lundi 8 septembre 2014 par AFP

Abidjan - De premières audiences publiques de bourreaux et de victimes de la crise politique ayant ensanglanté la Côte d'Ivoire entre 2000 à 2011 s'ouvrent lundi à Abidjan, dont les résultats s'annoncent plus
qu'incertains trois ans après la fin des violences.

La Commission dialogue vérité et réconciliation (CDVR), qui les organise
selon le modèle dit de la "justice transitionnelle" née dans l'Afrique du Sud post-apartheid, est la cible de critiques nourries dénonçant sa politisation et sa désorganisation patentes.

Dernière ligne droite d'un processus qui piétine, ces auditions "n'ont pas
vocation à condamner ou à absoudre", mais "promouvoir une société qui refuse la violence, l'esprit de vengeance et l'impunité", a déclaré Charles Konan Banny, le président de la CDVR.

Leur importance symbolique se heurte toutefois à de lourds problèmes de
fonds. La Côte d'Ivoire sort d'une décennie de crise politico-militaire, durant laquelle des milliers de personnes périrent, depuis l'élection de
l'ex-président Laurent Gbagbo en 2000, marquée par des dizaines de morts et la découverte d'un premier charnier, à celle de son adversaire Alassane Ouattara fin 2010, finalement investi en mai 2011 au terme de cinq mois de violences ayant fait plus de 3.000 victimes.

Le pays se retrouva physiquement coupé en deux après un coup d'Etat manqué en 2002, seul le Sud restant sous domination des forces loyales à M. Gbagbo, quand le Nord passa sous le contrôle de milices favorables à M. Ouattara.

La désignation par l'actuel chef de l'Etat de Charles Konan Banny, ancien
Premier ministre issu de l'opposition sous Laurent Gbagbo, à la tête de la
CDVR interpelle de nombreux observateurs.

"On ne pouvait pas choisir quelqu'un avec son profil", affirme une source à l'ONU sous couvert d'anonymat, car pour une telle entité, "on doit veiller à ce que le leadership soit réellement indépendant et qu'il ne soit pas exercé par un acteur de la crise à la fois juge et partie".

- 'Justice des vainqueurs' -

La Commission, qui a longtemps semblé piétiner - les premières auditions
préalables de témoins ont débuté près de deux ans et demi après sa création -,
doit en outre composer avec une justice ivoirienne inféodée au politique,
selon les ONG de droits de l'Homme, qui dénoncent régulièrement une "justice
des vainqueurs".

Seul le camp des perdants pro-Gbagbo est inquiété, tandis que les
pro-Ouattara, à qui une commission judiciaire ivoirienne impute pourtant plus
de 700 morts dans les dernières violences postélectorales, semblent
intouchables.

Parallèlement, les anciens chefs rebelles, les "Com'zones" qui contrôlaient
le Nord depuis 2002 et ont aidé l'actuel président à conquérir le pouvoir, ont
obtenu la direction des forces de sécurité malgré leurs crimes.
"L'environnement n'est pas encore propice pour que les gens disent vraiment
ce qu'ils ont sur le coeur", observe la source onusienne. "Ceux qui ont des
choses à reprocher aux pro-Gbagbo vont pouvoir s'exprimer sans problème. Mais
personne ne va se mouiller pour désigner les Com'zones", par crainte de
représailles.

La CDVR, dont Patrick Baudouin, le président de la Fédération
internationale des ligues des droits de l'Homme (FIDH), affirmait en juin
qu'elle n'avait "absolument pas rempli son rôle" par manque de volonté
politique, a auditionné 63.000 témoins.

Mais le fait qu'elle en sélectionne quelques dizaines, une centaine tout au
plus, pour les faire parler dans des sessions interdites aux médias et dont un résumé seulement sera diffusé sur la télévision nationale, fait douter de la capacité du dispositif à provoquer le phénomène recherché de "pardon national".

La justice transitionnelle, instaurée en 1995 par Nelson Mandela, est
considérée comme l'un des principaux facteurs ayant évité l'implosion de
l'Afrique du sud par la catharsis qu'elle engendra, permettant aux victimes de l'apartheid de pardonner à leurs bourreaux, quand ceux-ci reconnaissaient leurs crimes à haute voix et qu'ils faisaient preuve de sincérité. Des poursuites judiciaires étaient engagées lorsque les crimes reprochés étaient trop lourds ou que les accusés se montraient malhonnêtes.


En Côte d'Ivoire, "j'ai toujours pensé que le processus, mis en place dans
de telles circonstances, n'allait pas aboutir aux résultats escomptés",
remarque la source onusienne.

Récemment interrogé par l'AFP à ce sujet, un cadre du régime souriait: "La CDVR ? Mais pourquoi faire? Nous avons déjà la réconciliation."

jf/mba

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