samedi 1 mars 2014 par Nord-Sud

Trois ans après le  départ nouveau  et les promesses d'une université ivoirienne assainie, apaisée et studieuse, les choses semblent se passer autrement sur le terrain.

On a renoué avec un ancien vocabulaire dans nos universités publiques : grève, machettes, gourdins, blessés. année blanche( ?). Des choses que les Ivoiriens croyaient enterrées à jamais sous la dalle du  départ nouveau  ont ressurgi à la vitesse grand V. Depuis deux semaines environ, le campus de Cocody et celui d'Abobo-Adjamé sont le théâtre de règlements de comptes ; d'une part entre étudiants et police universitaire et de l'autre entre apprenants et administration. Tout commence le 17 février, lorsque plusieurs organisations syndicales manifestent dans l'enceinte de l'université Félix Houphouet-Boigny (Ufhb). Elles auraient entendu dire que leur existence est menacée par le Conseil estudiantin, une organisation que compte mettre en place le ministère de l'Enseignement supérieur et de la recherche scientifique pour mieux structurer les universités. Suite aux assurances des autorités qu'il n'en est rien, les syndicats reprennent les cours. Pas pour longtemps. Trois jours après, des éléments de la police universitaire pénètrent en faculté de médecine pour mettre le grappin sur, disent-ils, des étudiants de la Fédération estudiantine et scolaire (Fesci). Ces derniers, selon le service de communication de cette unité, seraient venus dans le bus 85, depuis Yopougon Phalène dans le but de les déloger. Le mobile ? La police universitaire fait de l'ombre à la Fesci. L'attaque ayant échoué, les hommes en bleu affirment qu'ils ont mené la chasse à certains éléments de l'organisation estudiantine qui se sont réfugiés en faculté de médecine. Une version des faits que dément Wilfried Njomo, en quatrième année dans ce département. La police universitaire a simplement fait irruption pour tabasser ses camarades, au dire de l'étudiant. Quoi qu'il en soit, plusieurs étudiants sont hospitalisés au CHU de Cocody. Profitant de ce jour tumultueux, des éléments de la Fesci incitent les étudiants de l'université Nangui-Abrogoua à interrompre les cours, pénètrent dans des amphithéâtres pour saccager le matériel et voler des micros. Motif : le prix trop élevé du règlement intérieur qu'il faut payer à l'inscription (ndlr, 3.000CFA). Le lendemain, alors qu'on espère une accalmie, les choses se gâtent à l'Ufhb. Une foule d'étudiants en colère fait irruption dans les locaux de la police universitaire. Ils veulent le départ de cette unité. Certains sont armés de gourdins, d'autres de pierres, on signale même des machettes. Les agents de sécurité prennent la poudre d'escampette. Leurs bureaux sont saccagés. Il faut l'intervention de la Compagnie républicaine de sécurité (Crs) et de la Brigade anti-émeute (Bae) pour calmer les mécontents. Quand la furie retombe, on compte les blessés. Une vingtaine du côté des hommes en bleu. Ceux-ci sont persuadés avoir vu des secrétaires généraux de la Fesci parmi les casseurs, dont Kouamé Yao Silver, alias Kennedy, soutenu par Assa Etienne, le responsable de la Ligue ivoirienne des groupements estudiantins (Liges). Ce que réfutent les accusés. Le mutisme des responsables de l'université envenime les choses. Les cours sont paralysés. Le 25 février, la Coordination nationale des enseignants-chercheurs de Côte d'Ivoire (Cnec) décide un arrêt de travail, prétextant que l'intégrité physique de ses membres n'est pas garantie dans un tel contexte. La police nationale campe devant l'université. Personne n'entre sans s'identifier. La situation devient ingérable, à tel point que le ministre de la Défense, Paul Koffi Koffi, se voit obligé de donner des assurances aux étudiants, lors d'une visite sur les lieux. Le patron du Centre de commandement des opérations (Ccdo), Issiaka Ouattara, alias Watto, fait aussi un tour dans l'établissement pour rassurer les apprenants. Malgré ces interventions, les cours restent bloqués. La décision du ministère de l'Enseignement supérieur de maintenir la police universitaire, malgré les exigences des étudiants, durcit les positions des uns et des autres. Renvoyés chez eux, les étudiants s'inquiètent. Beaucoup ont vécu l'ère de la violence avec la Fesci et se demandent si les vieux démons ne sont pas de retour. Et si les magnifiques parures de l'université ne cachent pas l'impuissance des autorités devant la loi des organisations syndicales. L'année dernière, ces mêmes structures avaient fait souffler un vent de panique sur l'université. En quête de leadership et pressés pour certains d'en découdre avec la Fesci qui les avaient oppressés pendant ses moments de gloire, les étudiants s'étaient livrés à un jeu de massacre. Un véritable western sur le campus avec comme clou du spectacle la tentative de lynchage de Cissé Ibrahim Bacongo, le ministre de l'Enseignement supérieur et de la recherche scientifique. Pour éviter que les choses dégénèrent, deux chartes de non-violence vont être signées. La dernière, charte Alassane Salif N'Diaye, aura la magie d'apaiser les esprits sans jamais prendre forme. Jusqu'à ce jour, les décisions arrêtées pendant sa création sont restées comme un schéma sur une carte. Aucune véritable concertation entre apprenants n'a eu lieu depuis lors. La méfiance, la jalousie, les querelles internes vont achever de fragiliser le sermon de paix prêté par les syndicats d'étudiants en juin 2013. Aujourd'hui, il suffit d'un rien pour que tout s'enflamme. Les esprits sont dégrisés. Les parents d'étudiants savent désormais que la police universitaire n'est pas la garantie d'un climat apaisé à l'université. Ils refusent de se laisser duper quand on leur souffle que la Fesci est morte et qu'elle n'a plus d'influence. Que le règne des syndicats d'étudiants n'est plus qu'une vieille histoire. Et que l'université a définitivement tourné le dos à la violence. Non, le monstre n'est pas mort, il sommeillait simplement.

Raphaël Tanoh

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