mercredi 31 decembre 2014 par L'Inter

De retour de la 20ème Conférence des Nations Unies sur le changement climatique (COP20), qui s'est tenue à Lima, au Pérou, Dr Diawara Adama, conseiller du président de la République chargé de l'éducation, de la formation et de la recherche scientifique, et directeur de la Station géophysique de Lamto, explique le concept de changement climatique, notamment dans le cas de la Côte d'Ivoire. Interview.
Vous revenez de la 20ème conférence des Nations unies sur le changement climatique qui s'est tenue à Lima, au Pérou, du 1er au 14 décembre 2014. Quels sont les résultats essentiels obtenus au cours de cette rencontre?
La Conférence de Lima était une étape déterminante pour aboutir à un accord universel de lutte contre le dérèglement climatique, à Paris en décembre 2015, à la COP21. L'élément clé des résultats obtenus à la COP20 est l'appel de Lima pour l'action sur le climat, qui définit les informations à inclure par les Parties lorsqu'elles communiquent leurs contributions nationales. Cet appel contient également les éléments d'un projet de texte de négociation. Quoique jugé minimaliste par certains participants à la COP20, l'appel de Lima peut être considéré comme un pas vers un accord acceptable pour tous à la COP21 de Paris, en 2015.
 
La menace de changement climatique liée au réchauffement de l'atmosphère est-elle vraiment réelle?
Sans hésiter, je réponds oui. Certes, durant de nombreuses années, il y a eu un débat entre les spécialistes du climat. Certains affirmaient que, du fait des activités humaines, l'atmosphère se réchauffait de façon anormale. D'autres, au contraire, soutenaient que le réchauffement observé était simplement lié à des fluctuations temporelles naturelles de la température de l'air. Aujourd'hui, ce débat est quasiment dépassé. En se basant sur les travaux menés depuis plus de vingt ans, par de nombreuses équipes de recherche à travers le monde, le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, appelé Giec, conclut que la responsabilité humaine dans le réchauffement de l'atmosphère est sans équivoque.
 
A quels signes reconnaît-on le phénomène du réchauffement de l'atmosphère?
Le réchauffement de l'atmosphère est clairement établi aujourd'hui. De 1910 à nos jours, la température moyenne de l'atmosphère est passée de 13,5°C à 14,7°C, soit une augmentation de 1,2°C en un siècle environ. De nombreux faits corroborent ce réchauffement: partout sur notre planète, les glaciers reculent; le manque d'eau sévit sur tous les continents, comme l'atteste la carte de l'indice de sécheresse de Palmer. A titre d'illustration, sachez que des années 70 à nos jours, la superficie du Lac Tchad est passée de 26.000 km2 à 1.500 km2. Le niveau des océans augmente régulièrement, principalement par dilatation thermique des masses d'eau. Cela provoque l'engloutissement des terres telles que certains îlots des Maldives.
 
Ces dernières années, on observe des chutes de pluie sur Abidjan au mois de décembre. Ces pluies de décembre sont-elles dues au changement climatique?
L'analyse des hauteurs de pluie tombées sur la ville d'Abidjan, pendant les mois de décembre, sur les 40 dernières années, montre qu'il pleut sur Abidjan en décembre, très peu certaines années, relativement fort d'autres années. Les hauteurs de pluie de décembre fluctuent donc d'une année à l'autre, dans le sens de la croissance ou de la décroissance. Il n'y a pas de tendance clairement établie, dans le sens de la croissance ou de la décroissance des hauteurs de pluie de décembre, sur l'ensemble des 30 dernières années, l'échelle temporelle d'observation du changement climatique. Cependant, sur les 4 années consécutives, allant de 2009 à 2012, les hauteurs de pluie de décembre sont largement supérieures à leur valeur moyenne des 30 dernières années. Elles sont même toutes supérieures à 100 millimètres. Votre question est certainement liée à ce constat. La variation des hauteurs de pluie de décembre d'une année à l'autre est due à la variabilité climatique, qui se manifeste sur le moyen voire le court terme, et non au changement climatique, qui s'observe sur le long terme. Les pluies de décembre sont liées à la remontée, vers le nord, du front intertropical, zone de séparation de la mousson, masse d'air humide d'origine océanique, et de l'harmattan, masse d'air sèche d'origine saharienne. Ainsi le Sud, notamment les régions côtières, est envahi par l'humide mousson qui apporte la pluie.
 
A quoi ressent-on alors le changement climatique dans le monde, et particulièrement en Côte d'Ivoire?
Pour permettre aux non spécialistes de la climatologie de mieux comprendre ma réponse, je commencerai par préciser quelque peu certains termes. Le climat est l'ensemble des états habituels et fluctuants de l'atmosphère qui, dans leur succession saisonnière, caractérisent une région ou un site. Le changement climatique est une variation durable et cyclique du climat de l'ensemble du globe terrestre ou des divers climats régionaux. Cette variation peut être naturelle ou liée aux activités humaines. Aujourd'hui, le concept de changement climatique rime avec celui de l'effet de serre, c'est-à-dire le réchauffement de l'atmosphère et des océans, qui se ressent à travers de nombreux constats. Les glaciers disparaissent, le niveau des océans monte. Les phénomènes extrêmes tels que les inondations, les canicules et les cyclones tropicaux sont devenus fréquents et plus intenses, etc. Dans le cas particulier de la Côte d'Ivoire, des études menées au Laboratoire de physique de l'atmosphère et de mécanique des fluides de l'Université Félix Houphouët-Boigny, où je suis enseignant- chercheur, prouvent qu'il y a eu un changement dans le zonage climatique. Selon le découpage fait en 1979 par l'Agence pour la sécurité et la navigation aérienne en Afrique et à Madagascar (Asecna), par exemple Bouna et Man étaient dans la zone climatique Centre, Dimbokro et Gagnoa étaient dans la zone climatique Sud. Le nouveau zonage climatique effectué dans notre laboratoire montre que Bouna et Man se retrouvent dans la zone climatique Nord, qui s'est agrandie, notamment vers l'Ouest. Dimbokro et Gagnoa se retrouvent dans la zone climatique Centre, au lieu d'être dans la zone climatique Sud. Ces évolutions climatiques sont liées à celles des régimes pluviométriques, qui déterminent, pour l'essentiel, le zonage climatique de la Côte d'Ivoire. De façon générale, il y a eu une diminution des hauteurs de pluie tombées sur le territoire ivoirien. Pour illustrer mes propos, je me contente de vous donner quatre chiffres: de la période 1961-1975 à la période 1991-2000, les hauteurs moyennes de pluie sont passées de 622 mm à 443 mm en juin à Abidjan, et de 365 mm à 280 mm en août à Odienné. Il faut tout de même noter une tendance à la remontée des hauteurs de pluie en certains endroits du territoire ivoirien, ces dernières années. Par exemple, à la Station géophysique de Lamto, située à la pointe du V baoulé, en pleine zone de transition forêt-savane, les hauteurs de pluie, tout en oscillant d'une année à l'autre, se caractérisent, depuis 1993, par une croissance, du point de vue tendance statistique moyenne. Pourtant à Lamto, les mesures in situ indiquent une croissance continue de la température moyenne journalière depuis 1964, c'est-à-dire depuis 50 ans.
 
La chute des hauteurs de pluies comporte-t-elle des risques pour les populations et l'environnement?
Cela est évident. S'agissant des risques pour les populations, sans être exhaustif, je dirai qu'il y a le risque de diminution des réserves d'eau potable. L'eau potable, source de vie, pourrait devenir rare, du fait de la disparition de certains points d'eau, ou difficile d'accès, la nappe phréatique pouvant descendre très bas. Il y a également le risque que les productions agricoles, animales et halieutiques connaissent une baisse sensible. La production d'énergie hydraulique peut aussi être perturbée voire arrêtée. Au début des années 80, l'assèchement des barrages de l'Énergie électrique de Côte d'Ivoire, Eeci, consécutif au manque de pluie, avait entraîné les fameux délestages dont beaucoup d'Ivoiriens se souviennent certainement. Certains fleuves, voies d'échanges entre les peuples, ne seraient plus navigables. Cela se voit de temps en temps au niveau du fleuve Niger. Quant aux risques environnementaux, je me contenterai de dire que s'il pleut peu, les végétations s'assèchent. Ce qui favorise les feux de brousse, avec leur cortège d'émissions de gaz nocifs dans l'atmosphère. Par ailleurs, il y a moins de végétation; les sols sont moins fixés, les risques de soulèvement de poussières et donc d'érosion des sols, notamment de la couche superficielle riche des sols, sont plus accrus. En outre, le sol, moins humide, absorbe moins l'énergie solaire et la réfléchit donc plus. Cette augmentation de la réflectivité du sol, appelée l'albédo, a une conséquence directe sur les bilans radiatif et énergétique du sol, donc sur les échanges sol-atmosphère, notamment sur le transfert de chaleur sensible et l'évapotranspiration, c'est-à-dire la perte d'eau du sol. Notons, au passage, que moins d'eau au sol signifie moins d'évapotranspiration, donc moins d'injection de vapeur d'eau dans l'atmosphère, donc moins de formation de nuage, donc moins de pluie. Cela traduit l'enchaînement terrible: moins de pluie engendre encore moins de pluie.
 
Les gaz à effet de serre sont considérés comme étant responsables du réchauffement climatique. Est-il possible de les réduire? Si oui, comment?
Les gaz à effet de serre, c'est-à-dire la vapeur d'eau, le dioxyde de carbone, le méthane, les chlorofluorocarbones, le protoxyde d'azote, l'ozone, etc., sont à la base du réchauffement de l'atmosphère. Puisqu'ils sont essentiellement produits par les activités humaines, il nous est possible de réduire leur quantité dans l'atmosphère. Cela est même vital pour la survie de l'humanité. Comme le préconisait le protocole de Kyoto, et comme le préconisent toutes les discussions actuelles sur le changement climatique telles que la toute récente Conférence de Lima, au Pérou, il faut absolument diminuer la quantité de gaz à effet de serre que l'humanité injecte dans l'atmosphère. Pour cela, il faut remplacer, ne serait-ce qu'en partie, l'énergie d'origine fossile, notamment le pétrole et le charbon, que nous utilisons massivement actuellement, par des énergies propres et renouvelables telles que les énergies solaire, éolienne et hydraulique. C'est vrai que cela nécessite, entre autres, le financement d'une recherche scientifique permettant d'améliorer le rendement des capteurs d'énergies solaire et éolienne. On doit également procéder à un reboisement généralisé, pour augmenter la taille du massif forestier, qui est une éponge à gaz carbonique. On pourrait aussi préconiser l'utilisation des biocarburants. Mais, cette solution est un couteau à double tranchants, notamment en ces temps d'augmentation du prix des produits agricoles dont certains sont utilisés pour fabriquer les biocarburants. Il faut tout de même noter qu'à côté des stratégies de réduction de la quantité de gaz à effet de serre dans l'atmosphère, il faut développer les stratégies d'adaptation au changement climatique, notamment dans nos États africains pauvres à écosystèmes fragiles.
 
Quelle est alors la politique ivoirienne en la matière?
Au niveau de notre pays, on est à une phase que je pourrais qualifier de primaire. En effet, l'élaboration d'une politique rationnelle en la matière nécessitant la connaissance préalable de la quantité de gaz à effet de serre dans l'atmosphère, le ministère en charge de l'environnement a des projets de mesures des concentrations de ces gaz dans notre atmosphère. Malheureusement, ces projets ne sont pas encore mis en ?uvre, faute de matériels de mesure, donc de financement. Il faut aussi souligner qu'il existe un code de l'environnement, depuis 1996. Plusieurs décrets d'application de cette loi ont été pris, notamment celui relatif au principe pollueur-payeur et celui interdisant les sachets plastiques non biodégradables. Ces décrets connaissent un début d'application, même si cela se fait timidement. Il faut également louer deux actions majeures menées par le ministère chargé de l'environnement. Il y a tout d'abord les campagnes de sensibilisation, à travers les médias. Ensuite, il y a la mise en application d'une politique de reboisement et de protection des parcs et réserves.
 
La Côte d'Ivoire est-elle signataire du protocole de Kyoto qui, en substance, contraint les pays industrialisés à la réduction de leur émission de gaz à effet de serre?
La Côte d'Ivoire a ratifié le protocole de Kyoto. Mais, sa mise en application nous a posé quelques problèmes. Car nous ne connaissions pas, et nous ne connaissons toujours pas correctement notre environnement. Nous ignorons la superficie exacte de notre massif forestier, tout comme la nature et la quantité des gaz présents dans notre atmosphère. Pour le moment, en ma connaissance, seule la Station géophysique de Lamto procède à des mesures de concentration de dioxyde de carbone, de monoxyde de carbone et de méthane dans l'air, sur le site de Lamto, donc dans une zone rurale, qui est éloignée des sites de grande pollution comme Abidjan.
 
Apparemment, le protocole de Kyoto n'a rien réglé. Est-ce le fait de la mauvaise volonté politique ou de l'ignorance des dirigeants?
Certes le protocole de Kyoto n'a pas tout réglé, mais il faut se garder de dire qu'il n'a rien réglé. Il a le mérite d'avoir permis quelques avancées sur le terrain de la lutte contre l'effet de serre, ne serait-ce qu'en termes de sensibilisation des populations à travers le monde entier. Dans tous les cas, à partir du moment où les plus grands pollueurs, à savoir les Usa et la Chine, refusaient d'appliquer Kyoto, ce protocole pouvait-il tout régler? Les limites de Kyoto sont liées à l'ignorance de certains dirigeants et surtout à la mauvaise volonté de certains hommes politiques. Dans cette affaire, il y a souvent un conflit d'intérêts, disons même de gros intérêts. Par exemple, imaginez la marge de man?uvre d'un président américain, qui doit son élection aux gros soutiens financiers du puissant lobby pétrolier texan!
 
Si tant est que la politique ivoirienne en matière d'environnement vise la réduction des gaz à effet de serre, n'est-ce pas surprenant de constater une floraison de véhicules d'occasion importés dans notre pays?
C'est vrai que depuis quelques années, on constate une augmentation quasi exponentielle du nombre de véhicules d'occasion, appelés France au revoir, aussi bien en Côte d'Ivoire que dans les états voisins de la sous-région. Cela est dû au fait que nos populations, mêmes les cadres, n'ont pas suffisamment de moyens pour s'acheter des véhicules neufs. Malheureusement, cela pose un énorme problème environnemental. Car ces véhicules d'occasion sont de véritables vecteurs de pollution. Certains concitoyens estiment que nos lois sont laxistes à ce niveau, puisqu'on a l'impression que les véhicules les plus âgés, donc les plus pollueurs, sont les moins taxés. En réalité, plus le véhicule est usager, plus la taxe est élevée, du moins la taxe liée à l'âge du véhicule. Ce sont les autres taxes qui font qu'on a l'impression que plus le véhicule est neuf, plus il est taxé. Cela fait qu'on se trouve dans une situation aberrante, que l'on pourrait qualifier de prime à la pollution.
 
Un autre danger reste le fréon. L'importation des frigos qui utilisent ce gaz connaît un boom en Afrique, alors que ces frigos ne sont plus utilisés en Europe. Paradoxal non?
Le fréon est utilisé pour la production du froid. Malheureusement, il fait partie des Cfc, c'est-à-dire des chlorofluorocarbones, qui détruisent la couche d'ozone stratosphérique. Vous comprenez donc pourquoi les vieux frigos utilisant ce gaz n'ont plus droit de cité en Europe. C'est ainsi que ces frigos dangereux se retrouvent en Afrique, où les populations, très pauvres, peuvent se les procurer à bas prix. On est là au c?ur du drame des pays pauvres: comment se développer, sans grands moyens, tout en préservant l'équilibre de l'écosystème?
 
Comment peut-on percevoir la diminution de la couche d'ozone?
L'ozone est un gaz atmosphérique, qui se trouve principalement entre 15 et 45km d'altitude, avec un pic de concentration à 25 km d'altitude. L'ozone se trouve donc principalement dans la tranche d'atmosphère appelée stratosphère. Il y en a en faible quantité dans la basse atmosphère, appelée troposphère, c'est-à-dire entre le sol et 15 à 17 Km d'altitude, sous nos latitudes. L'ozone stratosphérique nous protège contre les rayons ultra-violets d'origine solaire. Lorsque cette couche d'ozone stratosphérique est agressée par des composés chimiques fabriqués par l'homme, notamment les chlorofluorocarbones, appelés les Cfc, son épaisseur diminue. On parle alors de phénomène de trou d'ozone. Le trou d'ozone se ressent à travers ses conséquences telles que l'augmentation des cas de cancer de la peau, due à l'arrivée d'une plus grande quantité de rayons ultra-violets solaires au niveau du sol. Il faut tout de même souligner qu'autant la diminution de l'épaisseur de la couche d'ozone stratosphérique nous est préjudiciable, autant l'augmentation de la concentration d'ozone dans la basse atmosphère nous est dommageable. Car cette dernière, appelée pic d'ozone, qui est liée au triplet circulation automobile importante-fort ensoleillement-faible circulation atmosphérique, entraîne les maladies telles que les maux de tête et les troubles respiratoires, et dissout la couche protectrice des plantes, donc diminue le rendement agricole.
 
Tous ces fléaux liés à la pollution ne vont-ils pas réduire la production agricole?
Pour une surface cultivée donnée, la production agricole dépend du rendement agricole. Ce dernier est fonction des caractéristiques de la culture choisie et de celles du sol utilisé, des techniques culturales adoptées par l'agriculteur et, bien entendu, des données climatiques, notamment le rayonnement solaire, la température et l'humidité de l'air, la vitesse du vent et les hauteurs de pluies. Il est donc évident que les phénomènes tels que l'augmentation de la température de l'air et la chute des hauteurs de pluies, dont nous venons de parler, vont entraîner une diminution du rendement agricole. Par simulation numérique, mon équipe de recherche a montré que, tous les autres paramètres étant supposés constants, une augmentation des températures moyennes journalières de 0,5°C entraîne une chute de 12% du rendement du mil. J'ajouterai que le changement climatique, par la simple perturbation de la fréquence des pluies, peut entraîner une baisse de la production agricole. S'il ne pleut pas au moment où la plante a le plus besoin d'eau, la plante peut subir un grand stress hydrique, de telle sorte que, même s'il pleut abondamment par la suite, le rendement de la plante s'en trouve affecté.
 
Peut-on alors dire que les populations sont en danger? ... suite de l'article sur L'Inter

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