mardi 27 septembre 2016 par Le Nouveau Réveil

Ce texte, est destiné à donner ma modeste contribution, dans le cadre du débat d'actualité, qui porte sur l'élaboration d'une nouvelle constitution. J'ai eu la chance, de participer en qualité d'Expert invité aux manifestations de célébration du Xe anniversaire du Mécanisme Africain d'Evaluation par les Pairs (MAEP), alors que la Côte d'Ivoire n'avait pas encore adhéré à ce Mécanisme.

Ma contribution est motivée par certains acquis dont j'ai pu bénéficier au cours des travaux de célébration du Xe anniversaire du MAEP qui se sont déroulées en mai 2014 à Addis-Abeba. Un des Experts a dit exactement ceci : le contenu des constitutions africaines constitue un frein à la bonne gouvernance . Une telle affirmation ne peut qu'interpeller tous les intellectuels africains mais aussi et surtout les dirigeants africains qui doivent tout faire pour doter leurs pays respectifs de lois constitutionnelles compatibles avec les exigences de la bonne gouvernance.

L'Expert concerné a ajouté que les valeurs intrinsèques de la démocratie sont utiles mais que : les institutions ont besoin d'être renforcées pour plus d'efficience . J'ai tenu à faire ces rappels pour bien montrer que dans le contexte africain actuel, en dehors de quelques rares pays, les constitutions ne sont pas des facteurs de promotion de la bonne gouvernance.

On peut donc comprendre que les dirigeants de la Côte d'Ivoire qui prennent, chaque année, de nombreuses mesures pour améliorer le niveau de maturité du pays en matière de gouvernance, puissent décider de s'attaquer à la loi fondamentale pour bâtir les institutions qu'il faut pour une Côte d'Ivoire paisible. Il s'agit pour eux de renforcer la démocratie et établir le lien entre bonne gouvernance et démocratie. On ne peut renforcer la démocratie, l'un des fondements de la bonne gouvernance, que si des mesures fortes et inhabituelles sont prises.

Le Président Alassane OUATTARA et son Ainé le Président Henri Konan BEDIE, qui est le Sage de Daoukro, ont donc décidé à juste titre de faire en sorte que la Côte d'Ivoire se dote d'une nouvelle constitution qui puisse lui permettre de réaliser ses ambitions. Au cours des travaux précités, un Expert rwandais avait indiqué que le renforcement de la démocratie repose sur trois piliers, qui sont premièrement la prévisibilité du système politique, deuxièmement des institutions efficaces, troisièmement la reddition des comptes, la capacité à fournir des services de qualité à garantir la paix et la stabilité.

Pour lui, la prévisibilité du système politique est la mère de la sécurité et la sécurité est le premier pas vers le développement. Vient ensuite la démocratie. Dans la situation actuelle de la Côte d'Ivoire, les modalités de succession en cas de décès d'un Président de la République en fonction, constituent à l'évidence des sources d'imprévisibilité et donc d'insécurité politique et sociale. La création d'un poste de Vice-Président permettra d'éviter cette période d'incertitude et ses conséquences politiques, sociales et économiques. C'est l'impact de la réforme qui est envisagé que l'on doit regarder.

S'agissant des institutions efficaces, l'Expert du Rwanda précité a aussi indiqué que les pays africains sont en retard sur l'efficacité gouvernementale. Cela joue sur la qualité des prestations fournies aux populations et peut être source de mécontentement.

Au niveau de la reddition des comptes et des éléments associés, le rôle du Parlement et celui d'autres institutions de contrôle peut être salutaire en matière de bonne gouvernance. Il s'agit de plus en plus de donner des moyens juridiques aux Assemblées Nationales pour réaliser le contrôle parlementaire, nécessaire en matière de bonne gouvernance. La constitution actuelle ne donne, vraiment, pas cette possibilité à l'Assemblée Nationale. Tout changement mérite d'être justifié. A mon avis, les paragraphes ci-dessus peuvent permettre de comprendre, ne serait-ce qu'en partie, pourquoi les Autorités politiques ont décidé de faire des réformes salutaires pour l'avenir de la Côte d'Ivoire.

De nombreux autres pays ont procédé à des changements constitutionnels à la suite de situations de crises dans le but de prévenir de nouvelles difficultés liées à la mauvaise qualité de leurs constitutions.

Pendant les travaux précités au Xe anniversaire du MAEP, j'ai bénéficié de nombreux partages d'expériences réalisées avec la contribution d'anciens Chefs d'Etats de l'Afrique de l'Est et d'éminents Experts africains. J'ai également bénéficié des enseignements des représentants de l'Afrique du Sud, au cours des travaux. Ces derniers ont expliqué aux participants les fondements de la constitution de l'Afrique du Sud. De nombreuses questions prises en compte par ladite constitution sont ignorées par la très large majorité des constitutions africaines. A l'issue de la présentation de l'Afrique du Sud, il a été recommandé aux participants de s'inspirer de la constitution de l'Afrique du Sud comme modèle. Des présentations ont été également faites sur l'expérience du Rwanda, rappelée ci-dessus, et on a même parlé de modèle rwandais . Il s'agit, en l'occurrence, de deux pays qui ont connu de graves crises dans leurs histoires et qui ont eu le courage de se doter d'instruments constitutionnels destinés à prévenir les crises.

On peut aussi citer l'exemple du Ghana qui a connu pendant longtemps des situations de crises mais qui a fini par se doter d'une constitution qui, comme on peut le constater, a permis de stabiliser le pays.
La question fondamentale que chacun se pose est de savoir si l'on doit changer la constitution actuelle.
En 2007, la question a été posée en France au Professeur Bernard Mathieu de l'Université de Paris I, alors Président de l'Association française de droit constitutionnel. La question posée était la suivante : Faudrait-il adapter la constitution actuelle ou réfléchir à une nouvelle constitution qui repenserait totalement les relations entre les trois pouvoirs ? . La réponse qui a été donnée est la suivante : Avant de changer de constitution, il faut savoir pour quoi faire ou pourquoi il faut la changer (www.lemonde.fr/siociete/charte/2007/03/23). Le Professeur admet sans surprise que l'on puisse changer de constitution lorsqu'il y a des motifs légitimes. Si l'on prend l'exemple de la France, il y a eu de nombreuses constitutions avant celle de 1958. Tous les spécialistes et tous les hommes politiques sont d'accord pour dire qu'en France, cette dernière constitution a permis de stabiliser la vie politique.

Dans le cas de la Côte d'Ivoire, une constitution a été certes rédigée, soumise à référendum et adoptée par le peuple en 2000, avec l'espoir que cette nouvelle constitution soit le moyen d'éviter de nouvelles crises politiques et sociales. Malheureusement, la constitution de 2000 a été au centre des difficultés que le pays a connues. Les dirigeants actuels qui ont le destin du peuple ivoirien en mains, peuvent-ils, dans ce cas, laisser en place une constitution qui est un facteur de risques politiques et sociaux et donc un facteur d'insécurité pour les citoyens? Il n'est pas inutile de rappeler qu'une constitution n'est plus seulement un instrument de régulation des pouvoirs mais une loi fondamentale qui prend désormais en compte de nombreuses questions qui concernent l'avenir de la nation dans tous les sens du terme.

De nombreux pays ont dû mettre en place de nouvelles constitutions pour y intégrer des questions fondamentales qui relèvent aussi des exigences actuelles du monde et de la vie sociale. Google a lancé en 2013 un outil de comparaison des constitutions du monde. L'initiative a été soutenue par un programme universitaire américano-britannique, baptisé le Projet comparatif des constitutions . A travers ce projet, Google vise à faciliter la rédaction des constitutions des pays qui sortent de crises. Cette initiative montre bien que lorsqu'un pays sort de crise, il est nécessaire de changer de constitution si celle-ci constitue une des causes de la crise. De nombreux pays ont procédé de la même façon.

Si donc, il est possible de changer de constitution, que peut-on mettre dans une nouvelle constitution dans le but de prévenir les crises ?

Comme indiqué ci-dessus, les constitutions abordent désormais des sujets fondamentaux pour la stabilité du pays, pour son développement et pour le bien-être des populations. Il faut donc éviter de se concentrer sur les rapports entre les différents pouvoirs.

Une bonne constitution est un moyen de réduire le déficit de gouvernance dans un pays. Il est reconnu que les déficits de gouvernance dans les pays en voie de développement sont justifiés en grande partie par la faiblesse des institutions.

Les nouvelles constitutions élaborées au cours de ces dernières années prennent en compte la nécessité de doter les pays d'institutions fortes. A titre d'exemple, le Maroc a adopté une nouvelle constitution en 2011 en remplacement de sa constitution de 1996. Le tableau comparatif entre les deux constitutions, établi par les Autorités marocaines, fait ressortir que la nouvelle constitution prend notamment en compte la question de la bonne gouvernance qui préoccupe tous les dirigeants et tous les peuples aujourd'hui.

La constitution du Rwanda traite par exemple de la question du genre, de la défense du territoire national, du contrôle des finances publiques, etc.

Il s'agit simplement de donner quelques exemples de nouveaux sujets intégrés dans les constitutions.
On peut aussi se référer utilement aux constitutions du Viêt-Nam, de la Tanzanie, du Ghana, de l'Afrique du Sud, de l'Ouganda, de Singapour, etc. pour se rendre compte que notre constitution actuelle traite des questions classiques et traditionnelles des relations entre les Pouvoirs et ne constitue pas un moyen de construction et de préservation de la paix sociale. Les exigences de bonne gouvernance ont fait évoluer le contenu des constitutions. Il nous faut évoluer à notre tour. Il faut donc soutenir le projet de nouvelle constitution. C'est un projet destiné à donner à la Côte d'Ivoire un avenir meilleur que le texte actuel ne le permet. Les exemples donnés en lien avec l'expérience du Rwanda ou de l'Afrique du Sud le prouvent. Il ne serait pas normal que l'on laisse la Côte d'Ivoire rentrer à chaque fois dans une période d'incertitude générée par la constitution qui est censée garantir la stabilité du pays.

En dehors du contenu de la réforme en cours pour doter la Côte d'Ivoire d'une nouvelle constitution, la question se pose aussi de savoir si la rédaction d'une constitution doit être nécessairement confiée à une assemblée constituante.

Sur cette question, nos recherches révèlent que ce qui est important c'est de donner à la constitution une légitimité. Ainsi, dans certains cas, les pays ont eu recours à des assemblées constituantes et dans d'autres cas ils ont eu recours à des comités d'experts pour soumettre ensuite le document rédigé à l'approbation du peuple à travers un référendum. Nos recherches prouvent que la constitution de 1958 en France n'a pas été élaborée par une Assemblée Constituante mais bien par des experts et ensuite soumis à référendum.
J'ai eu la chance de côtoyer un professeur de droit constitutionnel sénégalais qui a souvent été mandaté pour appuyer des pays dans la rédaction de constitutions en qualité d'expert. Dans nos échanges, j'ai pu apprendre un tout petit peu sur la question des constitutions. Il ressort de nos entretiens, de mes propres recherches et des travaux auxquels j'ai participé avec des experts africains au cours du Xe sommet du MAEP à Addis-Abeba en 2010 que la qualité de la constitution d'un pays constitue un élément fondamental pour asseoir les bases d'une bonne gouvernance par des institutions fortes. Je pense modestement qu'en toutes circonstances les émotions doivent être mises de côté pour être capable d'apporter sa petite pierre à l'édification d'une Côte d'Ivoire paisible qui offre à ses citoyens la paix sociale et de meilleures conditions de vie au fur et à mesure de son développement.

Il résulte des développements ci-dessus qu'on peut changer de constitution en confiant les travaux à un comité d'experts et organiser ensuite un référendum pour obtenir l'approbation du peuple. Ceci constitue ma modeste contribution au débat actuel sur la rédaction d'une nouvelle constitution.

Docteur TRAORE Bakari
Avocat à la Cour
Consultant international
Expert en gouvernance