mercredi 5 juin 2013 par Le Patriote

Que renferme la décision prise par les juges de la CPI, le lundi dernier ? Laurent Gbagbo sera-t-il libéré ou Fatou Bensouda a-t-elle été désavoué par la Cour? Voici autant de questions qui se posent depuis la décision des juges de la CPI d'ajourner le verdict de l'audience de confirmation des charges. Joint au téléphone hier, Fadi El-Abdallah, porte-parole de la CPI, dans cette interview, répond à toutes ces préoccupations. Entretien !
Le Patriote : La décision prise par la Cour est, pour beaucoup, une porte ouverte vers la libération de Laurent Gbagbo ?
Fadi El-Abdallah : Premièrement, indépendamment de la décision elle-même, la question de maintien en détention de M. Gbagbo est une question rédigée périodiquement par les juges au moins tous les 120 jours, selon les règles. Deuxièmement, indépendamment de cette décision, la défense peut à tout moment évoquer la question de maintien en détention de M. Gbagbo. Ce n'est donc pas lié à la décision, même si la décision aurait été de confirmer les charges. Il demeure possible pour la Défense de demander une demande de mise en liberté provisoire, et de toutes les façons les juges auraient eu à revoir la question de la détention de M. Gbagbo. La décision de la mise en liberté conditionnelle ou non est donc une question indépendante qui peut être soulevée.

LP : Est-ce à dire, selon vos explications, qu'il ne s'agit pas d'une libération prochaine de Laurent Gbagbo ?
FEA : Non. Ce que je dis très clairement, c'est que la question de la mise en liberté de M. Gbagbo peut être soulevée par la Défense. De toutes les façons, les juges ont à examiner le dossier tous les 120 jours au moins. Ce je veux dire c'est que ceci n'est pas liée à la décision d'avant-hier.

LP : La décision d'avant-hier est-elle un désaveu pour le procureur Fatou Bensouda ?
FEA : Ce que les juges ont dit, c'est que les preuves présentent une certaine valeur sommatoire, mais ne couvrent pas l'ensemble des questions que les juges ont jugé nécessaires d'éclairer afin de pouvoir décider s'il faut envoyer l'affaire pour un procès ou pas. Les juges ont posé un certains nombre de sujets. Ils ont demandé au procureur d'apporter des réponses à ses questions.

LP : L'avocat de l'Etat de Côte d'Ivoire a dit hier sur les antennes d'une radio que Laurent Gbagbo était chef de l'Etat de fait au moment de la commission des crimes. De quelles preuves a-t-on encore besoin ?
FEA : Il faut séparer totalement la question de la responsabilité politique de celle d'une responsabilité pénale et individuelle. Ce que la Cour déclare, ce n'est pas qui était au pouvoir à un certain moment, mais examiner le lien entre les crimes qui auraient été commis et la personne qui les auraient commis. Il faut des éléments de preuves qui pourraient lier la personne aux crimes, à la responsabilité des crimes et non pas à la responsabilité politique. La responsabilité politique est quelque chose qui est totalement différent de la responsabilisé pénale ou personnelle.

LP : Au moment où on jugeait Jean Pierre Bemba et Charles Taylor, il n'y avait pas autant de remous. Pourquoi y en a-t-il tant dans l'affaire Laurent Gbagbo ?
FEA : Je ne sais pas exactement à quoi vous vous referez. Mais dans l'affaire de Jean Pierre Bemba, par exemple, lorsqu'il y a eu l'audience de confirmation des charges, 60 jours après, les juges ont ajourné l'audience. Ils ont demandé au procureur de modifier les charges. Parce que les éléments présentés montraient autre chose que ce que le procureur demandait. Donc, qu'il y ait une décision d'ajourner et de demander au procureur de modifier les charges ou d'apporter des informations supplémentaires, ce n'est pas la première fois que cela arrive.

LP : Est-ce que la mobilisation des pro-Gbagbo n'a pas été pour un peu dans ce report ?
FEA : Il faut comprendre qu'une institution judicaire traite seulement des questions qui lui sont soumises, selon les règles de procédure bien déterminées. Tout ce qui est en dehors du dossier, à part ce qui a été versé devant les juges par le procureur, par la défense et par les représentants légaux des victimes, ne peut pas être pris en compte par le juge.

LP : Est-ce que Laurent Gbagbo peut bénéficier d'une mise en liberté avant le nouveau délai indiqué pour la confirmation ou non des charges ?
FEA : Comme je l'indiquais au début, la question de la mise en liberté provisoire ou conditionnelle est une question qui est indépendante de la décision d'avant-hier. C'est une question qui peut être soulevée par la défense à n'importe quel moment. De toutes les façons les juges doivent la réexaminer à tout moment, tous les 120 jours. Ce sera à eux de décider s'il faut maintenir M. Gbagbo en détention dans l'attente du résultat de la décision de la confirmation des charges ou pas. La question, je le répète, est indépendante de ce qui a été décidé avant-hier.

LP : On parle d'un pays d'accueil, notamment l'Afrique du Sud,en cas de mise en liberté provisoire. Cette information est-elle avérée ?
FEA : Si le juge estime qu'il faut mettre en liberté M. Gbagbo, en ce moment là on pourra examiner cette question. Pour le moment, nous ne pouvons pas en parler. Il faut d'abord que les juges décident sur la question de la mise en liberté provisoire.

LP : Les juges ont parlé d'enquête. Est-ce à dire que le procureur sera obligé de revenir sur le terrain ?
FEA : Si le procureur le juge nécessaire, oui ! Ce que les juges ont demandé au procureur, c'est d'apporter des réponses à certaines questions. C'est au Bureau du procureur de voir comment il doit faire pour apporte ces éléments-là. Il est peut-être possible que le procureur dispose déjà de certains éléments de preuves qui n'ont pas été communiqués lors de l'audience de la confirmation des charges. Il est aussi possible que le procureur envisage d'autres missions d'enquête sur le terrain. C'est quelque chose qui relève uniquement du Bureau du procureur.

LP : Les enquêtes en cours vont-elles concernées d'autres personnes ?
FEA : Il faut séparer la question des autres cas. La question qui a été soulevée avant-hier est seulement liée à la procédure enclenchée à l'encontre de M. Gbagbo. Donc, les juges ont demandé plus d'informations en ce qui concerne les charges alléguées dans cette affaire. Indépendamment de cela, le Bureau du procureur continue les enquêtes en Côte d'Ivoire en rapport avec les allégations de crimes contre l'humanité qui auraient été commis dans les deux camps. Les juges ont précisé qu'il y a des allégations de crimes commis dans les deux camps. Le procureur a à enquêter sur ces allégations. Les enquêtes continuent, de toute façon. Le bureau du procureur a indiqué qu'il y aurait d'autres demandes. Soit des mandats d'arrêt soit des citations à comparaitre dès que, selon le Bureau du procureur, il y aurait suffisamment d'éléments de preuves pour constituer un dossier devant le juge.

LP : La CPI est accusée de défendre la justice des vainqueurs. Que répondez-vous à cela ?
FEA : Si vous regardez un peu l'ensemble des activités de la Cour pénale internationale, vous allez bien voir que la Cour intervient alors que les conflits ne sont pas encore terminés, alors qu'on ne connait pas qui est vaincu, qui a gagné. La Cour intervient uniquement pour installer une fin de l'impunité des personnes qui auraient commis des génocides ou des crimes de guerre. En regardant, vous allez constater qu'au niveau du Kenya le Bureau du procureur a présenté une demande de citation à comparaitre contre six personnes des partis politiques. Au Soudan, des mandats ont été lancés contre le Président Béchir et d'autres personnes du gouvernement qui sont toujours au pouvoir actuellement. Mais en même temps, le Bureau du procureur a lancé des mandats à l'encontre des forces rebelles. La Cour intervient d'une façon impartiale. Le Bureau du procureur enquête de façon impartiale. Et lorsque le Bureau du procureur accuse une personne, il reste que la demande passe devant les juges qui, eux, sont pleinement impartiaux et indépendants.

LP : Récemment, les chefs d'Etat de l'Union africaine ont accusé la Cour de racisme . Êtes-vous de cet avis ?
FEA : Il faut rappeler un peu la procédure devant la Cour. Vous voyez que lorsque la Cour a ouvert des enquêtes, elle les a faites à la demande des Etats africains eux-mêmes, en ce qui concerne l'Ouganda, la République centrafricaine, la République démocratique du Congo, le Mali ou même la Côte d'Ivoire qui n'était pas un Etat partie. En ce qui concerne la Côte d'Ivoire, c'est le gouvernement de M. Gbagbo en 2003, puis le gouvernement de M. Ouattara plus tard qui ont demandé à la Cour pénale internationale d'ouvrir une enquête. Parce qu'ils ont compris que ce qui s'est passé sur leur territoire dépassait la capacité des autorités nationales à gérer, à poursuivre et à enquêter sur les personnes qui sont suspectées d'être les plus hauts responsables des crimes contre l'humanité. En plus de cela, si on prend les autres dossiers ouverts par la Cour, la Libye et le Darfour, c'était toujours à la demande du Conseil de sécurité de l'ONU où des Etats africains sont représentés. Souffrez que je me permets de vous rappeler, par exemple, qu' à propos de la Libye, la décision a été prise à l'unanimité des Etats membres du Conseil de sécurité. Pour le Kenya, c'est quelque chose de tout à fait semblable. Après les violences postélectorales, le Bureau du procureur a approché les autorités nationales qui ont coordonné les choses avec le Bureau du procureur. C'est seulement lorsque les mécanismes internes au Kenya n'ont pas pu être mis en place pour des raisons politiques que le Bureau du procureur a décidé d'ouvrir une enquête. Quand on regarde en détail toutes les enquêtes, on se rend compte qu'elles ont toujours été ouvertes à la demande des Etats africains. Dans l'intérêt de qui ? Dans l'intérêt de milliers et de milliers de victimes qui ont subi des préjudices énormes à cause des crimes de masse. Lorsque le Cour pénale internationale intervient dans un pays, ce n'est pas contre une, deux ou trois personnes. Mais, c'est dans l'intérêt de milliers de victimes. En dehors de l'Afrique, la CPI examine plusieurs situation à travers le monde, que ce soit en Corée, en Colombie, au Honduras, ou en Géorgie. Ce n'est pas une Cour qui est liée à une zone géographique déterminée. Elle a une compétence sur l'ensemble des Etats parties ou si le Conseil de sécurité décide de renvoyer vers elle un dossier. La Cour applique les mêmes critères juridiques quelle que soit la situation. Il faut comprendre comment s'ouvre une enquête à la CPI pour comprendre qu'en réalité, dans l'ensemble, ce sont les Etats africains qui sont venus vers la CPI pour demander l'ouverture des enquêtes.

LP : Il y a également Me Dov Jacobs, l'un des avocats de Laurent Gbagbo, qui s'est dit scandalisé par le caractère politique que prenait l'affaire. N'est-ce pas une autre raison qui a fait reculer la Cour ?
FEA : Si vous lisez très bien la décision, vous allez comprendre que la CPI et les juges ont appliqué ce qui est prévu dans le Statut de Rome. Dans les règles qui gouverne le Statut de la Cour. Ils ont u,iquement statué sur ce qui a été présenté par Me Emmanuel Altit, par la Défense de M. Gbagbo et par le Bureau du procureur. A la lumière de ces éléments-là, les juges ont décidé à la fin qu'il y a certaines zones qui n'ont pas été suffisamment éclairées et qu'il est nécessaire avant de décider si on va envoyer l'affaire en procès ou pas, d'avoir des réponses à ces questions-là.

LP : Où en est-on avec l'affaire Simone Gbagbo ?
FEA : Pour l'affaire Simone Gbagbo, la Cour pénale internationale a émis un mandat d'arrêt. Nous demandons aux autorités ivoiriennes de remettre Mme Gbagbo à la Cour pénale internationale. Nous attendons une réaction officielle de la part des autorités ivoiriennes soit pour remettre Mme Gbagbo à la CPI soit pour demander aux juges de la CPI une exemption ou un report de cette remise, selon les règles qui sont applicables à la Cour pénale internationale et selon ce que sera la décision des juges. Pour le moment, nous attendons toujours la réaction officielle des autorités ivoiriennes.
Réalisée par Jean-Claude Coulibaly

Laurent Gbagbo comme Jean Pierre Bemba en 2009
Après le renvoi de la décision des juges de la Cour pénale internationale dans l'affaire le procureur contre Laurent Gbagbo, c'est la joie dans le camp de l'ancien dictateur. Pour les inconditionnels de l'ex-chef de l'Etat, l'ajournement de la décision des juges, qui ont demandé au procureur d'apporter des preuves additionnelles à son dossier contre l'ancien chef d'Etat, ouvre le boulevard de la liberté à leur champion. Ils exultent et parlent de grande victoire de Laurent Gbagbo. Il faut tout de suite les comprendre et même leur donner raison. Dans cette très longue épreuve de nerfs qui voit son champion empêtré dans un marathon judiciaire, le FPI n'a pas d'autres choix que de se nourrir d'espoir. Il le fait surtout pour les nombreux militants qui rêvent d'une issue heureuse pour Gbagbo.
Cependant, la réalité des faits est tout autre. Car, le scénario qui s'est produit le 3 juin dernier à la CPI n'est pas nouveau. On l'a déjà vécu avec l'ancien vice-président congolais et président du mouvement de la libération du Congo (MLC), Jean Pierre Bemba Gombo en 2009. En effet, poursuivi par la CPI pour des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité commis par ses troupes rebelles entre 2002 et 2003 en République centrafricaine, la chambre préliminaire I saisie de l'affaire avait décidé d'ajourner l'audience de confirmations des charges et avait demandé au procureur de reconsidérer les charges contre Jean Pierre Bemba, notamment quant à la forme de responsabilité qu'aurait Bemba en rapport avec les crimes allégués. Mais cela n'a aucunement permis à l'ancien vice-président du Congo de respirer l'air de la liberté. Bien au contraire, l'accusation avait modifié les charges et la chambre a, par la suite, confirmé les charges et renvoyé l'affaire en procès. C'est pourquoi, la jubilation du camp Gbagbo suite au report de la décision des juges est de toute évidence prématurée. En demandant au procureur de fournir des preuves additionnelles à son dossier ou de conduire des enquêtes supplémentaires sur un certain nombre de points dans l'affaire le procureur contre Laurent Gbagbo, la chambre préliminaire I donne, en outre, l'occasion à l'accusation de revisiter la crise postélectorale afin d'établir de façon nette la responsabilité du machiavel des lagunes. Dans ce sens, les juges veulent se rassurer que la décision qu'ils auront prise ne souffrira d'aucune suspicion et surtout d'aucune contestation. De là à crier à une liberté prochaine de Laurent Gbagbo, le fossé est évidemment grand. En effet, le renvoi de la décision des juges, n'implique pas une libération même provisoire du suspect. Au contraire, cette situation contrairement à ce que son camp semble faire croire ne profite pas à Laurent Gbagbo. Car, elle permet à l'accusation d'apporter à son dossier d'autres éléments de preuves qu'elle n'étaient pas obligée de présenter lors de l'audience de confirmation des charges qui viendront trancher le débat. Il est tôt et même trop tôt de crier à une victoire. La bataille juridique se poursuit et est loin d'être à sa fin. En tous, Laurent Gbagbo visiblement est sur les traces de Jean Pierre Bemba et n'échappera pas à un procès.

Lacina Ouattara

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