vendredi 7 novembre 2014 par Jeune Afrique

Depuis sa chute, l'-ex président burkinabè Blaise Compaoré a trouvé refuge à Yamoussoukro, en Côte d'Ivoire. Une arrivée qui fait la une des journaux ivoiriens et divise l'opinion. Franck Hermann Ekra, analyste politique ivoirien et consultant en stratégies d'images, livre son point de vue sur la situation et les conséquences que cet exil pourrait avoir sur le pays. Interview.
Jeune Afrique : Après sa chute, Blaise Compaoré a donc été accueilli en Côte d'Ivoire. Une destination prévisible, selon vous ?
Franck Hermann Ekra : Prévisible non. Cela paraissait improbable, et même risqué, compte tenu des proximités historique, géographique, de personnels politiques et de populations du Burkina Faso et de la Côte d'Ivoire. Cela étant, le fait que le gouvernement de la Côte d'Ivoire ait choisi, en concertation avec les autorités françaises, d'abriter l'ex-président est un acte de responsabilité puisque manifestement, il s'agissait de protéger sa vie. Son exfiltration a probablement permis d'éviter un bain de sang ou du moins un embryon de crise en Côte d'Ivoire et au Burkina Faso. L'histoire entre Compaoré et la Côte d'Ivoire est incestueuse, et les Ivoiriens s'interrogent sur les conséquences d'une éventuelle prolongation de son séjour chez eux.
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Pourquoi est-ce "risqué" selon vous ?
Il y a tout d'abord un risque d'opinion. La Côte d'Ivoire a une vocation à l'hospitalité et à l'expression de la fraternité, mais celle-ci doit être conciliée avec l'impératif de réconciliation. Or depuis septembre 2002 et le déclenchement de la rébellion armée qui a ouvert la crise militaro-politique en Côte d'Ivoire, une frange non négligeable d'Ivoiriens considère Blaise Compaoré comme co-responsable de son malheur (le Burkina ayant servi de base arrière pour la rébellion, NDLR). Il y a aussi un risque d'instabilité. La Côte d'Ivoire abrite près de 4 millions de Burkinabés. On dit parfois en plaisantant qu'ils sont la 61e ethnie de ce pays. C'est une population composite et divisée politiquement entre pro et anti-Compaoré.
Et la classe politique ivoirienne, comment accueille-t-elle cette arrivée ?
Cette arrivée est diversement appréciée, selon les postures à l'égard de la rébellion ivoirienne. Si on observe les déclaratifs des partisans du principal parti d'opposition, le Front populaire ivoirien (FPI) et du Rassemblement des républicains (RDR, parti au pouvoir) sur les réseaux sociaux, on se rend compte que le sujet est particulièrement polémique. On voit bien que l'antagonisme commence à poindre de nouveau. L'arrivée de Compaoré créé un pic de tension dans le débat national.
Et au niveau du Parti démocratique de Côte d'Ivoire (PDCI) d'Henri Konan Bédié ?
Sur cette question, le PDCI est nécessairement clivé, divisé. Dans la mesure où ce partage entre pro et anti-rébellion le traverse également. C'est d'ailleurs l'un des enjeux du refus d'un important segment du parti devant la fusion avec le RDR. Certains considèrent que celle-ci viendrait solder les comptes et effacer le passé violent d'un certain nombre d'acteurs politiques.
L'amitié entre les deux chefs d'État était connue de tous. Est-ce que cela ne laissait pas présager de la tournure des évènements ?
Plus que d'amitié, il s'agit d'une complicité manifeste entre les deux présidents. Mais il y a aussi la complicité entre l'ex-président burkinabé et le président de l'Assemblée nationale ivoirienne, Guillaume Soro. Et cela se traduit d'ailleurs dans la forme de communication que le gouvernement a adoptée depuis le début de cette crise. Le 31 octobre, le porte-parole du gouvernement a déclaré sur les ondes d'une radio étrangère, que le gouvernement ivoirien considère Compaoré comme "légitime". Or il lui aurait suffi de dire qu'il est le président légal. Ce manque de maîtrise de la communication gouvernementale dans la gestion médiatique de cette crise est particulièrement préoccupant.
Le porte-parole du RDR, Joël N'Guessan, a quant à lui réfuté toute critique en avançant que Blaise Compaoré était de toutes façons "Ivoirien", car marié avec une femme ivoirienne...
Ce n'est pas une question de droit de séjour ou de droit d'établissement par ce que l'on peut circuler librement dans l´espace Cedeao. Il suffit à Blaise Compaoré d'être Burkinabé pour s'établir en Côte d'Ivoire. Donc la question de sa nationalité ne se pose même pas.


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