jeudi 3 novembre 2016 par lepoint.fr

Avec son 1,90 m, ses fines lunettes, son costume bleu sombre et son air juvénile mais sérieux, Abdourahmane Cissé aimante tous les regards. Photographes, hommes politiques, journalistes, hauts fonctionnaires : ils ont tous entendu parler du phénomène Cissé. C'était le 17 mai, avenue d'Iéna, dans les locaux parisiens de la Banque mondiale. Le ministre du Budget de la Côte d'Ivoire était venu convaincre les investisseurs internationaux de financer la croissance dans son pays. Cissé n'était pas seul, bien sûr, de nombreux autres ministres ivoiriens éminents étaient présents. Mais les bailleurs de fonds sont tombés sous le charme du jeune responsable politique, âgé de seulement 35 ans.

Cissé excelle dans l'art de vanter avec rigueur les atouts de la Côte d'Ivoire
Dans la capitale française, la Côte d'Ivoire a sécurisé ce jour-là 15,4 milliards de dollars pour ses investissements publics. Abdourahmane Cissé est à l'aise dans le petit milieu des argentiers du monde. Quelques semaines plus tôt, Cissé, symbole du retour des cerveaux de la diaspora ivoirienne dans leur patrie, se rendait à Washington pour disserter sur les investissements dans les infrastructures en Côte d'Ivoire. Le ministre, qui n'aime pas être qualifié de Macron ivoirien (il souligne qu'il a été nommé au Budget avant l'arrivée du Français à Bercy), se fait un plaisir et une spécialité de la vente des atouts de la Côte d'Ivoire ? où 77 % de la population a moins de 25 ans ? en dehors de ses frontières. En substance, le message est le suivant. Son pays est le champion toutes catégories de la croissance africaine. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : depuis 2011, la Côte d'Ivoire a enregistré en moyenne une croissance de 9 % ! Pour 2016, les prévisions font encore état d'un chiffre de 8,5 %. Et cela, alors que le continent africain est plombé par la conjoncture internationale et la chute brutale des cours des matières premières. La Côte d'Ivoire affiche la plus forte croissance du continent africain, devant la Tanzanie et l'Éthiopie.

Un parcours brillant, de Treichville à Londres
Né dans le quartier populaire de Treichville, à Abidjan, en 1981, Abdourahmane Cissé est le dernier garçon d'une fratrie de quatre enfants, qui exercent tous dans la finance : Mon frère aîné est chez Deloitte à New York, ma s?ur travaille pour le site financier Mataf, mon autre frère est auditeur et moi, le petit dernier de la famille, je suis ministre du Budget. Toujours les chiffres... s'enorgueillit-il. Avec un père ouvrier en bâtiment et une mère femme au foyer, le jeune Abdou grandit dans une famille où la valeur travail compte énormément. Ma mère n'a pas fait d'études, mais je ne l'ai su que très tardivement. Elle nous a toujours poussés vers l'excellence à l'école. Mais je pensais qu'elle comprenait nos devoirs, nos exercices... En réalité, ce n'était pas le cas. C'est fou confie-t-il, encore imprégné par cette atmosphère très studieuse.

Abdourahmane Cissé est un pur produit de l'école ivoirienne. École primaire à Vridi Collectif, collège à Port-Boüet, études secondaires au lycée de Grand-Bassam (bac C, mention bien). À 18 ans, il déménage à Paris pour intégrer une classe préparatoire. Il passe le concours de l'École polytechnique. Admis. Promotion X 2001, en tant qu'élève étranger. Il décroche en 2004 un diplôme d'ingénieur option mathématiques appliquées. Le jeune diplômé s'envole ensuite pour les États-Unis, où il suit un double programme de l'université d'Oklahoma et de l'Institut français du pétrole. Il en sort avec un master en sciences économiques et gestion des ressources pétrolières. Mais alors, pourquoi avoir opté pour la finance ? Un pur hasard. J'avais des facilités en mathématiques, et je voulais prendre des risques. Direction Londres. Après une série de... 19 entretiens, Adbourahmane Cissé est embauché par la banque d'affaires Goldman Sachs. D'abord en tant qu'analyste, puis il devient très vite trader et occupe enfin un poste de directeur exécutif chargé du trading sur les indices de la zone euro.

Une vie à 100 à l'heure chez Goldman Sachs
Il passe six ans au sein de ce département, vit à 100 à l'heure, profite de la pluie de bonus que lui offre son statut. Je vivais comme tout trader, c'est-à-dire à fond , avoue-t-il avant de poursuivre : Je gagnais très bien ma vie chez Goldman Sachs à Londres, mais je voulais apporter quelque chose à mon pays. Son destin bascule au mois de juin 2011. Abdourahmane Cissé est en vacances à Abidjan. Le plus fort de la crise postélectorale (née de la lutte pour le pouvoir entre Laurent Gbagbo, l'ancien président, et Alassane Ouattara, nouvellement élu à la fonction suprême) est passé. Le président Ouattara vient de prêter serment. Le calme politique revient progressivement et, avec lui, l'embellie économique. J'ai été frappé par le dynamisme du pays, se souvient Abdou Cissé. Cela faisait un moment que je songeais à rentrer. J'avais cette envie, mais j'attendais un leader avec une vision comme le président Alassane Ouattara. C'est sans doute une déformation professionnelle, le pro de la finance a observé le pays, évalué les risques et pris sa décision.

Le ministre du Budget recommande aux multinationales qui remportent les appels d'offres d'accorder 30 % de leurs sous-traitances à des PME locales.
Le tournant de 2011 : Cissé rentre au pays
De retour à Londres après ses vacances, il présente sa démission. Réaction de son patron : Où allez-vous ? JP Morgan ? Morgan Stanley ? Il lui répond : Non, je rentre en Côte d'Ivoire. Interloqué, le supérieur du jeune trader tente de le retenir. Sans succès. Abdourahmane Cissé a déjà organisé son déménagement vers Abidjan et réservé son avion. Je n'ai jamais considéré que je prenais un risque en rentrant chez moi. En dehors des questions matérielles, mon objectif est d'apporter quelque chose à mon pays. L'atterrissage à Abidjan n'est pas aussi simple que prévu. Cissé passe un an sans travailler. Il se cherche une activité, planche sur la création d'un fonds d'investissement. ... suite de l'article sur Autre presse