lundi 14 decembre 2015 par L'intelligent d'Abidjan

Les alertes sur les difficultés de la presse ivoirienne ne sont pas nouvelles. Elles sont même cycliques sans qu'une réponse définitive ait pu être trouvée depuis plusieurs années.
Chaque publication ivoirienne produit et met sur le marché une moyenne quotidienne (ou un minimum) de 5000 exemplaires. Et cela de façon pratiquement obligatoire puisque les imprimeurs de la place assurent que c'est le minimum tenable pour eux, en vue de faire tourner les machines, et de maintenir celles-ci en un bon état. Ce taux est imposé aux journaux au mépris de la réalité des ventes sur le terrain, et des contraintes financières que cela entraîne.
Pourtant, quand le papier commence à manquer, quand il y a des problèmes techniques comme coupure d'électricité, il est possible que les mêmes machines impriment moins de cinq mille exemplaires, sans forcément se porter mal.
Lorsqu'un journal ventile au maximum 1000 exemplaires par jour sur l'ensemble du réseau à Abidjan et à l'intérieur du pays, pourquoi doit-il être obligé de mettre 5000 exemplaires sur le marché?
Dans ces conditions, le constat d'un taux de vente de 20% et d'un secteur sinistré est forcément inévitable.
Tu vends 3000 exemplaires et tu as imprimé 5000, 10 mille exemplaires, mais c'est du gaspillage, a dit à cet effet un jour un homme d'affaires sollicité pour investir dans la presse.
Pendant longtemps, on a fait savoir au niveau d'Edipresse, le distributeur national des journaux que "plus tu mets des exemplaires sur le marché, plus tu as des chances d'en vendre".
Nous fonctionnons dans cette logique depuis plusieurs années, mais cela n'a vraiment pas marché. Ou bien cela marche de moins en moins !

L'offre de la quantité ne tient pas sans la qualité de l'offre.

Distribuer un million d'exemplaires d'un journal classique et banal, ne garantira même pas mille lecteurs.
Il est donc clair qu'il est de moins en moins vrai, de moins en moins exact que plus tu mets des exemplaires journaux sur le marché, plus tu en vends.
La preuve est que des distributeurs, et même des crieurs, ne présentent même pas certains journaux dans les présentoirs, et gardent des lots importants d'exemplaires dans leurs ?'sacs'' - pour ne pas dire dans leurs tiroirs - sans les mettre sur le marché.
Quand un distributeur reçoit tous les jours 100 exemplaires d'un journal, et qu'il n'en écoule que 2 par jour, au lieu de prendre le risque de subir le reproche de pratiquer la discrimination ou l'exclusion pour avoir refusé de distribuer certains journaux, il se contente de prendre les journaux , de les cacher pour les rendre parmi les invendus plus tard.
Le distributeur et le crieur en ont marre d'être tous les jours chargés, à l'aller comme au retour.
Des éditeurs apprennent même que souvent leurs journaux ne quittent même pas le siège d'Edipresse, car les distributeurs préfèrent ne pas se fatiguer, en revenant quelques heures plus tard, pratiquement avec le même poids de journaux qu'à leur départ.

Diminuer le nombre d'exemplaires de journaux imprimés et distribués, ne résoudra peut-être pas dans le fond l'ensemble des problèmes structurels de la presse, mais cela réduira le nombre d'exemplaires invendus et en baissera le taux. Sans oublier des économies importantes sur une année par exemple.

Il en résultera également un sentiment de pénurie et d'absence des journaux sur le terrain. La rareté des journaux les rendra alors davantage précieux.
Cette situation de contrôle réduira le risque de prêts ou de piratage qui consiste à lire plusieurs journaux à 100 francs, au lieu de les acheter.
De son côté Edipresse aura moins de déchets et d'invendus à traiter, lui qui avait voulu facturer le coût du traitement de ces invendus.
L'entreprise de distribution avait un moment menacé de ne plus distribuer les journaux qui n'atteignent pas un certain seuil de vente.
Il ne faut pas oublier que c'est la négociation sur la tentative d'augmentation de la marge d'Edipresse, qui avait poussé les Éditeurs à augmenter les prix des journaux.
Tout comme les Éditeurs à la base, le distributeur de nos journaux subit lui aussi la pression du poids des invendus et du manque d'ajustement de la production.
Outre l'entreprise de distribution [ à qui il faut rappeler au passage qu'il est fait le reproche de ne pas moderniser , ni mettre à jour son réseau, et surtout de pas initier de campagne de communication grandeur nature pour inciter à l'achat des journaux ( laissant cela aux seuls Éditeurs) ] , les vendeurs à la criée auront eux aussi l'avantage d'avoir moins de poids à supporter et à transporter dans leurs mains. Idem pour les gros distributeurs avec moins de poids et plus d'espaces pour exposer.
Enfin même si les prix applicables par unité pour 3000 exemplaires, peuvent être majorés, des éditeurs verront leurs factures diminuer, avec des réductions pouvant aller jusqu'à 10 millions à 100 millions FCFA par an, selon la taille et le tirage de l'éditeur. Une bouffée d'oxygène au niveau des charges d'exploitation, à ne pas négliger dans le contexte actuel.
L'ajustement du tirage sur la base minimale de 5000 exemplaires imposé à tous, devra aussi être appliqué aux journaux vendant entre 3000 et 6000 exemplaires. Car la même question se pose à tous : Pourquoi imprimer 10 mille exemplaires pour ne vendre que 5 mille ?
Oui ! Il arrive que certaines parutions écoulent 4500 exemplaires sur 5000 exemplaires imprimés et distribués, et qu'on soit tenté de s'en mordre les doigts, se disant que si on avait imprimé alors 10 mille exemplaires, on en aurait en peut-être vendu, dans la même proportion, mais ce n'est vraiment pas toujours le cas.

Le seul perdant apparent immédiat pourrait être l'imprimeur. Mais à terme, la situation de pénurie, l'économie de ressources, la meilleure maîtrise de la chaîne de distribution par une absence de saturation du marché, et bien d'autres mesures à prendre, pourraient faire remonter les ventes des journaux, et dans la foulée le tirage.

À défaut de cet accord pertinent avec les imprimeurs en vue d'ajuster la production des journaux aux réalités du terrain, et en vue de refuser de déverser sur le marché environ 100 mille exemplaires pour n'en vendre que 50 mille, et encombrer avec autant d'invendus les revendeurs ; les éditeurs , s'ils ne veulent plus subir la mévente de leurs produits et s'ils ne veulent pas disparaître un à un, - en croyant que le premier qui tombe laisse un marché à prendre - , devraient alors chercher à s'approprier toute la chaîne de survie de leurs activités : production et diffusion des journaux .
L'édition marquée par la phase de production de contenus , de production éditoriale , la production marquée par la phase de production de l'imprimé et la distribution marquée par la mise à la disposition du public , tout comme la maîtrise des déclinaisons technologiques et numériques des contenus , et la régie d'annonces publicitaires, sont des métiers à intégrer et à connecter de plus en plus.
Les éditeurs peuvent se réapproprier l'ensemble de la chaîne de production, en s'appliquant plus de rigueur, moins d'hypocrisie, plus de solidarité. Et surtout en sortant des petits combats malsains basés sur des méchantes jalousies, des règlements de compte et des petitesses d'esprit.
Vu le contexte actuel, il est clair que ce n'est pas demain la veille : la naissance de success story dans notre secteur et de véritables managers de presse, est contrariée par des acteurs et dirigeants aux ambitions douteuses et mal faites , agissant hier comme aujourd'hui, tels des coupeurs de routes et d'ambitions, tels des gens incapables d'accéder à une vraie excellence, et qui tentent de maintenir par des intrigues et des coups-bas permanents , leurs confrères dans leur propre médiocrité.
En définitive, l'une des causes des problèmes des journaux et de la presse écrite ivoirienne réside dans le manque de vision et de leadership de ceux qui ont dirigé et qui dirigent encore les associations du secteur.
Des gens disent avoir honte de se dire journalistes aujourd'hui. Mais, il ne faut quand même pas oublier que depuis le retour au multipartisme, l'image d'une presse reluisante et parfaite n'a jamais fait l'unanimité dans le pays ! Et ce n'est pas nouveau !
En 1990, des journalistes ont aussi dit avoir honte d'être journalistes face aux excès de la presse de la gauche certes, mais aussi face à la mollesse de la presse proche du pouvoir !
D'hier à aujourd'hui, il y a eu des dérives et des abus tant de la part des animateurs de la presse, que de la société civile et des pouvoirs publics.
Je parle en connaissance de cause de ces choses, pour y avoir réfléchi et pour avoir suggéré des solutions lorsqu'il y a quelques années, je m'étais engagé à répondre aux préoccupations des journalistes en postulant à la tête de l'Unjci.
Tout le monde sait ce qui s'était alors passé. Je ne tomberai pas dans une grande idée de moi-même en prétendant que j'aurais pu résoudre les problèmes de la presse si....Mais c'était en 2008.
Et 7 ans après, il est loisible de constater que pas grand-chose n'a changé sans que, Dieu merci , cela suscite encore une quelconque vocation en moi .
Les peuples ont les leaders qu'ils méritent et qu'ils acceptent. Rien ne s'impose à personne, car chacun dispose du pouvoir de dire NON, même dans une dictature !
Subir la dictature est une option, obéir ou désobéir est une option. Nul ne peut faire le bonheur des gens contre leur gré, ou comme dirait l'autre à l'insu de leur plein gré !

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