vendredi 26 juillet 2013 par Le Patriote

A la veille de la 3é conférence des chefs d'Etats dans le cadre du traité d'amitié et de coopération entre la Côte d'Ivoire et le Burkina Faso, nous avons rencontré le représentant de la chambre du commerce et de l'industrie du Burkina en Côte d'Ivoire. M. Tou Seydou Kélir lève un coin du voile sur le niveau des échanges commerciaux entre ces deux pays. Entretien.
Le Patriote : Quels sont les rapports entre la Chambre du Commerce et de l'Industrie du Burkina Faso et celle de la Côte d'Ivoire?
Tou Seydou Kélir : Les deux chambres de commerce entretiennent d'excellentes relations qui ont été renforcées avec l'ouverture de la représentation de la Chambre du commerce et de l'industrie du Burkina Faso en Côte d'Ivoire, il ya de cela 20 ans. La volonté des deux institutions s?urs de continuer à dynamiser leur coopération s'est du reste matérialisée le 17 novembre 2011 par la signature d'un protocole d'accord de coopération.

LP : Quel est donc aujourd'hui le niveau des échanges commerciaux entre les deux pays et en termes de devises, combien cela représente pour l'un et l'autre ?
TSK : Selon une étude du ministère en charge du commerce, portant sur la balance commerciale et le commerce extérieur du Burkina Faso 2010-2011, la Côte d'Ivoire a exporté en 2011 vers le Burkina Faso pour une valeur estimée à 122.439.500.000FCFA contre une valeur d'importation du même pays estimée à 11.622.300.000 FCFA soit un écart favorable pour la Côte d'Ivoire de l'ordre de 110.817.200.000 FCFA. Ces chiffres ne prennent pas en compte les revenus occasionnés pour l'un ou l'autre pays du fait du transit des marchandises à l'importation ou à l'exportation. Cependant, à observer les deux premières grandeurs et comparativement à la situation globale des échanges commerciaux avec le reste du monde, il ressort clairement que la Côte d'Ivoire occupe une place privilégiée parmi les partenaires commerciaux du Burkina Faso si ce n'est le premier.

LP : Comment ce commerce est alors organisé jusque-là ?
TSK : Il a toujours existé une longue tradition d'échanges et de coopération entre nos deux pays notamment sur le plan commercial eu égard non seulement à la proximité géographique mais aussi aux liens historiques forts qui caractérisent les peuples de ces deux pays voisins francophones. Un premier accord de coopération visant à faciliter les échanges commerciaux entre le Burkina Faso et la Côte d'Ivoire a été signé en 1966, faisant du corridor ivoirien, à la faveur de la liaison naturelle établie par le chemin de fer, un des corridors privilégiés de passage des marchandises burkinabè aussi bien à l'importation qu'à l'exportation.
En dépit des difficultés sociopolitiques qui ont prévalu à un moment donné de l'histoire de nos deux pays, les échanges commerciaux, bien que ralentis n'ont jamais été interrompus. Ainsi, depuis 2008, le Burkina Faso et la Côte d'Ivoire ont signé un Traité d'Amitié et de Coopération dont l'objectif est de renforcer les liens séculaires socio-économiques entre les deux pays. La première Conférence au Sommet entre les deux parties s'est tenue à Yamoussoukro, le 15 septembre 2009. Cette conférence a adopté des décisions importantes dont celle relative au secteur privé, a vivement recommandé l'implication des milieux d'affaires dans ce nouveau cadre de concertation et de promotion des relations ivoiro-burkinabè. La deuxième conférence à eu lieu à Ouagadougou les 17 et 18 novembre 2011 et la troisième est prévue pour se tenir les 28 et 29 juillet 2013 à Yamoussoukro. Par ailleurs il faut noter qu'en faveur de l'intégration régionale tant souhaitée par les dirigeants de nos pays à travers l'UEMOA, un espace communautaire a été crée, consacrant la libre circulation des biens et des personnes. Ce cadre contribue à faciliter les échanges entre les différents pays membres, notamment la Côte d'Ivoire et le Burkina Faso.

LP : Barrières douanières, tracasseries etc.., il subsiste à n'en point douter quelques entraves à une meilleure coopération en matière commerciale entre les deux Etats. Pouvez-vous nous en parler ?
TSK : De nombreuses barrières et autres formes de tracasseries ont toujours existé entre les différents pays, handicapant sérieusement la fluidité des échanges commerciaux intracommunautaires. Il est fort regrettable de constater que malgré les textes de l'UEMOA signés et ratifiés par tous les 8 pays membres, qu'il continue de subsister de barrières non tarifaires d'ordre administratif et procédural qui sont : la complexité et la lourdeur administrative dans l'exécution des procédures liées aux opérations de transit et de commerce, les tracasseries routières et les paiements illicites. Ces obstacles allongent les délais d'acheminement des marchandises, augmentent les coûts des produits à la consommation et entravent ainsi le développement du commerce entre la Côte d'Ivoire et le Burkina Faso. L'avènement de l'UEMOA qui avait cependant fait naitre de réels espoirs, force est de constater que les mesures qui ont été prises et qui consacrent la libre circulation des biens et des personnes ont du mal à être mises en ?uvre de façon concrète sur le terrain.

LP : Comment venir à bout de ces obstacles ?
TSK : Pour lutter contre cet état de fait il a été mis en place par l'UEMOA avec l'appui de l'USAID, l'observatoire des pratiques anormales (OPA) qui se veut un outil important de surveillance et de lutte contre les tracasseries routières et les perceptions illicites sur les corridors ouest africains. L'OPA dans le cadre de ses activités a déjà rendu plusieurs rapports portant sur les pratiques anormales observées sur divers corridors dont ceux d'Abidjan-Ouagadougou et/ou d'Abidjan-Bamako. Ces différents rapports ont mis à nu l'importance des tracasseries et autres entraves qui ont plusieurs fois été dénoncés et qui donnent lieu à des perceptions illicites. Si d'énormes efforts ont été consentis par les nouvelles autorités ivoiriennes à travers la mise en place de plusieurs organes de surveillance et de répression de ses pratiques anormale, force est de constater que celles-ci perdurent. On a même l'impression que seule la volonté politique ne suffit pas. Il faudra également une réelle prise de conscience de la notion de service public et un comportement citoyen des différents acteurs.

LP : Quand on parle d'interconnexion électrique entre la Côte d'Ivoire et le Burkina, on omet toujours de dire ce que cela coûte au Burkina. Ce n'est pas quand même un service gratuit?
TSK : Vous savez, la question de l'énergie a toujours été une préoccupation majeure pour les dirigeants des différents pays de la sous-région. Je dirai même que c'est une préoccupation de portée internationale vue la place de choix qu'occupe l'énergie dans l'activité économique. C'est fort d'une vision d'anticipation que les autorités ivoiriennes et burkinabè ont décidé d'une sorte de mutualisation de leurs efforts à travers des investissements lourds de part et d'autre en vue d'apporter une solution idoine à la question de l'énergie. Mais au paravent les deux pays ont pris soin de signer un contrat de fourniture d'électricité par la Côte d'Ivoire au Burkina Faso. C'est vrai que c'est sur la base d'un contrat mais aussi par solidarité que la Côte d'Ivoire fournit de cette électricité. Contrairement à ce que le citoyen lambda pourrait penser, la fourniture d'électricité au Burkina Faso ne porte pas sur plus de 5% de la production nationale ivoirienne. Cette part affectée au Burkina n'est pas non plus offerte à titre gracieux mais facturée en tenant compte non seulement de l'importance des investissements réalisés par chaque partie mais aussi du coût de l'exploitation supporté par chacune d'elles.
Par ailleurs si nous nous en tenons aux dires des premiers responsables ivoiriens en charge de la question de l'énergie, le pays a une capacité de production qui va au delà de ses besoins de consommation. Juste pour dire que cette fourniture d'électricité au Burkina qui pourrait en partie se justifier par cet élan de solidarité sous-régionale, comme la Côte d'Ivoire elle-même en a déjà bénéficié à un moment donné du Ghana voisin, n'est pas gratuite. Il en est de même du Nigeria qui en donne au Benin et au Niger etc. Bien d'autres exemples foisonnent vous savez. Il faut savoir qu'une réflexion globale sur la question est engagée au niveau de la CEDEAO pour rechercher une solution régionale à la problématique de l'énergie à travers non seulement des interconnexions pour permettre aux pays excédentaires de pouvoir mettre leurs excédents énergétiques à la dispositions de ceux qui sont dans le besoin, mais aussi l'exploitation des ressources en eau et en charbon qui existent dans certains pays de l'espace.

LP : Le port autonome d'Abidjan reste la première porte d'entrée des marchandises burkinabè. Offre t-il de meilleures conditions de transit qu'ailleurs?
TSK : L'existence de liens historiques et géographiques d'une part et la volonté politique d'autre part, justifient le choix du PAA comme porte d'entrée et de sortie principales des marchandises Burkinabè. Aussi l'existence de chemin de fer qui est un transport moins coûteux, constitue un facteur déterminant dans l'importance des échanges entre le Burkina Faso et la Côte d'Ivoire. Du point de vue volume, il faut dire qu'avec la crise poste électorale, les importations en transit par le port d'Abidjan ont drastiquement baissées pour se chiffrer à environ 180 mille tonnes contre 14 mille tonnes en export, soit un total de transit d'environ 195 milles tonnes pour l'année 2011.Ces chiffres ont connus une ascension fulgurante pour se situer à près de 520 milles tonnes en import contre 53 mille tonnes en export, soit un total de transit d'environ 570 milles tonnes en 2012. Cependant il y a lieu de signaler à toutes fins utiles que des critiques ont été formulées par les operateurs économiques burkinabè usagers du PAA.

LP : Lesquelles ?
TSK : Pour ces derniers, le coût de passage au PAA est plus élevé par comparaison aux tarifs des ports concurrents de la sous-région. La question a même fait l'objet d'échange lors de la rencontre au sommet du traité d'amitié et de coopération en novembre 2011 à Ouagadougou. Les autorités portuaires ainsi interpelées ont pris le problème très au sérieux et les premiers signaux ont été donnés l'année dernière avec la réduction de l'ordre de 20% des frais de manutention au niveau du terminal à conteneurs de Vridi. Je pense que d'autres réflexions sont en cours pour réduire davantage les tarifs qui y sont appliqués afin de rendre beaucoup plus compétitif le PAA.

LP : Combien d'entreprises burkinabè y a t-il exactement en Côte d'Ivoire ?
TSK : Il faut distinguer deux types d'entrepreneurs Burkinabè en Côte d'Ivoire. Il y a ceux qui y sont nés et qui résident dans le pays, qui ont réussi à se faire une place dans le monde des affaires. Il y a aussi ceux qui sont venus du Burkina Faso à la faveur du retour de la paix en Côte d'Ivoire pour créer des entreprises dans divers domaines, notamment dans le BTP, l'agroalimentaire, la distribution et les services. A ce jour on pourrait dénombrer une quinzaine. Quant à la première catégorie, nous ne disposons pas de chiffres réels, mais cela ne saurait tarder car nous avons initié une opération d'identification qui nous permettra d'avoir une idée globale des acteurs économiques burkinabè, avec pour objectif la mise en place d'une plateforme des hommes d'affaires Burkinabè de Côte d'Ivoire.

LP : Quelles peuvent être les retombées du traité d'amitié et de coopération entre le Burkina Faso et la Côte d'Ivoire pour les deux peuples frères.
TSK : Le traité dans son ensemble intègre la dimension économique qui d'ailleurs y occupe une place de choix. Ainsi on pourrait citer les quatre grands axes prioritaires de coopérations qui caractérisent le TAC entre nos deux pays. Il s'agit de la réalisation d'une autoroute Abidjan-Ouagadougou , de la réalisation du chemin de fer Abidjan-Ouagadougou-Niamey et à la longue Niamey-Cotonou-Ouagadougou, de la question de l'énergie, de la mise en ?uvre effective des dispositions communautaires sur la libre circulation des biens et des personnes et le libre établissement.

Propos recueillis par Alexandre Lebel Ilboudo

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