mercredi 17 juillet 2013 par Le Patriote

Le regard dans le vide, S. expire longuement avant d'entamer la relation de ses douloureux souvenirs. Cet homme robuste d'une quarantaine d'années est aujourd'hui handicapé à vie depuis un certain lundi 24 janvier 2011 où, pour répondre à l'appel du RHDP, qui demandait de faire appliquer la décision de désobéissance civile, en compagnie de milliers d'autres jeunes, il est sorti pour manifester dans les rues d'Abengourou. Mais, la manifestation s'est vite transformée en une mission de sauvetage lorsque le leader de la FESCI, Mian Augustin, séquestra un des manifestants dans son village d'Adaou. Les protestataires du RHDP entreprennent de libérer leur camarade qui avait été enlevé par une milice conduite par Mian Augustin. C'est alors que S. a reçu des balles.

Ce lundi de janvier 2010, surnommé ici le lundi noir ou la guerre d'Adaou du nom du village du leader fesciste, restera à jamais gravé dans la mémoire des Abengourois et plus particulièrement des nombreuses victimes de cette chaude journée. Une vingtaine en tout. Comme S., Boro Ouattara, responsable de la sécurité du RDR, dont le kidnapping par les hommes à Mian a occasionné les violences, beaucoup de ces victimes de l'intransigeance de Laurent Gbagbo ruminent encore leur douleur et traînent les séquelles des tortures ou des blessures qui lui ont été infligées par la soldatesque aux ordres de Mian augustin. J'ai été reçu par le procureur général. Mais depuis, plus rien. Je ne sais où m'adresser. Nous avons le sentiment d'avoir été oubliés. Certes, notre combat était pour un idéal, mais, nous méritons un peu de reconnaissance , lâche Boro Ouattara. Autres victimes de la longue liste, Koné Issouf dit le lion qui porte encore dans le corps des chevrotines de l'expédition essaie tant bien que mal de surmonter sa douleur. Abengourou qui a été la première ville à se soulever contre la forfaiture, pour répondre à l'appel du gouvernement du Golf , après la marche réprimée du 16 décembre 2010, a payé un lourd tribut à la résistance contre la tentative de confiscation du pouvoir par l'ex-président de la République. 15 février 2011. Des jeunes du RHDP majoritairement composés de militants du RDR prennent les rues et tentent de faire appliquer l'appel à la désobéissance civile lancé par le gouvernement alors confiné au Golf hôtel.

La nécessité de justice

Mal leur prend. Usant d'une violence aveugle, les policiers dont un détachement de la CRS2, pourchassent les manifestants. Un jeune adolescent est atteint par un projectile à l'?il. Un autre reçoit une charge au flanc. Depuis, il porte une poche pour l'évacuation de ses excréments. A Akoupé, le jeune Doumbia a perdu lui aussi son ?il dans des conditions similaires.
C'est pourquoi les victimes de la crise disent ne pas comprendre les motivations de la CPI qui traîne les pas pour juger celui qu'elles tiennent pour le principal responsable de leur situation : Laurent Gbagbo. Boro Ouattara, lui, semble plus amer contre Mian Augustin dont il dénonce la non incarcération. Alors que, selon lui, il aurait porté plainte contre le meneur de la FESCI.

Un oubli coupable

Si Abengourou n'a pas déploré de mort, force est de reconnaitre que les victimes de la crise postélectorale souffrent le martyre. Les soins qu'ils ont reçu dans une clinique locale, surnommée depuis la clinique RHDP , l'ont été grâce aux bonnes volontés locales. Les jeunes Delma Mohamed Salis et Bah Abdoulaye se sont ruinés pour payer les soins qu'a nécessités la longue hospitalisation des blessés. De même les membres du RER local (Rassemblement des Enseignants républicains) ont réuni quelques maigres moyens pour aider à la prise en charge des victimes.
Certes, au cours de quelques passages sur place, des délégations du RDR ont rendu visite aux infortunés, mais ces derniers attendent toujours que leurs cas soient mieux traités. Et leur regard qui s'est longtemps tourné vers le RDR et le gouvernement a fini par se lasser. Or, la plupart ont besoin de sérieuses prises en charge médicales. Où trouver les moyens ? Telle est la lancinante question que les malheureux se posent à longueur de journée. Beaucoup parmi eux, diminués physiquement, ne peuvent exercer leur métier.

Une liste de personnes ayant subi des affres de la crise, a été dressée et transmise aux instances dirigeantes du RDR. Mais sans suite jusqu'ici. Il se renforce en eux donc le sentiment d'avoir été abandonnés après avoir donné presque leur vie pour un combat auquel ils croyaient. A Agnibilékrou, les parents des victimes de la garde de Sekré Richard alors ministre du gouvernement traité de fantoche par le gouvernement actuel, continuent de pleurer leurs fils froidement abattus un jour de mars 2011. Là-bas aussi, aucune indemnisation véritable n'a été faite. Certes, le RHDP a participé financièrement à l'inhumation des victimes, mais depuis, plus rien. Tout le monde semble avoir oublié ces martyrs qui, croyant défendre un idéal, n'ont pas hésité à y laisser leur vie ou leur santé. Aujourd'hui, si les victimes qui portent encore les séquelles de ces moments de folie disent s'inscrire dans le processus de réconciliation et de paix, elles le conditionnent au jugement des bourreaux, mais aussi à leur indemnisation par le gouvernement.

Armand Déa, correspondant

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