mardi 25 fevrier 2014 par Cote d'Ivoire Economie

La régulation des marchés publics n'est pas véritablement chose nouvelle en Côte d'Ivoire. Dès son indépendance, elle a décliné une politique de bonne gouvernance en créant la Caisse nationale des marchés publics de l'Etat. Cette entité a connu plusieurs mutations pour devenir, un demi-siècle plus tard, sous l'effet des politiques d'intégration communautaire, l'Autorité nationale de régulation des marchés publique (ANRMP).

Dès les premières heures de son indépendance, la Côte d'Ivoire, qui voulait se doter d'infrastructure d'un pays émergent et s'assurer d'un développement économique et social en harmonie avec ses objectifs, s'est très vite initiée à la gestion de la commande publique. Ce fut alors la création en 1963 de la Caisse nationale des marchés de l'Etat. L'essentiel pour le gouvernement de l'époque, c'était de mettre en place un cadre organique de gestion des marchés de l'Etat avant de penser à une véritable politique de gestion desdits marchés. Cela a été donc fait avec la création en 1968 de la Direction centrale des marchés (DCM), chargée de la mise en ?uvre d'une politique d'achats publics et de la réglementation en matière des marchés publics. Il a fallu attendre le 12 septembre 1985, pour voir par décret n'° 85-951 le premier Code des marchés publics formalisant enfin la fonction marchés publics. Malgré les révisions intervenues les 8 janvier 1992 et 24 février 2005, le cadre réglementaire des marchés publics n'était pas satisfaisant, tant du point de vue de l'efficacité des opérations que des garanties de transparence et d'équité des procédures. La réforme du système des marchés publics décidée par la Commission de l'Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa), qui a conduit à l'adoption des directives n° 04/2005/CM/Uemoa du 9 décembre 2005 portant procédures de passation, d'exécution et de règlement des marchés publics et des délégations de service public, a été donc une opportunité pour la Côte d'Ivoire. Elle lui a permis d'ajuster sa réglementation, notamment en transposant la fonction régulation, par décret n° 2009-259 du 6 août 2009 portant organisation et fonctionnement de l'Autorité nationale de régulation des marchés publics (ANRMP). Pourtant, même si le terme régulation des marchés publics n'existait pas jusqu'alors dans l'ordonnancement juridique des marchés publics, certaines missions de régulation étaient déjà prévues dans le code du 24 février 2005. Il s'agit particulièrement des missions de règlement des litiges, de prononcés de sanctions et d'audits indépendants confiés respectivement à deux organes de conciliation et aux structures étatiques d'audits. Cette forme de régulation, qui ne répond d'ailleurs pas aux exigences de la directive n° 05/CM/Uemoa, est demeurée à l'étape de l'expérimentation au niveau de la Direction des marchés publics jusqu'à la transposition de ladite directive dans la réglementation nationale.

La prépondérance du cadre légal

En 2010, l'installation de l'ARNMP, fondée sur une base paritaire (administration publique, secteur privé et société civile) et son opérationnalisation marquaient le point de départ d'une nouvelle donne, celle de la régulation proprement dite des marchés publics. Les missions, à lui confiées, sont essentiellement les suivantes : la définition des politiques en matière de formation, de réglementation, de communication et de système d'information des marchés publics ; la conduite des audits indépendants de la passation et de l'exécution des marchés ; la gestion des recours non juridictionnels et le prononcé de sanctions à l'encontre des candidats, soumissionnaires et titulaires pour irrégularités, actes de corruption, pratiques frauduleuses et inexactitudes délibérées. Avec cette régulation, l'environnement du système des marchés publics est appelé à connaître une profonde mutation.
Au-delà de la dimension éthique que revêtent désormais les marchés publics afin de répondre à un besoin réel de bonne gouvernance dans le secteur, ceux-ci sont plus que jamais entrés dans le giron du droit, modèle ou la référence des acteurs de la commande publique. Ainsi pour les spécialistes en la matière, le Code des marchés publics et ses textes d'application doivent être interprétés sous l'angle le plus juridique possible. Toute pratique en dehors du cadre juridique, même bonne ou souhaitée, voire opportune est à proscrire, font-ils savoir. Ainsi, la régulation dans sa dimension définition des politiques permet d épuiser les éléments intéressants de cette pratique pour en faire une réglementation afin de leur conférer un cadre légal. L'intérêt général qui caractérise bien souvent l'action administration est relégué au second rang au profit de l'interprétation stricto sensu de la réglementation. Le droit devient donc la boussole des marchés publics.

De la capacité de faire valoir ses droits

Tout écart entre cette réglementation et la pratique devient de facto censurable. Avec la régulation, on assiste inéluctablement à un processus de juridicisation de la commande publique au travers des marchés publics, c'est-à-dire une extension du droit dans les marchés publics et une formation juridique accrue des marchés publics, selon le secrétaire général adjoint en charge des recours et sanctions à l'Autorité nationale de régulation des marchés publics, Vincent Bilé. Les marchés publics, qui sont par excellence un contrat administratif, retrouvent leur nature de matière éminemment juridique. Cependant cette juridicisation ne s'accommode pas d'amateurisme et implique la mise en place d'une politique rationnelle et continue de renforcement des capacités de l'ensemble des acteurs de la commande publique, y compris le régulateur lui-même.
Désormais, la régulation offre l'occasion aux entreprises qui ont, à tort ou à raison, taxé le système ivoirien des marchés publics de tous les maux de la société (corruption, favoritisme, fraude, abus de position, collision,), non seulement de faire valoir leur droit en cas de décision leur faisant grief, mais également de dénoncer les comportements non éthiques des acteurs de la commande publique. En Côte d'Ivoire, le contentieux des marchés publics ne connaît pas encore la même frénésie qu'au Sénégal au début des activités de l'ANRMP de ce pays et tout récemment au Burkina Faso avec un record de 1082 décisions rendues en 2012 par l'ANRMP de cet Etat. Il reste cependant que les entreprises ivoiriennes qui n'osaient pas se plaindre de peur de représailles, sortent de plus en plus de leur torpeur pour saisir la Cellule recours et sanctions (CRS) de l'ANRMP. De seulement trois décisions en 2010 et quatorze décisions en 2011, la CRS a rendu trente-quatre décisions en 2012, sans compter que de nombreux contentieux ont été vidés dans le cadre des recours préalables exercés auprès des autorités contractantes. Toujours selon Vincent Bilé il est certain que ces prémices augurent d'une intensification du contentieux des marchés publics et donc, il n'est nullement hasardeux d'affirmer qu'il aura à assister à une juridiciarisation de la commande publique ; c'est-à-dire un recours accru à l'institution judicaire qu'est la Chambre administrative de la Cour suprême pour solder les litiges nés de la commande publique, puisque les décisions rendues par la Cellule recours et sanction de l'ANRMP peuvent faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir devant cette chambre, voie qui n'était pas usitée jusqu'alors, même dans le cadre d'un recours de plein contentieux. Or, il est entendu que le contentieux des marchés publics, en tant que contentieux des contrats administratifs peut, hormis les actes détachables de ces contrats, être jugé en cassation par la Chambre administrative. Le système ivoirien des marchés publics, tout comme ceux de la sous-région où il existe des autorités de régulation, est entré dans une nouvelle ère, celle où le droit et ses mécanismes institutionnels prennent toute leur importance, aime indiquer Coulibaly Non Karna, président de l'ANRMP, à chaque fois que l'occasion lui est donnée.

Germain Tanoh

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