mardi 27 juin 2017 par Jeune Afrique

L'ancien chef de l'État reste un acteur majeur de la scène ivoirienne. Mutineries, grogne sociale, présidentielle de 2020, affaires judiciaires Sur toutes ces questions, le Sphinx de Daoukro a un avis tranché. Entretien exclusif.

Que peut-on encore attendre de la vie quand, à 83 ans, on a derrière soi un demi-siècle de carrière politique, dont six années à la tête de son pays et douze au perchoir de l'Assemblée, connu les fortunes du pouvoir, la brutalité d'un coup d'État et l'infortune de l'exil ? Peu de chose, si ce n'est une retraite confortable, le respect de ses compatriotes et l'espoir que le jugement de l'Histoire sera équitable.

Sur le premier point, l'homme qui nous reçoit, bon pied bon ?il, dans son vaste appartement du 16e arrondissement de Paris, n'a visiblement pas à se plaindre. Sur le deuxième, Alassane Ouattara, avec qui il entretient d'excellentes relations, veille avec soin : rarement président en exercice aura manifesté autant d'égards envers l'un de ses prédécesseurs, fût-il de six ans son aîné.

Quant au troisième, c'est encore un mystère, car nul ne sait quelle image la postérité retiendra du Sphinx de Daoukro : celle d'un acteur majeur, à certains moments cruciaux, de la paix en Côte d'Ivoire ou celle d'un homme d'État débonnaire et dénué de charisme, trop tôt pétrifié par les enjeux du pouvoir. Si l'on hésite, c'est que la fin de l'histoire n'est pas écrite.

Henri Konan Bédié n'est pas de ces baobabs qui se laissent facilement abattre, et celui qui demeure le chef du PDCI, deuxième parti politique de Côte d'Ivoire, entend bien être incontournable quand se jouera, d'ici à 2020, la succession d'Alassane Ouattara. Comme un rappel permanent de l'engagement que ce dernier aurait pris à son égard : le prochain président sera issu des rangs du parti historique fondé il y a soixante-dix ans par Félix-Houphouët Boigny, ou ne sera pas.

Jeune Afrique : Mutineries, grogne sociale, grève des fonctionnaires, crise dans l'agrobusiness, crise du cacao La Côte d'Ivoire aura vécu une première moitié d'année 2017 particulièrement compliquée. Cela vous inquiète-t-il ?

Henri Konan Bédié : D'une façon générale, les perspectives de la Côte d'Ivoire sont bonnes. Après les grandes convulsions de 2010, la paix est revenue de manière durable. Le pays enregistre une croissance de plus de 9 % par an, et les investisseurs maintiennent leur confiance. Le récent succès de l'emprunt lancé sur le marché international en est la preuve.

Quant à la chute des cours du cacao, personne n'en est responsable, si ce n'est le marché international. Cela n'est imputable ni au gouvernement ni à Alassane Ouattara. D'ailleurs, le cacao n'est pas la seule matière première à avoir vu son prix chuter. Concernant les mutineries, j'ai condamné cette manière inacceptable de revendiquer bruyamment et par les armes.

Mais cette situation est un peu la suite des événements qui ont conduit à la crise postélectorale de 2010-2011. Quoique, si l'on voulait relater l'histoire, il faudrait remonter plus loin, notamment à 1999, lorsqu'un coup d'État a été perpétré contre mon régime et que je me suis retrouvé en exil, ici, à Paris.

C'est la réalité du terrain qui impose les solutions
La décision de rémunérer les mutins était-elle justifiée ?

Oui. Je crois que le gouvernement a fait ce qu'il fallait compte tenu de l'ampleur du mouvement. C'est la réalité du terrain qui impose les solutions.

Mais l'image du pays a été brouillée par ces mutineries à répétition. Et la manière dont l'État a réagi a été interprétée comme un signe de faiblesse

Je ne partage pas ce point de vue. Bien sûr qu'il faut agir avec souplesse dans ce genre de situation. Ceux qui critiquent n'avaient qu'à être à la place du gouvernement.

Comment qualifieriez-vous vos relations avec Alassane Ouattara ?

Elles sont excellentes.

Pendant la crise des mutineries, vous a-t-il consulté ?

Absolument, nous avons régulièrement échangé et j'ai pris position pour le soutenir.

Y a-t-il un malaise dans l'armée ivoirienne ?

Certainement. J'espère que les mesures prises y mettront fin.

Six ans après la fin de la crise postélectorale, personne ne semble la contrôler

C'est un peu trop dire. Cela supposerait que ce soit l'anarchie totale.

Certains éléments ont refusé d'obéir aux ordres qui visaient à mettre fin au mouvement. N'est-ce pas préoccupant ?

Sans doute, mais on peut l'expliquer par le fait que tous entendaient bénéficier des retombées des revendications présentées par leurs collègues.

L'irruption de l'armée dans la vie politique remonte à votre chute, en décembre 1999. On a l'impression que le problème n'a jamais été réglé

Effectivement. Ce problème est resté latent et même récurrent. On a ouvert la boîte de Pandore ce jour-là. J'avais prévenu que, après un coup d'État, il y en aurait un autre et que rétablir la confiance générale prendrait beaucoup de temps.

Depuis la découverte d'une cache d'armes dans une résidence appartenant à l'un de ses proches, votre jeune frère Guillaume Soro est dans la tourmente Quel regard portez-vous sur cette affaire ?

Guillaume Soro est mon protégé. Lui qui a revendiqué la paternité de la rébellion pour mettre fin à la dictature de Laurent Gbagbo vient de lancer un appel à la réconciliation. À ce titre, il a beaucoup de mérite. Mais, comme on dit, il est plus facile de faire la guerre que la paix. Cela dit, je lui fais confiance. ... suite de l'article sur Jeune Afrique