mercredi 7 septembre 2016 par Partis Politiques

Ma modeste contribution à la réflexion pour un système démocratique apaisé consensuel et conforme à notre génie propre


Au moment où, les experts dûment mandatés travaillent activement et avec le sérieux qu'on leur reconnaît sur la nouvelle Constitution ivoirienne, sensée intégrer les recommandations des accords de Linas- Marcoussis, pour donner au peuple une boussole débarrassée des affects ?confligènes', je me permets de communiquer et faire partager ma perception du meilleur système démocratique pour notre peuple.

Le système démocratique

Le concept d'un Etat démocratique est né à Athènes, dans la
Grèce antique, au Vème siècle avant notre ère. Après les grecs, les anciens romains ont aussi mis en ?uvre la démocratie et ont inventé le
mot ??république'' (respublica).
D'après Larry Diamond, codirecteur de l'International Forum for Democratic Studies, la démocratie est un système de gouvernement dans lequel le peuple choisit ses dirigeants à intervalles réguliers lors d'élections libres, transparentes et pluripartites . Tous les pays industrialisés, libres, sont dotés, chacun d'un régime démocratique.
La démocratie est un phénomène planétaire. Cette affirmation est essentielle parce qu'on constate aujourd'hui que beaucoup de peuples réclament plus de liberté et de démocratie. L'importance de ce système politique se concrétise, également, par le nombre sans cesse croissant de régimes démocratiques à travers le monde, avec l'effondrement des régimes totalitaires en Europe de l'Est, en Asie et en Afrique, dans
certains pays où la dictature semblait aller de soi. 1989, est une année mémorable, dans l'histoire de la démocratie. Il y a eu deux grands évènements : la chute du mur de Berlin et les manifestations des étudiants sur la grande place Tian'anmen de Bejin (Pékin), en Chine. L'Union soviétique, URSS, s'est effondrée. Les républiques soviétiques membres de l'union sont alors entrées dans le processus de
démocratisation. La poussée mondiale à la démocratisation est arrivée, en Afrique et en Côte d'Ivoire, en 1990, portée, à raison, par les élites d'intellectuels, parfois, au mépris des réalités sociologiques et anthropologiques.


Les réalités sociologiques et anthropologiques à prendre en compte ?

Comme on le sait, les organisations sociales précoloniales, c'est-à-
dire, les structures sociales tribales, ou hiérarchisées et les royaumes, ont été ?détruites' brutalement par le colonisateur et remplacées lors de l'installation de l'autorité française. Ces structures traditionnelles, d'essence anthropologique et sociologique ne se sont jamais éteintes.
Il faut noter, qu'à la déconstruction liée, d'une part, à la traite négrière et ses conséquences négatives dans les différentes sociétés, et d'autre part, à la colonisation destructrice de nos valeurs, s'ajoute, également, l'influence marquée des religions révélées importées, qui ont précédé ou accompagné la colonisation. Certaines, d'entre elles, ont introduit leur loi spécifique dictant un style de vie nouveau et un ensemble de normes que le croyant doit strictement respecter, pour sauver son âme. Des marqueurs religieux ont été introduits, dans l'espace sociétal, avec des aspects positifs et d'autres négatifs. Par exemples : au niveau du genre (femmes d'un côté, homme de l'autre dans les assemblées), matrimonial (une croyante ne pouvant épouser un non croyant), alimentaire (halal, alcool prohibé), au niveau du nom patronymique (abandon du nom généalogique, jugé de non croyant, pour adopter un autre patronyme porteur de sainteté), vestimentaire (turban, boubou), etc. Parfois les adeptes sont appelés à porter, pour les mêmes raisons, des prénoms de Saints ou d'anges. Ainsi, le nom patronymique, les prénoms, et le port extérieur, du fidèle, coupent, parfois, tout lien avec l'origine ancestrale, de celui-ci, considérée comme source d'impuretés ou d'abominations.
Au demeurant, les valeurs traditionnelles sacro saintes de la liberté de religion, de la tolérance et de la laïcité, sont librement acceptées et, strictement, respectées, par tous, pour la stabilité de la société.
Durant la période coloniale, les seules structures reconnues sontncelles de l'administration coloniale, à savoir le village, le canton, la subdivision et le cercle. Les tribus et les royaumes ne sont pas reconnus. Les chefs de tribus et les rois, pourtant influents, sont ignorés par l'administration coloniale qui avait ses propres auxiliaires. Cependant, l'autorité administrative coloniale dépêche, toujours, un délégué aux grandes célébrations traditionnelles autorisées, pour y avoir un ?il et pour être au courant.
Après l'indépendance, les nouvelles autorités instruites, formées à l'école française et acquises à la culture, à la civilisation et au mode de gestion sociopolitique de l'occident, ont conservé l'organisation administrative coloniale, en opérant juste quelques changements de dénominations. C'est plus confortable ! Les structures anciennes deviennent respectivement : le village, la sous-préfecture et la préfecture. Le chef de canton n'étant plus formellement reconnu, malgré
son maintien local, sur un mode de succession dynastique. La préfecture et la sous-préfecture sont d'ailleurs les appellations des démembrements de l'Administration métropolitaine. Les rois et grands chefs traditionnels des tribus qui, pourtant existent toujours dans l'organisation sociale des populations, sont tolérés, mais ignorés. La communalisation et la régionalisation ont aggravé la situation en créant de nouvelles autorités locales, sans lien avec les organisations sociales traditionnelles. Pourtant, on reconnaît que, les organisations traditionnelles tribales et la monarchie n'ont pas été liquidées et que la mentalité est encore vivace dans les esprits et les m?urs.
Alors, faut-il tout gommer, au nom de la démocratie ? Ma réponse est non, bien au contraire ; car partout ailleurs, la démocratie est fondée sur les réalités sociologiques des peuples. Les anciens romains l'ont fait après les grecs. C'est, bien, la raison pour laquelle, le système démocratique en France est différent de celui de l'Angleterre, lui-même différent de celui de l'Allemagne, et tous différents de celui des USA, etc., etc.
En Côte d'Ivoire, plusieurs ethnies cohabitent, formant de grands groupes ethniques, tels que les Akan, les Krou, les Sénoufo, etc. D'une manière générale un groupe se distingue d'un autre par les conceptions cosmogoniques, anthropologiques et sociologiques communes, avec les mêmes croyances, les mêmes rituels, les mêmes us et coutumes. Cependant, comme me l'a fait observer avec pertinence, récemment mon frère et ami Dr Acébé, si, par exemple, on impose, seulement, au sein du groupe Akan, le système de gestion sociopolitique monarchique propre aux Baoulé au Centre, aux Abron au Nord-Est, ainsi qu'aux Agni à l'Est et au Sud-Est, à tous les membres du groupe, visiblement cela ne marchera pas. Pourquoi ? D'abord, parce qu'il ya des différences entre eux. Les Akans du Sud et les lagunaires, eux, ont une organisation sociopolitique, non monarchique, fondée sur les classes d'âges. Le Chef dirige avec les classes d'âges. Ensuite, parce que, la mise en ?uvre de la monarchie va causer des tensions sociales et des violences indéniables, difficiles à gérer et à maîtriser.
On voit, donc, que si on impose le système monarchique aux autres membres du groupe ethnique Akan et, à fortiori, à tout le pays à la fois, on ne pourra pas faire passer, cela, du jour au lendemain. On risque de provoquer des mutations brutales, sources de conflits, de dérives et de violences difficiles à ignorer. Ainsi, sans le vouloir, on va semer, les germes de l'incompréhension, de la frustration et du pourrissement social.
Pourtant, c'est ce que nous avons fait en instaurant la démocratie, ?prêt-à-porter', en pensant que cela va de soit. Nous avons créé des frustrations avec deux pouvoirs en parallèle, sans lien. D'un côté, le

pouvoir traditionnel, ancien, étouffé (depuis la colonisation), obsolète et sans éclat, considéré comme sauvage ou primitif puisque venant de nos racines ancestrales profondes et de nos cultures multiséculaires, et de l'autre côté, le pouvoir moderne rutilant, civilisé, issu du système démocratique. Les deux pouvoirs, ne se rencontrent que pour le folklore et la cosmétique. Le premier, tout puissant à la mode, en haut, se servant du dernier désuet, en bas, dans une relation inégalitaire et souvent pour les besoins de la démocratie et de la modernité. Pourtant, il suffit de se rendre dans le royaume de l'Indénié ou celui du Djuablin, pour ne citer que ceux-là, pour découvrir l'immense richesse bienfaisante du patrimoine culturel encore vivace, que la nation néglige, de la sorte. La culture du poro a également ses réalités sociologiques et anthropologique bienfaitrices, à capitaliser. Il en est de même du patrimoine socioculturel atchan (ébrié) riche, dont les communautés, admirables de fidélité, sont largement imprégnées ; puisque respecté par tous, même, par les cadres atchan, des plus modestes aux plus illustres.

Le meilleur système démocratique pour notre peuple ?

Alors, peut-on continuer d'ignorer ces réalités, qui sont nôtres ? La question mérite d'être posée, pour des sociétés organisées, mais, dont l'âme est en perpétuel danger de perte. Notamment, sous l'effet cumulé des conséquences négatives des guerres de conquêtes (Samory), de la traite négrière, de la dignité piétinée sous la colonisation, des influences aliénantes des religions importées et, maintenant, sous les contraintes de la démocratie prêt-à-porter .
En ce qui me concerne, je soutiens qu'il faut, nécessairement, définir le périmètre de la démocratie avec les populations et leurs organisations sociales déjà établies et reconnues (les limites, les relations les unes aux autres, etc) ; au risque de mettre, tôt ou tard, le modèle démocratique appliqué, en crise !
C'est pourquoi, nous devons nous débarrasser des préjugés et des complexes hérités du colonialisme, en vue de développer, avec courage, une vision plus positive des sociétés traditionnelles pour préserver nos valeurs et notre cohésion, sans nous renier. Faisons, donc, en sorte que tous les citoyens partagent, s'approprient librement et dans la dignité, l'exigence de la démocratie, cette grande idée qui fonde les nations modernes.
D'autres peuples ont réussi cela, ailleurs. Ils ont su, eux, s'approprier la démocratie, pour construire la cohésion sociale, la vie communautaire harmonieuse, à travers des institutions fortes.
Nous y parviendrons, si nous songeons à rebâtir la démocratie à la sauce ivoirienne, sans complexe, à partir de l'aspiration naturelle du

peuple à la liberté, du contexte mondial et de nos expériences, mais aussi sans complaisance, à partir de notre patrimoine socioculturel et anthropologique, si riche. Il faut, aussi, songer à sortir nos sociétés de la négation de soi, du renoncement et de la clandestinité socioculturelle.
La démocratie apaisée oui ! La démocratie ?passe partout' ou
?prêt-à-porter' non ! Il convient, pour cela, d'intégrer judicieusement, la primauté des valeurs et du droit issus de nos traditions.
Dans, cette perspective, les ivoiriens de tous bords sont interpelés ! Ils sont invités, à réfléchir, avec diligence et la conscience de leur temps, pour rechercher et trouver, ensemble, les meilleures constructions tirées de la sagesse et de notre génie propre, capables d'asseoir, dans une démarche inclusive et responsable, les bases sociologiques et anthropologiques solides du système démocratique, qui nous convient et qui préserve notre dignité.
Il reviendra aux juristes, au gouvernant et au législateur de codifier les constructions retenues, en vue de bâtir la matrice consensuelle, unificatrice, respectant strictement les principes universels de la démocratie, qui convient à notre peuple et qui tient compte de sa diversité. Dans cette quête, la recherche de l'équilibre des pouvoirs est essentielle, pour des institutions fortes, facteurs de stabilité.
La Chambre des rois et chefs traditionnels, de création récente, reconnue comme gardienne de nos traditions, devrait s'approprier et faciliter une telle réflexion. Cette démarche ne remet, nullement, en cause, les fondements de l'Etat moderne et les institutions démocratiques qui régissent la vie sociopolitique en République de Côte d'Ivoire.

Telle est ma modeste contribution, à la nouvelle constitution.

Que Dieu Clément et Miséricordieux Bénisse la Côte d'Ivoire !

Par Alain Cocauthrey, Ingénieur pétrolier, Expert judiciaire agréé, ancien ministre de l'industrie

alco@aviso.ci
Abidjan, le 25 Août 2016