lundi 28 aout 2017 par Pôle Afrique

Les fonctionnaires de Côte d'Ivoire, détenteurs d'un matricule de paie, ne sont pas tous au travail. Si certains sont rémunérés pour leur rendement, d'autres débarqués de leurs postes pour des raisons politiques, continuent de percevoir aussi leurs salaires. Des compétences inexploitées et de l'argent jeté par la fenêtre.

Boua Diarrassouba a été débarqué de son poste de Directeur Régional du Ministère de l'Emploi et de la Protection Sociale à Korhogo. Normal que l'administration se bonifie avec de nouvelles compétences car Boua Diarrassouba occupe ce poste de Directeur régional depuis 2005. Bien avant, il était en service dans la ville de Korhogo. Qui est cet homme? Le père du jeune activiste des réseaux sociaux, Kader Diarrassouba du service communication du Président de l'Assemblée Nationale, Guillaume Soro. Militant RDR, il lui serait reproché de ne pas museler son fiston qui fait feu de tout bois dans la guéguerre RDR-FN. Bien avant Boua Diarrassouba qui n'est pas réaffecté à un autre poste équivalent à son niveau, Mamadou Traoré a connu la chute. Militant RDR pro-Soro et conseiller technique du Pr Mariétou Koné, il a appris son débarquement, sous pression. Loin de cette période de limogeage tous azimuts, le PDCI et le FPI se sont donnés à coeur joie à cette chasse aux fonctionnaires supposés de sympathie pour Alassane Ouattara ou le RDR. Nordiste ou pas, ils étaient des centaines à avoir été placardés à la maison par ces régimes.

Les fonctionnaires d'État dont il est question, ont occupé de hautes fonctions dans l'administration publique, pour ensuite être débarqués. Ils ne sont pas radiés de la fonction publique, mais demeurent persona non grata dans leurs services respectifs pour des raisons politiques. Ce qui ne suspend pas pour autant, leurs salaires. Des fonctionnaires payés à ne rien faire et des millions dépensés chaque année voici le dilemme de l'Etat. Un gros manque à gagner tant financier qu'opérationnel posant du coup le problème du fonctionnement efficient de l'administration ivoirienne.

L'État perd effectivement de l'argent car je pense qu'un fonctionnaire qui a occupé un haut poste dans l'administration peut toujours servir. Mais, on le paye à ne rien faire et nous sommes nombreux dans ce cas. Pourtant, lorsqu'un fonctionnaire est débarqué du poste de responsabilité qu'il occupait, on le remet normalement à son ministère qui se doit, de lui trouver un autre poste, où le cas échéant, en créer en fonction de son statut. Mais en Côte d'Ivoire, ce n'est pas le cas révèle Mamadou Traoré , cadre de l'administration publique, débarqué pour son activisme sur les réseaux sociaux en faveur de Guillaume Soro.

Les raisons du débarquement des hauts fonctionnaires de l'État, de leurs postes, sont généralement politiques. Ils payent souvent le prix de leur appartenance à tel ou tel parti politique ou dans le cas présent interne au RDR, à la proximité supposée avec Soro. Une situation que déplore, Mamadou Traoré, qui estime que Ce n'est pas aujourd'hui que le politique intervient dans l'administration. Mais, je pense qu'on doit laisser les personnes compétentes faire leur travail, surtout quand elles savent le faire. Rester à la maison pour un fonctionnaire pourrait provoquer des problèmes de santé, hormis le fait que l'expérience de ce dernier n'est pas mis à profit par l'État regrette t-il.

L'une des causes qui expliquent le grossissement de la masse salariale qui est passée de 800,3 en 2010 milliards à 1331,6 milliards en 2016 selon le Système Intégré de Gestion des Fonctionnaires et Agents de l'État (SIGEFAE). Avec une augmentation significative des agents de l'État, dont le nombre est passé de 160.000 à 186.000 dans la même période. Parmi eux, des centaines perçoivent leurs salaires sans travailler. Et des raisons morales sont souvent évoquées pour leur non réintégration au sein des ministères.

J'ai occupé de hauts postes dans l'administration ivoirienne et aussi en Afrique. Je suis de retour depuis 2010 dans mon pays et chaque fois que je me rends dans mon ministère, on me dit, qu'il n'ya pas de poste pour moi eu égard aux hautes fonctions que j'ai eues à occuper. On ne peut pas me mettre plus bas que le poste que j'a exercé. Et jusque là je suis payé à ne rien faire. Une situation que je vis difficilement s'est confié à Poleafrique.info, un ancien haut fonctionnaire de l'État, sous le sceau de l'anonymat.

Un pro-RDR a bien accepté de raconter sa mésaventure avec le PDCI-RDA. Il a repris du service mais son limogeage lui ai resté gravé dans la mémoire.

Nous étions en 1994 et le RDR venait d'être créé. Je fus un des fonctionnaires à ne pas se cacher et à épouser les idéaux de ce parti. J'étais Inspecteur Général du ministère de la Santé et de la Protection Sociale sous la direction du Pr Alain Ekra. Plus tard, après la venue de Kacou Guikahué, il m'a reconduit jusqu'aux élections de 1995 qui ont abouti sur un nouveau gouvernement en 1996. Là, il y a eu scission des portefeuilles, la protection sociale rejoignant la Fonction publique pour être, le ministère de la Fonction Publique et de la Prévoyance Sociale. Je me suis donc retrouvé du côté de ce ministère, reçu par le ministre Atsin Achi qui m'a assuré que nous travaillerons ensemble. Mais, grande ne veut ma surprise d'être invité un jour à venir faire une passation de charges avec le nouvel inspecteur général nommé. J'ai demandé ce que je devais faire, et l'on m'a juste répondu: restez à l'écoute . Je suis resté à l'écoute, jusqu'au coup d'Etat de décembre 1999 et l'arrivée de Pr Bamba Moriféré qui m'a rappelé raconte ce militant RDR qui a implanté l'actuel parti au pouvoir, dans l'ancien département de Mankono. Lui au moins, a eu de la chance, car, en fonction actuellement.

Tel n'est pas le cas d'Abdoulaye Koné, une des personnalités du RDR de la région du Kabadougou, aujourd'hui au chômage sans être à la retraite de la Fonction Publique. A PoleAfrique.info, il raconte sa mésaventure avec le FPI et le RDR, le parti pour lequel il a payé le prix fort.

C'était en 2001. Lors des élections municipales, j'ai financièrement soutenu des candidats du RDR et des individus, se disant du RDR ont rapporté l'information au ministre Bohoun Bouabré. Très énervé car j'étais à un haut poste au Trésor Public, il m'a informé avoir décidé de me limoger et que si par extraordinaire, le RDR et son président parvenaient un jour à arriver au pouvoir, qu'ils me trouveraient un emploi. J'ai alors dit qu'en tant que fonctionnaire, que devrais-je faire: on va te nommer inspecteur vérificateur et te payer mais comme je n'ai pas de bureau pour toi, tu restes à la maison m'a-t-il répondu. Mon élection au poste de président du conseil général d'Odiénné pour le compte du RDR a conforté le FPI. Mais, après tout cet engagement, le RDR même ne me paye plus mon salaire. Il m'est demandé d'attendre une nomination avant de percevoir mon salaire. Donc, le FPI qui m'a suspendu me versait mon salaire et le RDR, pour lequel je me suis battu et ai été sanctionné, pour lequel j'ai perdu mon emploi, veut nuire à ma dignité car j'ai une famille se désole Abdoulaye Koné.

De l'avis de Maxime Sacko, consultant en économie, certains grands fonctionnaires ont su négocier leur statut catégoriel. On les appelle, les grands commis de l'État ou de l'administration. Normalement en l'état actuel des choses, ils ne devaient pas être mis au placard ou laissés à la maison, à ne rien faire. Ils doivent travailler et servir l'État à cause de leur niveau de compétence dans des domaines clés de l'administration d'un État. Il s'insurge contre la culture de l'incompétence au sein de l'administration ivoirienne. Ce sont ces hauts fonctionnaires là, qui devaient occuper les grands postes dans l'administration et dans les cabinets ministériels et non de piètres politiciens, qui ont eu pour remerciement un poste. Le manque à gagner est donc double. On continue de payer des gens à qui on interdit de travailler et on fait travailler des personnes incompétentes. Cela dénote de l'implication du politique dans l'administration, et c'est bien dommage achève l'économiste.

Le nombre exact de hauts fonctionnaires payés sans poste? Bien malin celui qui osera lever le voile sur une bêtise politique qui gangrène tous les partis politiques ivoiriens qui ont à c?ur de régler des comptes. Mais,la seule certitude est que leur mise à l'écart de l'action administrative et publique en Côte d'ivoire est un énorme manque à gagner financier pour l'État et partant une perte pour l'administration ivoirienne.

Eric Coulibaly

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