mercredi 19 octobre 2016 par Soir Info

Grâce à cet activiste panafricaniste, anti-impérialiste et surtout très médiatique, les partisans de l'ancien président ivoirien, Laurent Gbagbo, espèrent relancer le combat pour sa libération.

Ils ont bien du mal à remplir la salle du centre culturel de Skarpnâck, petit quartier populaire du sud-est de Stockholm, en ce début du mois d'octobre. Seuls une quarantaine d'Ivoiriens, exilés pour la plupart, ont fait le voyage pour le lancement de la pétition initiée par la section Scandinavie du Front populaire ivoirien (Fpi) réclamant la libération de leur ancien président Laurent Gbagbo. Mais ils ne sont pas peu fiers de leur invité d'honneur, l'essayiste franco-béninois Kemi Seba. Ils espèrent profiter de son aura médiatique pour inscrire leur combat dans une tendance fédératrice : celle du souverainisme. Pour Kemi Seba, Gbagbo est un cas d'école : Je garde une distance critique par rapport à lui. Mais sa place n'est pas à La Haye. J'ai l'impression que la justice internationale ne concerne que les pauvres. Quand je vois qu'Alassane Ouattara y a échappé ou que Nicolas Sarkozy se représente en France ... Il n'y a pas d'égalité au sens politique, explique- t-il. La libération de Gbagbo n'est pas une question d'idolâtrie, mais une question de souveraineté africaine!

Colonialisme. Après avoir publié trois essais (Supra Négritude en 2013, Black Nihilism en 2014 et Obscure Epoque en 2016) et animé, pendant deux ans, une chronique dans un talk-show au Sénégal, où il vit désormais, Kémi Séba est parvenu à populariser ses idées panafricaines et anti-impérialistes dans la région. Inlassablement, il dénonce les deux maux qui gangrènent, selon lui, les sociétés civiles africaines : le colonialisme exogène des Ong et des chancelleries occidentales et celui, endogène, des ploutocrates africains . Le franc Cfa, perçu comme un instrument de domination économique, en prend au passage pour son grade. Des arguments qui font mouche à chaque fois. Il cite Cheick Anta Diop, Patrice Lumumba, Thomas Sankara, et revendique une double filiation avec Marcus Garvey, chantre jamaïcain de l'union mondiale des Noirs, et René Guénon, penseur franco-égyptien qui lui a permis de comprendre la profondeur du drame capitaliste . Formé pendant sa jeunesse au sein de la branche française de la Nation of Islam (Noi), il a conservé les techniques oratoires qui ont fait le succès de l'organisation politico-religieuse américaine. Chacun de ses discours est un véritable prêche. Et ses jeunes auditeurs boivent ses paroles. Il y a des pays où les Africains sont fatigués de la dictature. Alors, ils sont prêts à tout pour en sortir, quitte à s'allier avec les chancelleries occidentales. Je comprends la douleur des êtres noyés dans le déni de leurs propres droits, mais je refuserai toujours de croire bon, le fait de s'allier avec les pires colons de l'humanité.

Pour Kemi Seba, l'ennemi a un nom : George Soros. Depuis quinze ans, le milliardaire-américain d'origine hongroise finance, avec son Open Society Initiative for WestAfrica, des initiatives contribuant à la promotion de la bonne gouvernance et des droits de l'homme, ainsi qu'à la lutte contre la corruption. Kemi Seba y voit un véritable noyautage des sociétés civiles. Ce ne sont plus simplement les dirigeants qui sont cooptés, explique t-il. On prend désormais des acteurs de la société civile, on les forme et ils véhiculent, sans s'en rendre compte, des règles et des normes internationales. C'est l'habillage du néocolonisalisme. Soros a financé les Femen, Y'en a marre, ponctuellement le Balai citoyen et certains blogueurs du Printemps arabe, qui étaient véritablement sincères mais ont fini par véhiculer des intérêts supranationaux. Son altercation sur le sujet avec Fou Malade, l'un des leaders de Y'en a marre, à la télévision sénégalaise en 2014, est restée dans les mémoires.

Mais c'est en partie à cause du malaise qu'elle a suscité: qu'il le veuille ou non, Kemi Seba y apparaît lui-même comme un étranger venu donner des leçons ...

Partout où il passe, Seba séduit, Seba agace. Fiché S, interdit de conférence en Allemagne, contrôlé systématiquement aux aéroports, il est dans le viseur des autorités européennes, et se présente volontiers comme un persécuté de l'establishment. Originaire de la région de Strasbourg, où il a très tôt été confronté au racisme, il a transformé sa douleur en art de la provocation. Dans les années 2000, il fonde la tyribu Ka, collectif radical et violent dissous par le gouvernement français en 2006 pour apologie de la suprématie noire. Il affiche avec fierté son antisionisme et sa proximité avec la fachosphère de l'Hexagone, alors incarnée par Dieudonné et Alain Soral, et fera en tout, quatre mois de prison ferme.

Aujourd'hui, affirme-t-il, ces luttes franco-francaises ne le concernent plus. "Depuis que je suis en Afrique, j'ai donné une autre dimension à mon combat, j'ai dépassé la vision du méchant Blanc et de la victime noire. Mais la lutte contre la négrophobie reste un axe central de ses préoccupations. Il s'investit ainsi pleinement dans le combat de son ami Biram Ould Dah Abeid, président de l'Ong Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste (Ira), figure de proue du militantisme antiesclavagiste en Mauritanie, régulièrement dans le collimateur de Nouakchott. Pour donner corps à ses ambitions, il vient de lancer une Ong, Urgences panafricanistes, qui souhaite apporter une aide médicale et scolaire sur les terrains de conflit en Afrique, et ainsi faire contrepoids aux Ong occidentales. ... suite de l'article sur Soir Info