jeudi 7 avril 2016 par AIP

Abidjan? En prélude à la journée mondiale de la santé focalisée cette année sur le diabète, le professeur agrégé du service d'endocriminologie-diabétologie du CHU de Yopougon, Abodo Jacko Rhedoor, rencontré mercredi à Abidjan fait l'état des lieux et se prononce sur les avancées dans la prise en charge du diabète en Côte d'Ivoire.

AIP : Bonjour Professeur, cette année la journée mondiale de la santé est focalisée sur le diabète, quel est l'état des lieux que vous pouvez faire sur cette maladie en Côte d'Ivoire ?

Pr Abodo : En Côte d'Ivoire, la prévalence est autour de 6% et la maladie progresse. Ce qu'on peut dire du point de vue pragmatique est que la décentralisation de la prise en charge du diabète est en cours, de trois centres de références qui sont situés à Abidjan, aujourd'hui il y a à peu près une trentaine de centre de prise en charge qui sont disséminés sur l'ensemble du territoire. Ces centres sont consacrés essentiellement à la prise en charge du diabète et d'autres centres sont crées et pris en charge par l'association obésité et diabète de Côte d'Ivoire.

AIP : Selon l'OMS, le nombre de personnes diabétiques devrait doubler d'ici 2025. Quelles sont les principales causes de cette croissance ?

Pr Abodo : Comme c'est connu, on le dit, il ya une mondialisation pour ne pas dire une épidémie du diabète mais également pour l'ensemble des maladies chroniques et cela est lié à ce qu'on appelle la transition épidémiologique. L'Afrique est en train de connaître une transition épidémiologique très rapide en l'espace d'une génération, transition que les autres pays ont connu pendant plus de 100 ans et cela due essentiellement à une uniformisation presque des modes de vie des populations. Les populations d'Afrique qui étaient à majorité rurale sont en train d'avoir un mode de vie des pays occidentaux. C'est ce qu'on a appelé la cocacolalisation . Nous avons aujourd'hui une alimentation riche en calorie donc riche en matière grasse et également en glucide. Nous avons également de plus en plus une sédentarisation des populations. Aujourd'hui la plupart des fonctionnaires, pour ne pas dire les adultes, ont un véhicule, et même quand on n'a pas de véhicule, on se déplace en voiture d'usage communautaire. C'est dire que la sédentarisation est de mise, même quand vous voyez certains enfants, aujourd'hui dans nos maisons, ils ont tous des jeux vidéo, ils sont tout le temps assis devant la télévision, ils sont moins actifs. Donc il y a la sédentarisation qui fait que le surpoids et l'obésité vont prendre le pas, associé à cela l'alimentation déséquilibrée, on va donc avoir une éclosion du diabète et des maladies chroniques. Il ne faut pas oublier la notion de stress qui est très importante. Le stress peut conduire à beaucoup d'attitude notamment à la prise d'alcool, de tabac ou alors conduire à une alimentation un peu désordonnée avec les grignotages. Tout cet environnement, tous ces aspects vont être à l'origine de l'éclosion du diabète et des maladies chroniques et les autres maladies métaboliques. Mais également il faut ajouter les possibilités de sensibilisation, de campagne de dépistage qui devient de plus en plus fréquent dans le pays avec les différents programmes, les différents projets qui sont en cours.

AIP : Pour le citoyen lambda, c'est la consommation du sucre qui est la cause du diabète, est ce que cela est vérifié ?

Pr Abodo : La réalité est que nous avons besoin de sucre pour vivre puisque le sucre est le principal carburant de l'organisme. Mais très souvent les sucres consommés sont en excès où alors il est dans les aliments que nous consommons. C'est pourquoi on a donné la notion d'indexe de glycémie d'un aliment qui se définit par le pouvoir sucrant de cet aliment. Vous pouvez avoir par exemple les féculents quand vous prenez le toho, le riz, l'attiéké, chaque type de féculent à une quantité de glucose, de glucide qui vont avoir tendance à élever plus ou moins le taux de glycémie. Ces mêmes féculents quand vous les prenez dans d'autres mets avec la sauce, ça peut modifier le pouvoir sucrant. Je prends également le cas des boissons sucrés. Quand vous prenez une boisson sucrée à jeun ou après le repas, le pouvoir d'augmenter la glycémie de cette boisson va être modulé. Lorsque vous prenez à jeun la glycémie va monter rapidement alors que lorsque vous le prenez après un repas, la glycémie va avoir tendance à monter progressivement. Donc la notion d'indexe glycémique est important dans la consommation des sucres et glucides. En ce qui concerne la consommation des graisses, cette notion peut également intervenir mais il faut savoir que les graisses constituent le deuxième élément, la deuxième source d'énergie de l'organisme. Malheureusement, ce sont ces graisses qu'on consomme le plus souvent et quand vous consommez une alimentation qui est riche en gras, cette graisse va se stocker mais ça sera très rapidement utilisé lorsque vous n'aurez plus de sucre à disposition. Voilà un peu le glucose mais surtout le gras qui vont être à l'origine de la prise de poids, de l'obésité donc in fine de l'apparition de maladie métabolique parmi lesquelles le diabète mais également l'hypertension artérielle et les autres maladies cardiovasculaires.

AIP : On nous parle souvent de diabète de type 1 et de diabète de type 2, quelle est la différence entre ces deux types de diabètes ?

Pr Abodo : Ce qu'il faut retenir c'est qu'il y a plusieurs formes de diabète, mais il y a deux principales formes. Le diabète de type 2 qui est le plus fréquent est ce qu'on appelle le diabète de la maturité, qui apparait après un certain âge, généralement chez l'adulte autour de 40 ans et plus et qui augmente avec l'avancée en âge et puis il ya le diabète de type 1 qui est retrouvé le pus souvent chez l'enfant, généralement avant l'âge de trente ans. Ce type de diabète est lié essentiellement à une destruction du pancréas par des anticorps produits par l'organisme lui-même. Ce qui va faire que le pancréas qui produit l'insuline va entrer en déficience et l'insuline doit être apportée obligatoirement par des injections. A l'inverse, le diabète de type 2 qui est dit diabète de la maturité, est le plus souvent lié à la sédentarisation, et aux mauvaises hygiènes alimentaires, à savoir la consommation excessive de graisse et de produits sucrés, conduisant au surpoids et à l'obésité qui vont faire le lit de l'apparition du diabète de type 2.

AIP : Quelles sont les actions qui sont généralement menées en Côte d'Ivoire pour circonscrire la maladie ?

Pr Abodo : En ce qui concerne la Côte d'Ivoire, il y a aujourd'hui un processus de décentralisation qui est en cours parce que les centres spécialisés qui se trouvent à Abidjan, qui jadis prenaient en charge la plupart des diabétiques, occasionnaient beaucoup de perte de temps et beaucoup de décès. Depuis que la décentralisation est effective, avec une trentaine de centre en dehors des centres de références nous assistons in fine, à une diminution des cas graves et à une amélioration de la prise en charge des patients diabétiques.

AIP : Professeur, comment se fait généralement la prise en charge des malades atteints de diabètes ?

Pr Abodo: La prise en charge au plan médical est purement faite en deux phases, c'est-à-dire quand vous avez un patient que vous dépistez ou découvrez diabétique, il faut déjà savoir si son diabète est compliqué ou pas. Si le diabète est compliqué en ce moment la prise en charge relève du spécialiste alors que si le diabète n'est pas compliqué, alors la prise en charge peut être réalisé par le médecin généraliste qui est formé déjà depuis plusieurs années et habilité à prendre en charge ces cas de diabète.

AIP : Pour celui qui n'a pas encore contracté la maladie, quelle action devrait on entreprendre pour se prémunir de la maladie ?

Pr Abodo: Des activités de sensibilisation et de dépistage se font de façon régulière en Côte d'Ivoire et puis il y a également des émissions qui passent régulièrement à la télévision pour appuyer l'action du ministère de la santé pour que les populations soient de plus en plus sensibilisées à reconnaitre les signes de la maladie, à se faire dépister le cas échéant et à se faire prendre en charge lorsque la maladie est découverte que se soit Abidjan comme à l'intérieur du pays. Aujourd'hui, les ivoiriens ont des centres où ils peuvent s'adresser pour leur prise en charge. La prise en charge se fait grâce aux assurances, notamment la MUGEFCI, les assurances privées, que se soit les médicaments du diabète ou des maladies chroniques, tout cela a un coup et il faut faire face à ces coûts et c'est un peu le problème qu'il pose. Le coût des intrants, notamment le nécessaire pour suivre le diabète, pour contrôler la glycémie, les bilans qu'il faut faire, au maximum une fois par an au minimum une fois par trimestre ou par semestre, tout cela à un coût. Je pense que le ministère s'y met pour pouvoir trouver une solution pour les patients pour réduire les coûts. Le diabète est une maladie chronique, il faut vivre avec le diabète. Pour bien vivre avec le diabète il faut avoir le petit matériel notamment les tests de glycémie pour le contrôler et savoir que nous sommes sur la bonne voie de ne pas avoir un taux de glycémie trop élevé ou trop bas.

AIP : Voici professeur que s'annonce une journée mondiale de la santé, quel est l'impact cette journée sur la gestion de cette maladie chronique ?

Pr Abodo : Je pense que l'impact sera forcément positif, au moment où beaucoup de programmes et de projet s'intègrent dans la prise en charge du diabète en Côte d'Ivoire et que le monde entier parle de plus en plus de cette épidémie, cette journée lui est consacrée. Elle est bien vue parce qu'elle permettra de renforcer la sensibilisation des populations sur ce fléau pour que les gens s'y intéressent et connaissent les signes pour savoir qu'on a la maladie et les méthodes à utiliser pour la prévention par une amélioration de son hygiène de vie, de ses habitudes alimentaires, par une activité physique qui doit être régulière pour tout le monde et puis bien entendu pour les patients, comment se faire suivre régulièrement pour éviter les complications, notamment les amputations, les AVC, les atteintes oculaires, la cécité, les comas, etc.

AIP : Pour ma part professeur je pense que nous sommes au terme de notre entretien, je vous laisse le soin de dire en guise de conclusion, votre dernier mot.

Pr Abodo : Notre mot de fin sera surtout un mot d'espoir comme le dit notre maître le professeur Lokohourou, chef du service, et l'un des pionniers en Afrique pour le diabète, l'espoir est permis aujourd'hui en matière de prise en charge du diabète, en matière de prise en charge des maladies chroniques. La Côte d'Ivoire a atteint un stade où beaucoup de centres de prise en charge sont implantés à Abidjan et à l'intérieur du pays. Environ 30 centres sont implantés, environ 260 agents de la santé, médecin, infirmiers, éducateurs, aide soignants, diététiciens, pédiatres, sociologues, assistants sociaux et mêmes des journalistes sont formés, plus de 300 campagnes de sensibilisations et de dépistages ont été réalisées et se poursuivent. La Côte d'Ivoire est à un stade important de la prise en charge de cette maladie, donc l'espoir est permis pour nos patients diabétiques. Lorsque cette prise en charge du diabète non compliqué aura atteint sa vitesse de croisière, on pourra s'attendre à ce que les complications de la maladie puissent baisser pour le bien être des patients mais également par le biais de la sensibilisation pour moins de nouveau cas de diabète. C'est ce qui nous amène à espérer pour le lendemain.

(AIP)

gak/kam

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