mercredi 9 aout 2017 par Pôle Afrique

Épisode 1 : Le faussaire, les corrompus et les enfants-serpents

Enfant-serpent ! Qui n'a entendu parler de ces enfants, qui, dans les villages, sont accompagnés , c'est-à-dire éliminés, car ils seraient source de malheur ? En fait, souffrant souvent d'une maladie génétique, les enfants handicapés psychiques ne sont en rien source de malheur ou de richesse. Une association de parents, convaincus que quelque chose pouvait être fait pour ces enfants, a su toucher le c?ur paternel de feu le Président Félix Houphouët-Boigny. Durant des années, une assistance a été apportée à ces enfants dans un centre spécialisé géré par cette association, l'Institut médico-pédagogique de Vridi Cité. Le terrain sur lequel était bâti cet institut était malheureusement dans le viseur de certaines personnes. L'une d'elles a réussi avec habilité à intégrer l'association des parents d' enfants handicapés psychiques et à s'y arroger tous les droits. Sous couvert de don de soi , cet individu va réussir à soustraire le terrain à l'association, détruire les acquis de plusieurs années de travail et d'amour et vendre ce terrain, à son profit, à un groupe industriel. Il n'a, bien sûr, pas agi seul. Il lui a fallu bien des complicités administratives qui ont fait disparaître toute trace du terrain dans les fichiers de la gestion des terrains publics. Bienvenue dans la Côte d'Ivoire de la concussion où le handicapé, de par sa place dans la société et sa faiblesse, ne pèse pas lourd !

Les espoirs d'une Association

Laeticia Koffi et Yvon Tiémélé, aînés de deux familles, auraient bien voulu faire comme les autres . Jouer, courir, sauter, se déplacer seuls loin de la cour familiale, s'exprimer pour se faire comprendre. Si Laeticia Koffi y parvient et fréquente le centre catholique de la s?ur Marie Eugénie, à Angré Mahou, à quelques encablures du commissariat du 22è arrondissement, ce n'est pas le cas pour son ami Yvon Tiémélé, autonome dans les actes du quotidien mais incapable d'articuler, selon sa mère, Pierrette, un son audible et compréhensible. Les s?urs qui ont accepté ma fille ont sauvé Laeticia d'une mort lente , soutient Traoré Maïmouna épouse Koffi, sa mère, qui remercie Dieu de lui avoir épargné les cas graves d'enfants trisomiques. Comme eux, une centaine d'enfants fréquentait l'Institut Médico-Pédagogique de Vridi (IMP) qui deviendra plus tard l'Institut Médico-pédagogique et professionnel de Vridi-cité, créé à l'initiative de l'Association Ivoirienne des Parents d'Enfants Handicapés Psychiques, en 1971. Dans ce centre d'encadrement qui bénéficiait du soutien financier du président Félix Houphouët-Boigny à hauteur de trente (30) millions FCFA l'an, les enfants s'épanouissaient. Rien ne leur manquait en termes d'encadrement, suivi par le Ministère de l'Emploi et des Affaires Sociales en cette période. Tout se passait au mieux avec le concours de bonnes volontés qui faisaient des dons à l'association et à l'institut. La Lonaci a ainsi offert une école, le Centre Don Orione et l'ex-43è BIMA ont répondu à l'appel, l'ONG Servir également. L'élan de générosité autour de ces enfants vivant avec un handicap spécial était fort. Le souci de l'insertion professionnelle conduit à la création d'un volet professionnel, faisant de l'IMP, un Institut médico-pédagogique et professionnel. Mon fils Yvon aimait bien l'aviculture, il y avait l'atelier de menuiserie, un salon de coiffure, le jardin potager pour ceux qui aimaient le travail de la terre , raconte Pierrette Tiémélé. Le décès du président Houphouët-Boigny a mis à nu les limites financières de l'Institut qui ne fonctionnait plus que sur les cotisations parentales alors que le nombre d'enfants à gérer n'avait cessé d'augmenter. C'est comme cela que nous nous sommes tournés vers la mairie de Port-Bouët , explique Pierrette Tiémélé. L'IMP plongeait au fil du temps car le ministère, considérant que c'était de l'argent jeté par la fenêtre, avait décidé de réduire la subvention. De 30 millions FCFA du président Félix Houphouët-Boigny, on en est arrivé à 15 millions FCFA puis, plus rien. Nous nous sommes rabattus sur la mairie de Port-Bouët car le nombre d'enfants, venant de tous les milieux sociaux, augmentait. Nous avons espéré un vrai changement dans la gestion avec l'arrivée de cet homme qui nous avait été présenté par Hélène Haddad (NDLR ? une maman de l'association) et qui paraissait tout savoir. Or, il avait vu l'argent à prendre et à se faire sur le dos de nos pauvres enfants , relate Pierrette Tiémélé. Qui est cet homme qui a fait déchanter les parents ?

Man?uvres et décadence



Codjia Aboudo Nicolas Augustin. Un fait, a priori banal, en dit long sur sa personnalité. Ma fille avait peur à l'IMP , confie Traoré Maïmouna épouse Koffi. Conséquence, à partir d'un moment, Laeticia a refusé de se rendre à l'Institut. Un jour, le chauffeur est venu la chercher et elle ne voulait plus partir. Nous avons découvert le site de l'école en chantier, mal entretenu, avec des cloisonnements partout, alors que le prix de la scolarité montait. Nous avons décidé de retirer nos enfants , se rappelle la mère de Laeticia.

Je l'ai retirée et elle était dès lors obligée de rester à la maison avec la servante. Elle commençait à mourir à petit feu, car, en tant qu'aînée, elle se voyait délaissée. Elle est tombée malade avec perte de connaissance à cause d'une fissure au cerveau. Elle tombait et perdait connaissance. Nous avons fait deux ans de traitement, elle a failli perdre la vue mais elle me disait ça va aller raconte Mme Koffi. Qui accuse : Sans Codjia, avec les spécialistes de l'Institut, Laeticia aurait été autonome depuis longtemps. Il a tout coupé, chacun s'est retrouvé avec son enfant sur les bras, souvent pour des parents, sans moyens financiers. On n'avait pas de voix. Des enfants sont restés livrés à eux-mêmes car les parents n'avaient rien.

PoleAfrique.info est allé à la rencontre de Béatrice Attoungbré qui était, par une décision judiciaire faisant suite à la procédure engagée par les parents contre le Sieur Codjia, sensée un temps assurer l'intérim de la présidence de l'Association ivoirienne des parents d'enfants et amis d'enfants handicapés psychiques. Elle a tout perdu à Vridi, magasin, enfant handicapé psychique, espoir. Elle vit désormais chez son frère à Abobo. Jusqu'aujourd'hui, j'ai encore de la peine pour mon pays. Mon fils ne vit plus mais je ne supporte pas l'injustice. J'ai tout perdu, j'ai vendu mon magasin pour financer les démarches judiciaires. On a gagné tous les procès (NDLR ? contre Codjia) mais à la dernière audience, le greffier m'a appelée et dit que le juge réclamait encore 1 million FCFA . Sollicité par l'association des parents d'enfants handicapés psychiques dans cette bataille judiciaire, le maire d'Attecoubé, Danho Paulin Claude, a offert généreusement 500 000 FCFA aux parents pour les aider à payer les honoraires d'un avocat. Pour moi, Codjia est un criminel dénonce-t-elle.

Cette mère meurtrie relève que des parents d'enfants handicapés psychiques cachent les enfants jusqu'à leur mort . Dans la Côte d'Ivoire émergente, faire un enfant handicapé, sur lequel le regard des autres se porte, les commentaires désobligeants fusent, reste le comble de la honte. L'IMP manque.

Arrivé en 1998 à l'Institut, Codjia Aboudo Nicolas Augustin avait, lui, une autre vision de la gestion de ce terrain de 7.200 mètres carrés, sur lequel était bâti l'Institut. Il lui fallait créer les conditions d'un déguerpissement de tous les pensionnaires, un retrait des agents salariés et un désintérêt des fonctionnaires. Un plan méticuleusement mené, jusqu'à la vente du terrain, 100 millions FCFA, le 16 août 2011. Codjia Aboudo Nicolas Augustin, devenu entre-temps, mystérieusement, Docteur Codjia Augustin, signe la transaction au terme d'une Assemblée Générale ordinaire et extraordinaire tenue la veille, qui décide de la vente du terrain et donne pleins pouvoirs au Docteur Codjia Augustin, Président du conseil d'Administration. Nommé, donc, en qualité de liquidateur pour la vente de la parcelle de 7200 mètres carrés de Vridi, faisant l'objet du titre foncier n°66.181 de la Circonscription Foncière de Bingerville en date du 18 mars 1992 et accordant la jouissance à l'Association Ivoirienne de Parents d'Enfants Handicapés Psychiques (AIPEHP).

Vu les statuts de l'AIPEHP, vu le transfert du siège accepté par l'ensemble des membres de l'AIPEHP à Grand-Bassam, transfert qui est effectif depuis le 10 mars 2010. Vu l'état de dégradation avancé des travaux de construction des bâtiments sis à Grand-Bassam, vues les difficultés, l'Assemblée Générale décide l'arrêt de toutes réunions de l'Association jusqu'à ce que l'opération de la vente du terrain par le liquidateur soit effective , lit-on dans le rapport de l'Assemblée Générale du 15 août 2011. Le sceau de la légalité de cette désignation de Codjia Aboudo Nicolas Augustin est donné par Me Agathe Ayena Bene-Hoane, notaire en charge de la vente du terrain.

Courrier déposé à son étude, e-mail envoyé, multiples coups de fil n'ont pu inciter la notaire, Me Agathe Bene-Hoane, à sortir de son silence, pour nous éclairer sur cette transaction. Le ministère des Infrastructures Economiques avait-il déclassé ce terrain public, dont il dépendait, pour le mettre dans le patrimoine privé de l'Etat et opté pour une cession à tiers avec un arrêté en bonne et due forme ? Un courrier de sauvetage adressé à Amédée Kouakou, le ministre va lui aussi vouloir la vérité sur cette transaction. Le service contentieux du ministère des Infrastructures Economiques par la voix de M. Tahi demande une visite du terrain en compagnie de PoleAfrique.info. La société SIFPLAST qui a acheté le terrain 100 millions FCFA, a préféré, elle-aussi, le mutisme.

Comme le révèle notre enquête de plus de 9 mois, le sort des enfants handicapés psychiques n'était pas la priorité de Codjia, ou plutôt, Docteur Codjia Augustin . Dans cette affaire, l'adjoint au maire de Port-Bouët, Traoré Karim, est cité dans un rapport officiel. Quel aura été son rôle ? Après la vente du terrain, SIFPLAST a démarré une activité industrielle. La procédure exige qu'une étude d'impact environnemental et social soit réalisée au préalable, pour le compte du Ministère de l'industrie. Pour le terrain qui nous occupe, c'est Envitech-CI, cabinet spécialisé indépendant, qui s'en charge. Le rapport d'Envitech-CI du 23 janvier 2014, signé de Bogui Daniel, présente l'adjoint au maire comme témoin oculaire habitant la cité de Vridi-douanes depuis 1972. Il a vu l'Institut Médico-pédagogique s'installer en ces lieux. Il y raconte l'odyssée de l'IMP et conclut que la durée de vie des enfants handicapés étant courte, ces derniers décédaient régulièrement. Malheureusement, PoleAfrique.info n'a pu en dépit des multiples courriers, jamais croiser Traoré Karim pour lui demander sur quelles statistiques il se basait pour son affirmation. Tantôt absent, tantôt occupé à rendre propre la commune de Port-Bouët, selon le Secrétaire Général de la mairie, il n'a jamais accepté de nous rencontrer. Ces enfants-serpents qui, selon la tradition encore tenace dans nos contrées, portent malheur, ont plutôt vu le malheur tomber sur eux, à Abidjan, sacrifiés sur l'autel de la cupidité d'individus malveillants.

Adam's Régis SOUAGA

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