouest, tant par nos richesses minières que par notre agriculture. Mon objectif, c'est de faire en sorte que la Guinée devienne un élément moteur pour le développement de l'Afrique de l'Ouest. En association avec les autres pays, nous pouvons créer une sidérurgie en Afrique de l'Ouest, nous pouvons créer une métallurgie. Au lieu d'exporter nos matières premières. Mon objectif est de faire en sorte que la Guinée soit un facteur mobilisateur pour le développement de l'Afrique de l'Ouest. Dans ce cas, il faudra transformer les potentialités en réalité.

LP : M. le Président, on parlait de vos chantiers. On en a vu beaucoup. Vos collaborateurs ont évoqué ceux des provinces également. Il y a un adage qui dit qui trop embrasse étreint . Trop de chantiers ne risquent-ils pas de contrarier vos attentes ?
A.C : Non ! Il y a un diplomate français qui dit il ne suffit pas de bien faire, il suffit de le faire savoir . Notre problème, c'est qu'on a fait beaucoup d'avancées sans vraiment communiquer. Au niveau de la protection de nos eaux territoriales, nous sommes le pays le plus avancé à ce jour. Tout est à faire en Guinée. Tout est prioritaire. Mais nous avons mis l'agriculture en tête. Il faut que les gens mangent. Ensuite, ce sont les infrastructures, l'Energie, l'Eau et le développement industriel. Dans toutes les villes, on a mis des poteaux solaires. Et nous allons poursuivre. Il faut modifier, je le redis, la gouvernance d'EDG (Electricité de Guinée) en faisant venir des partenaires stratégiques. Comme on l'a fait avec le transport public. Cela a été fait avec la RATP (France). Cela marche bien. Nous allons faire de même avec l'Eau et l'Electricité. Il ne s'agit pas d'embrasser trop. Il s'agit d'utiliser les ressources que nous avons pour les transformer en réalité. Nous avons 6 millions d'hectares de terre fertiles. Nous n'en cultivons même pas 20%. Nous avons des artisans qui ont toutes les compétences, mais nous ne les aidons pas. Nous avons donc lancé une politique de promotion des Petites et Moyennes Entreprises (PME). Il s'agit d'utiliser les potentiels de la Guinée pour les transformer. Transformer le secteur informel productif en PME. Nous pensons aussi aux fêtes d'indépendances tournantes qui vont permettre de développer les régions et de ne pas tout concentrer sur Conakry. 70% de la population, c'est la paysannerie. On ne peut les abandonner en concentrant tout dans la capitale.

LP : la Guinée fait un retour remarqué sur la scène internationale, notamment sous-régionale, avec la CEDEAO, l'Union du fleuve Mano, etc. avez-vous des projets communs avec vos voisins ?
A.C : En tant qu'ancien Président de la FEANF (Fédération des Etudiants Noires de l'Afrique Francophone), j'ai toujours été panafricaniste. Mon objectif, c'est l'intégration sous-régionale, régionale et continentale. Nous avons la CEDEAO qui a fait beaucoup d'avancées. Bien sûr, on a connu quelques difficultés avec la Guinée-Bissau. L'essentiel, c'est qu'on se donne la main que ce soit à la CEDEAO ou au Mano Rivers pour développer la région au profit de nos populations. De faire en sorte que de plus en plus, on ait une politique énergétique commune, une politique d'infrastructure commune, etc. Il faut privilégier les projets qui concernent plusieurs pays.

LP : Comment se porte réellement la diplomatie guinéenne?
A.C : D'abord, il n'y avait de diplomatie guinéenne à mon arrivée. Aujourd'hui, il y a une diplomatie guinéenne. La Guinée était enfermée. Moi, j'ai ouvert la Guinée. Nous avons ouvert de nouvelles ambassades. J'ai visité des pays asiatiques. J'ai été aux Etats-Unis, j'ai été en France, au Brésil, en Malaisie, etc. j'ai été dans beaucoup de pays africains. Donc, j'ouvre la Guinée à l'extérieur. Aujourd'hui, nous avons le Haut Commissariat à l'ONPS. Vous savez, la Guinée jouait un rôle diplomatique important sous la première République. Progressivement, nous remontons la pente. Aujourd'hui, nous essayons de faire jouer à la Guinée le rôle qui lui est dévolu. Pas de domination haute mais que la Guinée participe concrètement comme avant au renforcement de la CEDEAO et au renforcement de l'Unité Africaine. D'ailleurs, vous voyez que nous allons organiser une semaine de l'Unité Africaine. Parce que Sekou Touré a joué un rôle important dans la création de l'OUA (Organisation de l'Unité Africaine). Le premier secrétaire général de l'OUA était un Guinéen, Diallo Telli. La première présidente des femmes était une guinéenne, Jeanne Martin. Le premier secrétaire général des jeunes, c'était un guinéen. Donc au départ, tous les organes de l'OUA étaient dirigés par des guinéens. Ensuite la Guinée a apporté une grande contribution à la lutte de la libération. Il ne faut pas oublier que le MPLA a été crée en Guinée, que Nelson Mandela a suivi sa formation militaire à Kindia, etc. que la Guinée a apporté un grand soutien à la lutte de la Guinée-Bissau. Nous avons envoyé des troupes en Angola, au Mozambique, etc. Donc la Guinée peut avoir une diplomatie active et dynamique et participer à la lutte pour le développement et l'unité.

LP : Nous avons constaté beaucoup de projets en collaboration avec la Chine. Est-ce un choix délibéré ?
A.C : Nous travaillons avec nos partenaires traditionnels tout comme nous favorisons le développement Sud-Sud. Nous sommes prêts à travailler avec tous ceux qui veulent travailler avec nous. Je suis pragmatique. Si vous voulez venir investir dans des conditions normales, vous venez. Je n'ai pas à choisir. J'ai des projets. Par exemple, nous devons construire le barrage de Souapiti. Un appel d'offres a été lancé. Celui qui gagne construira le barrage. Le gré à gré est fini. Tout se fait maintenant par appel d'offres. C'est le mieux-disant qui remporte l'appel d'offres.

LP : vous avez une forte diaspora en Côte d'Ivoire, qu'est-ce que ces Guinéens doivent retenir de vos deux années à la tête de la Guinée ?
A.C : ils doivent retenir que la Guinée est en train de créer une véritable administration, un véritable Etat. Avant quand ils venaient, il y avait des barrages partout. Ils n'arrivaient pas à investir. Les Guinéens de l'extérieur étaient rejetés. Aujourd'hui, nous favorisons leur retour. Nous avons besoin d'eux. Ils ont la compétence technique. Ils ont la formation. La Guinée est ouverte. Tous les Guinéens, de l'intérieur comme de l'extérieur, ont les mêmes droits. Il n'y a pas de chasse aux enfants de la diaspora. Sinon, moi je ne serais pas Président. Je ne crois pas qu'un Guinéen soit aussi diaspora que moi. Nous avons besoin des Guinéens de l'extérieur. Nous avons besoin de leur expertise. Je dis toujours que la Guinée, c'est un peu comme les Etats-Unis où il y a un vrai melting-pot. Les Etats-Unis se sont développés parce que les gens sont venus de l'Allemagne, d'Irlande etc., déjà formés. Donc si les Guinéens qui sont en France, aux Etats-Unis, au Canada, etc. viennent, c'est comme si on recevait des assistants techniques français, canadiens, américains. Nous souhaitions vraiment le retour des cadres de l'extérieur. Bien sûr, il y a le problème des salaires, mais progressivement nous allons trouver des solutions.

LP : M. le Président, il y a eu récemment un incident à la frontière ivoiro-guinéenne. Comment avez-vous avec votre homologue ivoirien surmonté cette crise ?
A.C : je pense qu'on a dépassé les histoires de frontières. Vous savez un jour, Sekou Touré a dit à Modibo Keita (premier Président du Mali, ndlr) : si vous voulez, envoyez la frontière du Mali jusqu'à Conakry . Les gens vivent depuis des siècles ensemble sans problèmes. Ce sont parfois des fonctionnaires zélés qui créent des problèmes. J'ai dit simplement qu'on discute. On ne peut pas avoir de problèmes avec la Côte d'Ivoire ou avec le Sénégal. Ce sont les mêmes ethnies qui sont des deux côtés de la frontière. Nous ne pouvons pas parler d'intégration africaine sans dépasser les problèmes de frontières. J'en ai parlé avec le Président Ouattara. Les techniciens vont s'en occuper. Ils vont regarder les cartes coloniales. Et on résoudra cela de façon pacifique. La Côte d'Ivoire est un pays frère. Une grande communauté guinéenne y réside. Moi-même, j'ai été longtemps en Côte d'Ivoire. J'avais même mes bureaux à Abidjan. C'est comme ma deuxième patrie.

LP :: Justement, comment appréciez-vous l'évolution de ce pays depuis l'accession du Président Ouattara au pouvoir?
A.C : Je ne suis pas en Côte d'Ivoire, c'est aux Ivoiriens d'apprécier. Moi, ce que je peux vous dire, c'est que le Président Ouattara m'a donné de très bons conseils. D'ailleurs pour quoi, je l'appelle mon conseiller économique et moi son conseiller politique. Nous avons d'excellentes relations, des relations de frères et coopération. J'apprends vraiment beaucoup de lui sur le plan des idées économiques.

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