vendredi 27 mars 2015 par LInfodrome

Au Front populaire ivoirien (Fpi), on dialogue à coup de plaintes devant les tribunaux et par communiqués interposés. Les héritiers de l'ancien président se déchirent à l'approche de l'élection, et lui, assiste, impuissant, à implosion de son parti.
Contenir l'ardeur vengeresse des militants, les calmer, jouer autant que possible dans le cadre défini par la loi, gérer calmement la crise. Avec ou sans Laurent, il faut que le parti continue d'exister, préserve son audience dans le pays. Du fond de sa cellule, il nous demande de procéder ainsi et de le considérer comme un simple militant de base. Ces propos, Abou Drahamane Sangaré ne les a pas tenus cette semaine, ni même cette année, mais en mars 1992. Sangaré, 46 ans à l'époque, vient de prendre la tête du Front populaire ivoirien (Fpi), qu'il a co-fondé dans la clandestinité en 1982 avec Simone Ehivet et Laurent Gbagbo. Quelques semaines plus tôt, ces derniers ont été arrêtés et condamnés à deux ans de prison ferme. Sangaré assure alors simplement l'intérim et aime le rappeler : Laurent Gbagbo nous a laissé une ?uvre, il nous appartient, pendant la parenthèse que constitue son absence, de ne pas la dilapider. Le jeune Fpi est en proie à des divisions internes. Déjà. Cinq mois plus tard, l'histoire lui donne raison, la parenthèse prison des Gbagbo se referme. Gracié par le président Houphouët-Boigny, le couple est libéré le 31 juillet 1992. Vingt-trois ans plus tard, Sangaré, 69 ans, est toujours là. Et son discours n'a pas changé d'un iota. Si je suis président par intérim du Fpi, c'est pour organiser un congrès où le Fpi aura pour président Laurent Gbagbo , dit-il dans un mimétisme troublant. Sauf que 2015 n'est pas 1992, et que ce titre de président par intérim, qu'il revendique depuis le 5 mars, seule une frange du parti le lui reconnaît.
 
Surréalistes
Ce jour-là, des barons du Fpi réunis à Cocody (une commune d'Abidjan) proclament la destitution du président du parti depuis 2001, Pascal Affi N'Guessan, et son remplacement temporaire par Sangaré. Quelques jours plus tard, Affi N'Guessan riposte en suspendant ceux qui ont participé à cette réunion et en les assignant en justice pour faire invalider leur décision. Ainsi va désormais la vie au sein du Fpi de Laurent Gbagbo, où l'on dialogue à coup de plaintes devant les tribunaux, d'extraits de statuts ou de règlements, de communiqués quasi quotidiens, tous plus surréalistes les uns que les autres. Depuis plusieurs mois, deux tendances internes s'affrontent pour la direction du parti et pour déterminer la stratégie à adopter face au pouvoir en place. Faute d'entente, le congrès qui pouvait permettre de les départager (ou de les réconcilier) et qui devait se tenir en décembre, a été reporté sine die. Toujours sur décision de justice.
Comme tous les partis créés autour d'un leader charismatique, le Fpi connaît à son tour une crise de croissance, renforcée par l'échec de 2010-2011, analyse le politologue ivoirien Fahiraman Rodrigue Koné. L'image du chef, autrefois sacralisé, est remise en question car trop lourde pour certains, notamment pour les plus jeunes. C'est une crise similaire à celle qu'a connue le Pdci (Parti démocratique de Côte d'Ivoire) d'Houphouët-Boigny, qui a notamment donné naissance au Rdr (Rassemblement des républicains) d'Alassane Ouattara en 1994. Similaire aussi à celle que le Rdr va certainement traverser dans les années à venir.
D'un côté, il y a les ultras , féroces partisans de Laurent, Simone et Michel Gbagbo. Ils posent en préalable, toute participation à la vie politique la libération de leur chef, détenu par la Cour pénale internationale (CPI). La priorité, c'est de peser sur des dossiers que certains estiment à tort réglés, comme la constitution d'une nouvelle commission électorale ou la libération de tous les prisonniers pro-Gbagbo, affirme Bernard Houdin, conseiller et porte-parole de Laurent Gbagbo pour l'Europe. Il faut aussi organiser un congrès au cours duquel Laurent Gbagbo pourra être candidat à la présidence du parti. Si Affi et les quelques rares militants qui le soutiennent veulent aller aux élections, qu'ils le fassent, mais ils ne représentent qu'eux-mêmes. Face à ces irréductibles, les partisans de Pascal Affi N'Guessan (que les mauvaises langues appellent déjà le président sortant ). Depuis sa sortie de prison, en août 2013 (il avait été arrêté en avril 2011), il s'évertue à faire revenir le Fpi dans le jeu politique. Lui et ses partisans sont dits modérés et sont prêts à participer, avec ou sans Gbagbo, à la présidentielle d'octobre 2015. Affi N'Guessan peut compter sur le soutien de Marcel Gossio, l'ancien directeur du port d'Abidjan rentré d'exil en janvier 2014, ou sur celui d'Alcide Djédjé, un ancien ministre des Affaires étrangères de Gbagbo. On peut parler de la libération de Laurent Gbagbo et se préoccuper de la situation du pays et des Ivoiriens, ce n'est pas incompatible, déclare le modéré Issiaka Sangaré, 50 ans, militant du Fpi depuis près de vingt ans et frère cadet de l'ultra Abou Drahamane Sangaré. Le Fpi doit adopter une approche plus moderne, notamment dans son fonctionnement, afin de créer un environnement plus propice à la paix et au développement en Côte d'Ivoire. Ce à quoi un baron bien connu du Fpi version Affi ajoute, en insistant pour garder l'anonymat : La libération de Gbagbo est un objectif pour tous, mais encore faut-il s'en donner les moyens. Ce n'est pas en vociférant chaque jour dans un maquis que l'on obtiendra quoi que ce soit. La rhétorique des ultras enfonce le président Gbagbo, puisqu'elle empêche la réconciliation nationale, cruciale aux yeux de la Cpi et de la communauté internationale.
 
Grillé
Entre les deux bords, tous les coups sont permis. Même la presse bleue , proche de l'opposition, est divisée : Notre Voie penche du côté d'Affi quand Le Temps ou LG Infos se font l'écho des ultras. À chaque jour sa déclaration choc, son rebondissement, son coup de crosse dans les fondations d'un édifice Fpi qui, bien que trentenaire, tangue sérieusement. Même le procès-fleuve de ce début d'année, qui a vu défiler à la barre 79 pro-Gbagbo inculpés pour atteinte à la sûreté de l'État pendant la crise post-électorale de 2010-2011, n'aura pas réussi à resserrer les rangs. Pis : assis côte-à-côte dans le box des accusés, ultras et modérés sont apparus plus divisés que jamais. À l'image d'une Simone Gbagbo que l'on a vu applaudir Sangaré lorsqu'il était à la barre et dévisager longuement Affi N'Guessan son tour venu. Il faut dire qu'elle ne lui a jamais pardonné d'avoir signé, en 2003, des accords de Marcoussis qu'elle jugeait trop peu favorables à son président de mari. ... suite de l'article sur LInfodrome

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