mercredi 18 juin 2014 par AIP

Agboville - Ils sont nombreux, les villages du département d'Agboville dont les chefs n'ont pas d'arrêté de nomination. Si on ignore les chiffres exacts pour les 103 villages du département, l'on sait par contre qu'à Grand Moutcho, village situé à deux km d'Agboville, c'est la cacophonie avec deux "Ohochi" ou chefs de village voici maintenant sept ans. Ce bicéphalisme s'exacerbe de plus en plus, depuis que deux notables ont revendiqué, le titre de Nanan, ou chef de terre. Ce dernier désaccord, entraine une bagarre entre partisans des deux prétendants au titre de Chef de village, faisant deux blessés à l'arme blanche et provoquant l'intervention des Forces républicaines de Côte d'Ivoire et de la gendarmerie le lundi 09 juin et la réaction du préfet de région de l'Agnéby-Tiassa, préfet du département d'Agboville, Bako Privat, qui a interdit les activités de chef de village et de chef de terre à Grand Moutcho, jusqu'à nouvel ordre.

Les causes des antagonismes

Selon Boka N'Guessan René, 90 ans, un des plus âgés du village mais bien conservé, dont la parole fait encore autorité chez les protagonistes du conflit, et qui a désigné déjà, trois chefs de terre, c'est à partir de 2003, que les brouilles ont débuté, avec la destitution du chef de village, 'Ohochi' Boka Monney Joseph. Les mauvaises langues diront que cette destitution est intervenue à la suite de l'action conjuguée d'erreurs et fautes de Boka Monney, mais aussi, des actes de persécution perpétrés contre son autorité, par le président de la mutuelle des cadres du village, Apata Yavo Clément. Ce sont des calomnies , réagit aussitôt le mis en cause.

En novembre 2003, le chef de terre Ediè Menney, annonce à la population du village de Grand Moutcho, qu'Apata Yavo Clément est celui que les sages de la cité ont choisi pour exercer en qualité de chef de village et portera désormais le titre d'Ohochi.

Bien que ne partageant pas totalement cette option, le village se soumet au choix opéré par le chef de terre et sa notabilité, de faire d'Apata Yao Clément, Ohochi de Grand Moutcho, fait remarquer le doyen Boka N'Guessan.

Cette décision est entérinée officiellement par la remise d'un arrêté de nomination préfectoral.

Le village choisit Kokola Yao Ambroise, président de la mutuelle des cadres, comme chef-adjoint résident du village de Grand Moutcho. Cette décision ne rencontre pas l'assentiment totale d'Apata Yavo, vu que c'est Yao Kokola qui semble-t-il était pressenti pour occuper ce poste, selon plusieurs sources proches du dossier. Les brouilles ont alors commencé entre les deux personnalités. Kokola Yao Ambroise, soutient fermement que le chef Apata sabote son travail sur le terrain, tandis que ce dernier accuse son adjoint Kokola d'agir dans le sens de lui ravir le poste de chef de village, en se faisant appeler 'Chef', alors qu'il n'est que l'adjoint du chef.

La descente aux enfers du Chef Apata Yavo

Contesté par une frange de la population, qui lui reproche ces écarts de langage, décrie sa gestion et conteste ses décisions, Ohochi Apata Yao Clément, va recevoir un avertissement verbal du préfet d'Agboville, Alliali Kouadio, note une source préfectorale d'Agboville. Mais Apata Yao, sûr de son affaire, adopte la posture de l'homme persécuté. Il conteste ce qu'on lui reproche et face à son intransigeance, le préfet d'alors, lui adresse une demande d'explication écrite numéro 31/R.AP.AGBO/SG-C en date du 13 novembre 2008. Mais, là encore, la réponse de l'intéressé est interprétée comme une insubordination par le préfet, qui cette fois, adresse une sanction de premier degré, au sieur Apata, par lettre numéro 33/R.A/P.AGBO-SG1 en date du 18 novembre 2008.

Au vu du rapport du commissaire de police d'Agboville, de la nécessité de l'ordre public et sur proposition explicite du docteur Assamoi Tetchi Claude, maire de la commune d'Agboville, (2001-2012), et fils du village de Grand Moutcho, le préfet Alliali, décide par courrier en date du 31 décembre 2008, la révocation de ses fonctions de chef du village de Moutcho, commune d'Agboville, de l'Ohochi Apata Yao Clément, pour 'Inaptitude au commandement' (voir ampliation d'arrêté de révocation signé du préfet).

"Dans la désignation et la révocation d'un chef, il y a une procédure dans nos us et coutumes, à laquelle nous tenons et qui n'a pas été respectée par l'autorité", assure Orou Prétou, 1er notable du chef révoqué. Il estime par ailleurs que la décision de révocation du préfet a été prise sur proposition du maire d'Agboville.

Par ailleurs, toujours au vu du 'Soit Transmis' en date du 31 décembre 2008, le préfet charge le maire de la commune, d'organiser l'intérim du chef révoqué, et de prendre les dispositions nécessaires en vue, de la désignation d'un nouveau chef, "selon les us et coutumes en vigueur dans le village".

Kokola Yao refait surface

Après la destitution de Boka Monney Joseph (2003), de sa qualité de chef de village, il est remplacé par Apata Yao Clément. Le même Boka Monney Joseph, est désigné plus tard, chef de terre ou Nanan, en désistement du doyen Boka N'Guessan René, à qui devrait échoir le rôle de Nanan. "Je suis célibataire et un peu malade et cela m'handicape", avait fait observer le sage, pour justifier son incapacité à assumer la fonction de Nanan.

Ce nouveau Nanan décidera de ne point laisser son village sans chef, depuis la révocation du précédent le 31 décembre 2008. Ainsi, considérant les nombreux actes d'incivisme perpétrés par une frange de la population, suite à la vacance de pouvoir de Chef de village, et après consultation de tous les responsables des cinq grandes familles que sont Apata, Djédjè, Meyè, Douda et Ogny de Grand Moutcho ( fac-similé en date du 08 novembre 2009, du compte-rendu de la cérémonie solennelle de présentation officielle du chef de village de Grand Moutcho), le chef de terre Boka Menney Joseph, présente le dimanche 08 novembre 2009, Yao Kokola Ambroise comme le choix du village, pour exercer la qualité de nouvel Ohochi, ou Chef du village.

Contestation du nouveau chef de village par le chef déchu

Apata Yavo Clément, entre alors en dissidence et conteste la décision prise par le préfet Alliali Kouadio, le révoquant du statut de chef de village. Par ailleurs, il refuse de reconnaitre Yao Kokola Ambroise, comme le nouveau chef de village de Grand Moutcho. "Nous tenons à faire respecter nos us et coutumes et croyons que dans la désignation et la révocation d'un chef, la procédure doit être de mise", s'insurge Apata Yavo, "ce qui en l'espèce, n'a pas été le cas", fait-il observer.

En outre, l'homme s'insurge contre la mention "sur proposition du maire" (en l'occurrence, l'ex-maire d'Agboville Assamoi Tetchi Claude (2001-2012) apposée sur l'arrêté de révocation signé du préfet de région. "Personne n'a pu me dire avec exactitude, ce que l'on me reproche et cela n'est signifié nulle part dans l'arrêté", s'irrite Apata Yavo. Mais à deux reprises, il sera débouté par le tribunal, qui ne lui reconnait plus le droit d'exercer en qualité de chef de village. Par décision du 17 juin 2010, le tribunal d'Agboville a ordonné la cessation par Apata Yavo, des activités ou actes de la compétence du chef du village de Moutcho.

Contestation par Apata Yavo, du choix du nouveau chef de terre

L'autre difficulté de la résolution du conflit, est la contestation du dernier choix du chef de terre par Apata Yavo, qui le soupçonne d'être à la solde de son adversaire, Kokola Yao. Pour ce faire, il va s'appuyer sur l'histoire, selon sa vision des faits.

C'est en 1960, que le projet d'unification du village, voit le jour, avec le regroupement de trois villages sur le site actuel de Grand Moutcho. Abonon Menney Joseph est le premier chef de terre, car c'est lui qui a donné son espace, pour fonder le nouveau village. Depuis lors, les choix des chefs de terre, se sont toujours opérés entre les descendants de Menney Joseph. Apata Yavo conteste donc la décision du 15 mai 2014, de faire d'Apata Amané, chef de terre et de le présenter officiellement le 29 mai 2014, sur la place du village. Le prétexte avancé par Apata, est qu'Amané est de la famille Ogni, laquelle ne figurant pas toujours selon ces propos, dans la descendance des Nanans. Ainsi présentée, sa version.

Position du doyen Boka N'Guessan René (90 ans)

Boka N'Guessan René est né en 1924. Il est considéré comme l'un des plus vieux du village, et tous dans le village, lui reconnaissent l'autorité de diriger le choix du chef de terre. Il explique que les trois derniers Nanan, que sont Boka Monney Joseph, Koua Obodjè et Apata Amané, ont été désignés par lui.

Selon le sage Boka N'Guessan René, la version d'Apata Yavo, n'est pas totalement exacte et explique que c'est suite au rôle joué par le député d'alors d'Agboville-commune, docteur Menney Boka Gaston, vers 1960, que les trois villages MoutchoAka, MoutchoApata et MoutchoDjédjè ou petit Moutcho, vont fusionner pour créer en 1962, le village de Grand Moutcho. Le premier site nettoyé et proposé par le député, n'a pas rencontré l'assentiment de tous, au prétexte qu'il fallait trouver un endroit 'neutre'.

La seconde proposition est approuvée, et l'actuel site de Grand Moutcho est retenu. Il serait la propriété des trois villages environnants, a affirmé le sage Boka N'Guessan. Chaque village ayant chacun à l'origine, un Nanan et un Ohochi, il sera décidé qu'une fois sur le nouveau site à partir de 1962, que les Nanans soient tournants, et que le plus âgé soit le premier à exercer.

Toujours selon l'ancien Boka N'Guessan, le premier qui devait exercer en qualité de Nanan, devait être le plus âgé des trois Nanans, c'est-à-dire le vieux Kouadjané de MoutchoDjédjè. Ce dernier désiste, et propose plutôt le père du docteur député, pour tous les services rendus à la communauté villageoise. Ainsi, Boka Menney, qui lui aussi était le Nanan de MoutchoPka, fut le premier Chef de terre de Grand Moutcho. Après le décès de ce dernier, le vieux Kouadjané a désisté une seconde fois pour ses conviction religieuses. C'est donc son fils Koua Orou (MoutchoDjédjè) qui est choisi comme 2ème Nanan de Grand Moutcho. Le 3ème Nanan devait échoir à un descendant du village de MoutchoApata. Mais, le chef de village étant aussi un descendant de MoutchoApata, il a été convenu que le Nanan aille chez les MoutchoPka, avec Nanan Boka Yapi. A la mort de dernier, c'est Ediè dit Menney, descendant des MoutchoDjédjè qui devient le 4ème Nanan de Grand Moutcho. La chefferie du village demeurant toujours chez les MoutchoApata, un fils issu de cette communauté, ne pouvait donc accéder pour l'heure au trône des Nanans.

Entre temps, le chef de village Ohochi Boka Monney Joseph descendant de MoutchoApata, est destitué de la chefferie du village et remplacé par Apata Yavo Clément en 2003, en qualité de chef de village.

Un descendant de MoutchoApata peut maintenant accéder au trône de Nanan de Grand Moutcho, après le décès d'Ediè. C'est ce dernier qui avait présenté Apata Yavo (chef révoqué plus tard par l'administration) comme chef de village, confirmé par le préfet.

Boka Monney Joseph de MoutchoApata, devient ainsi le 5ème Nanan. L'histoire nous apprend que Boka N'Guessan René à qui devait échoir ce poste, refuse de devenir Nanan après le départ d'Ediè, au prétexte qu'il est célibataire et désiste donc au profit de Boka Monney Joseph. Ce dernier aura donc occupé le poste de chef de village, avant de devenir chef de terre. A sa mort, c'est Koua Obodjè de la descendance de MoutchoDjédjè est choisi comme le 6ème Nanan de Grand Moutcho, par le sage Boka N'Guessan René de MoutchoApata. Notons que c'est au doyen Boka N'Guessan que devait échoir normalement le trône. L'on se souvient, qu'à plusieurs reprises, le vieux avait déjà refusé d'exercer, parce que célibataire dit-il.

Au décompte, l'on se retrouve avec six chefs de terre ayant exercé à Grand Moutcho. Depuis Boka Menney, Koua Orou, Boka Yapi, Ediè Menney, Boka Monney,, jusqu'à Koua Obodjè. Tous sont, descendants respectifs des villages d'origine de MoutchoPka, MoutchoDjédjè, MoutchoPka, MoutchoDjédjè, MoutchoApata et MoutchoDjédjè.

Au total, six chefs de terre, dont trois descendants de MoutchoDjédjè, deux de MoutchoPka et un de MoutchoApata.

Apata Améné, descendant de MoutchoApata a été choisi comme 7ème Nanan de Grand Moutcho, par 12 des 15 notables du village. Selon le patriarche Boka N'Guessan René, c'est dans un souci d'équité que le 15 mai 2014, il a été décidé que ce soit un descendant de MoutchoApata, qui devienne Nanan. L'instituteur à la retraite Apata Amané a donc été choisi et présenté devant tout le village.

Enfin, rapporte-t-il, cette décision a rencontré l'opposition du chef déchu Apata Yavo Clément, au prétexte qu'Apata Amané, issu de la famille Ogni, n'est pas un petit-fils de chef de terre. Cette assertion a été battue en brèche par le sage, qui affirme que le vieux Kouadjané, qui aurait dû être le premier chef de terre, avait pour frère Appia Boka. Il confirme donc que la descendance de ce dernier a été constituée par Boka Apata et Boka Ogni, dont est issu Apata Amané.

Bagarre rangée entre les deux parties

Apata Yavo décide de faire introniser Kokola Rougbo, issu de la famille Apata, qu'il considère comme le descendant direct du propriétaire terrien, que représente selon lui, Abonon Menney Joseph. C'est au cours des préparatifs de cette mission, qu'une vive altercation intervient, entre partisans de Kokola Yao Ambroise, choisi nouveau chef de village depuis 2009, mais jamais encore reconnu officiellement par l'administration et ceux d'Apata Yavo, chef révoqué par l'administration. Notons qu'Apata Yavo est le seul à détenir un arrêté de nomination signé d'un préfet, en novembre 2003. La bagarre fera deux blessés à l'arme blanche et entrainera de la part de l'administration préfectorale, la suspension de toute activité de chef de terre et de chef de village dans la localité de Grand Moutcho, jusqu'à nouvel ordre.

La responsabilité de l'administration

Pourquoi avoir produit un arrêté de révocation d'un chef de village, sans avoir trouvé le consensus de cette révocation avec la population ? Pourquoi avoir mis la mention 'sur proposition du maire', alors que tous dans le village, indexent Kokola Yao Ambroise, comme un très proche du maire d'alors Tetchi Claude (Kokola était adjoint au maire de la commune), s'insurge une partie des habitants de Grand Moutcho, qui refuse de prendre parti. Par ailleurs, aucune mention ne précise la faute exacte reprochée au sieur Apata Yavo Clément, s'étonne Orou Prétou, 1er notable d'Apata Yavo.

Mais, il faut relever la validité de cet arrêté, dès lors qu'il émane de l'administration préfectorale. Mais pourquoi donc, depuis le 31 décembre 2008, que la décision a été prise, aucun des deux préfets de région qui a succédé à Alliali Kouadio, n'a à ce jour signé un arrêté de nomination au profit de Yao Kokola Ambroise, choisi par le chef de terre et présenté à la population depuis novembre 2009 ?

Nous n'avons point trouvé réponse à cette préoccupation, sinon que, l'administration est une continuité, mais que personne ne veut ouvrir ce tableau sensible. Nous apprendrons néanmoins, qu'un préfet ne signe pas d'arrêté, tant qu'il y a des troubles dans une désignation. Ce qui peut être pris en, compte, dans l'actuel cas, avec les contestations d'Apata Yao, quand bien même il a été débouté à deux reprises par le tribunal.

Aujourd'hui, celui qui reçoit entre ces mains, les courriers, répond au nom du village et se donne le titre de Chef de village dans des cérémonies. Pareille lors de funérailles à Grand Moutcho, ou chacun préside les cérémonies rituelles, en fonction de sa proximité avec la famille ou le quartier concerné par le deuil. Dans le cas contraire, il s'abstient, puisque n'étant pas le bienvenu. Mais, jusqu'à quand ?

La proposition du suffrage universel

Pour Apata Yao Clément, l'idée de suffrage universel ne peut être retenue qu'après que l'injustice qui lui a été faite est réparée et son honneur restauré. "Même si je dois démissionner plus tard, j'aviserai", insiste Apata Yao. L'homme n'admet pas que celui qui fut son adjoint, puisse le bouter hors de la chefferie. Par ailleurs, Apata accuse Kokola de "vente illicite de lots villageois" durant son règne, ce que réfute ce dernier, expliquant, "j'ai opéré légalement les ventes, pendant que je suis chef de village et non alors que j'étais chef adjoint".

Yao Kokola Ambroise pose une condition pour le suffrage des urnes. Il est prêt, dit-il, à affronter un autre candidat, même proposé par Apata. Il soutient qu'Apata ayant été révoqué par l'administration, il n'est plus qualifié. Pis, Yao Kokola accuse Apata, président de la mutuelle des cadres du village, d'avoir "emmerdé" son prédécesseur Boka Monney Joseph, au point de pousser ce dernier à la démission du poste de chef de village.

Pour Inchaud Ayet Arsène, cadre Abbey du village d'Offoriguié, une autre localité du département d'Agboville, "le suffrage universel pour la chefferie, est une aberration". "C'est comme si on demandait aux chrétiens ou aux musulmans, d'aller aux urnes pour confirmer Jésus ou Mahomet, contre quelqu'un d'autre", a-t-il ironisé.

Selon lui, la tradition reste et demeure la tradition. Si elle est modifiée, on entre dans une autre sphère. Il accuse les sachants d'agir comme si le village de Grand Moutcho n'avait pas d'histoire.

"Les gens savent qui est la descendance des chefs de terre et donc, qui a autorité pour désigner le chef de village. Mais, ils feignent de l'ignorer", regrette Inchaud Arsène.

(AIP)
dd/ask

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