vendredi 17 juillet 2015 par Le Patriote

Les lampions du colloque-hommage à Ahmadou Kourouma se sont éteints. Avec pour thème ''L'esthétique d'Ahmadou Kourouma'', il a permis du 29 juin au 2 juillet dernier, à l'Ecole normale supérieure de Cocody, à d'éminents universitaires d'ici et d'ailleurs d'explorer durant quatre jours toutes les dimensions de l'écrivain poète, dramaturge et historien qu'était Ahmadou Kourouma. Des travaux, via des communications des plus riches les unes que les autres, ont permis de cerner la vie de l'homme Kourouma et son immense ?uvre littéraire. Tellement immense que cet héritage qu'il laisse à la postérité fait de lui un auteur adulé en Côte d'Ivoire, son pays, en Afrique et désormais à travers tout le monde entier. S'agissant de l'homme, lorsqu'on évoque Kourouma, l'on a vite fait de convoquer la figure d'un auteur engagé; le dénonciateur qui pointe un doigt accusateur vers les responsables des calamités et turpitudes africaines. Pour ceux qui savent dénouer les écheveaux de la langue de Molière, tout de suite, le regard est tourné vers les présidents et chefs d'Etat dictateurs qui régentaient les pays africains aux premières heures des indépendances du continent noir. Et la trame de son roman "Les Soleils des indépendances" en est une parfaite illustration. Car, témoin de son temps, il est de notoriété qu'à travers ses ?uvres, transparaissent des faits sociaux, politiques et culturels qui ont jalonné son parcours et façonné sa vision des êtres et des choses qui l'entouraient. Justement à ce sujet, "Les soleils des indépendances", dans sa trame, relate et décrit, avec un sacré procédé de distanciation, la mal gouvernance- la gestion des hommes et des biens. Il en est de même de l'ensemble de ses productions. Jugé critique par l'esthétique des personnages et les lieux décrits, le livre n'a pu être édité et publié en Côte d'Ivoire que de nombreuses années après. In fine, l'?uvre de Kourouma permet de mieux apprécier qualités et défauts ; beautés et laideur ; bonté et cruauté ; gaucheries et finesses d'un monde en mouvement continus et instable. Tout cela transparaît dans Quand on refuse on dit non ! Un colloque sur fond de réhabilitation, pour son immense héritage! L'autre fait marquant de la vie de Kourouma, c'est lorsqu'en 2001, sous le régime Gbagbo qui venait, fraichement, de s'installer en Côte d'Ivoire après une élection calamiteuse -les propos sont de Laurent Gbagbo lui-même, il est pressenti pour présider le Forum national de la réconciliation. Et compte toute attente, Laurent Gbagbo se rétracte, évoquant une question de nationalité au sujet de l'écrivain, pourtant natif de Boundiali (Nord de la Côte d'Ivoire). Terriblement irrité, ulcéré moralement par ce que lui-même a qualifié d'absurdité, Kourouma décide de s'établir à Lyon en France où il sera rappelé à Dieu le 11 décembre 2003. L'Etat de Côte d'Ivoire, surtout le pouvoir Ouattara qui, lui, fait de la célébration des filles et les fils qui font la fierté du pays un sacerdoce, consent alors à restituer à Kourouma sa dignité. A cet effet, lorsque le ministre de la Culture et de la Francophonie, Maurice Kouakou Bandaman introduit le dossier du rapatriement, sur ses terres natales, des restes d'Ahmadou Kourouma, le Président de la République, Alassane Ouattara et l'ensemble du gouvernement accèdent à la requête. Le 14 novembre dernier, les restes de l'écrivain seront alors rapatriés de Lyon en France. Désormais, Ahmadou Kourouma repose auprès des siens au cimetière de Williamsville. Dans la même période, une rue, à Cocody-Les Deux-Plateaux Saint Jacques, sera baptisée en son nom. Aujourd'hui, l'?uvre d'Ahmadou Kourouma appartient au patrimoine culturel mondial et l'on ne compte plus les colloques, séminaires et autres symposiums dont elle est l'objet à travers le monde et les publications qu'elle suscite. L'écrivain a cette exclusivité que tout le monde entier lui reconnaît. Il est le premier à avoir poussé l'appropriation de la langue française pour l'adapter au malinké. L'imaginaire malinké qui lui sert d'exutoire sociale, de l'avis de tous, va au-delà du groupe mandingue dont il reflète l'âme culturelle, poétique et même politique. Et le monde universitaire ne peut que qualifier cette trouvaille de "malinkisme". A titre d'exemple, traduisant la maxime qui dit : le chien ne change jamais sa manière de s'asseoir , Kourouma la transcrit littéralement en malinké dans "Les soleils des indépendances: Le molosse ne change pas sa déhontée manière de s'asseoir. Par-dessus tout, l'esthétique de Kourouma ne se limite pas qu'à la transcription des mots, la transposition et la description des lieux et des personnages. Elle donne également en profondeur dans l'humour et l'ironie. Les deux figures d'expression par lesquelles il tourne en dérision les personnages et situations pour les rendre moins dramatiques à la lecture. C'est en cela que des critiques trouvent des affinités de ses romans avec l'esthétique du réalisme, du merveilleux, du baroque et du carnavalesque etc. Tout cela, parce que Kourouma est un artiste romancier, inventeur de fiction servi par un imaginaire nourri de mythes et récits anciens et modernes. Il est d'une créativité féconde. C'est donc nanti de toute cette ?uvre plurielle assimilée à des documents historiques ou études ethnographiques que Kourouma, la vedette des Lettres ivoiriennes et africaines, est aujourd'hui la fierté mondiale.
JEAN-ANTOINE DOUDOU

www.225.ci - A propos - Plan du site - Questions / Réponses © 2023