mercredi 16 juillet 2014 par Human Rigths Watch

Monsieur le Président,
La visite officielle que vous allez effectuer en Côte d'Ivoire les 16 et 17 juillet 2014 devrait être l'occasion pour vous d'aborder la question préoccupante de la justice à sens unique et l'impunité dont bénéficient des personnes qui soutenaient le président Ouattara durant la crise post-électorale de 2010-2011.
Ce régime d'impunité menace la durabilité du redressement du pays en transmettant un message selon lequel la violence politique est tolérée. Cela compromet la réconciliation dans le pays et perpétue l'héritage des clivages politiques et ethniques. Instaurer une justice impartiale est crucial pour faire progresser l'Etat de droit et la confiance en les institutions étatiques extrêmement faibles en Côte d'Ivoire.
Si Human Rights Watch accueille avec satisfaction les promesses du président Alassane Ouattara pour garantir une justice impartiale pour les crimes commis durant la crise postélectorale de 2010-2011, il convient de rappeler la nécessité de transformer rapidement ces promesses en actes.
Il est vrai que le président ivoirien a donné un signe positif pour la justice en renouvelant et en renforçant très récemment le mandat de la Cellule spéciale d'enquête, créée en juin 2011 et chargée de traiter les crimes commis durant la crise postélectorale. Human Rights Watch salue également la ratification de Statut de Rome régissant la Cour pénale internationale et le rejet d'une amnistie générale pour les crimes de la période postélectorale.

Cependant, les progrès en termes de lutte contre l'impunité dans le camp des partisans du
président Ouattara sont très limités.
En effet, depuis la fin de la crise, plus de 150 dirigeants civils et militaires pro-Gbagbo ont
été inculpés et neuf membres des forces armées de Gbagbo ont été condamnés devant un
tribunal militaire pour crimes de sang. Les autorités ivoiriennes ont coopéré avec la CPI
pour assurer le transfèrement à La Haye de l'ancien président Gbagbo et de Charles Blé
Goudé. Malheureusement, les crimes commis par les forces pro-Ouattara n'ont pas reçu la
même attention : aucun membre des Forces républicaines n'a été inculpé pour des
exactions commises durant la même période.
Pourtant, tant les forces pro-Gbagbo que les forces pro-Ouattara ont commis des crimes
durant cette crise postélectorale qui a fait au moins trois mille victimes. Un certain nombre
de personnes mises en détention ont été cependant remises en liberté provisoire, suscitant
l'inquiétude de l'Expert indépendant des Nations Unies sur la Côte d'Ivoire, selon lequel de
telles remises en liberté ne devraient pas équivaloir à une amnistie de facto. Human Rights
Watch a rassemblé les informations à sa disposition dans un rapport publié fin 2011 et
intitulé Ils les ont tués comme si de rien n'était : le besoin de justice pour les crimes postélectoraux
en Côte d'Ivoire .
Ces exactions, qui ont été aussi examinées par la commission nationale d'enquête
ivoirienne, doivent faire l'objet de poursuites et de sanctions. Les partisans de l'actuel
président responsables de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité doivent être
poursuivis. Les militaires soupçonnés de tels abus devraient également être suspendus de
leurs fonctions en attendant que la justice se prononce.
Cette justice à sens unique est d'autant plus préoccupante qu'elle se dissimule derrière des
déclarations de bonnes intentions et des institutions qui ne remplissent pas la mission pour
laquelle on les a créées, à savoir rendre la justice de manière impartiale.
C'est le cas de la Cellule spéciale d'enquête, dont la création a suscité un vif espoir pour les
victimes de la crise et pour la communauté internationale, mais qui souffre d'un manque
de soutien de la part des autorités gouvernementales et qui a été confrontée à d'autres
blocages qui limitent son important travail. Par exemple, les allégations de crimes de
guerre ou des crimes contre l'Humanité sont des cas sensibles qui laissent souvent les
témoins, les juges et les procureurs vulnérables face aux menaces et intimidations.
Pourtant, il n'existe toujours pas en Côte d'Ivoire de système efficace de protection pour
ces témoins ou pour le personnel de justice, ce qui rend d'autant plus difficile pour la
Cellule de remplir avec succès les missions qui lui sont assignées.

Lors de votre visite officielle en Côte d'Ivoire, nous vous encourageons à exprimer clairement les préoccupations de la France et à appeler instamment les autorités ivoiriennes à :
 Mettre fin à la justice à sens unique et garantir de manière équitable et sérieuse l'ouverture d'enquêtes à l'encontre des anciens chefs de guerre des Forces Républicaines de Ouattara
 Renforcer la Cellule spéciale d'enquête
 Assurer une protection effective des témoins et du personnel de justice impliqués dans des cas sensibles
 Prendre des mesures efficaces contre la torture et les mauvais traitements
 Fournir réparation aux victimes de la crise postélectorale de 2010-2011.
Nous espérons que nos recommandations seront prises en considération.
Nous nous tenons à votre disposition pour évoquer cette situation de manière plus détaillée.
Nous vous prions d'agréer, Monsieur le Président, l'expression de notre très haute considération.

Jean-Marie Fardeau
Directeur France


Copie :
M. Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères et européennes
Mme Annick Girardin, secrétaire d'Etat chargée de la Coopération et de la Francophonie
Mme Hélène Le Gal, conseillère Afrique, Présidence de la République
M. Thomas Melonio, conseiller technique Afrique, Présidence de la République

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