mardi 26 septembre 2017 par Jeune Afrique

En faisant d'Henriette Dagri Diabaté la nouvelle patronne du RDR, Alassane Ouattara a surpris tout le monde. Et brouille un peu plus les cartes à trois ans de la présidentielle.

On a tous été sonnés. Dans la bouche des caciques du Rassemblement des républicains (RDR), ces quelques mots reviennent sans cesse. Voilà des mois qu'ils préparaient ce rendez-vous. Ce congrès ordinaire, le premier depuis neuf ans, devait fêter le grand retour du chef de l'État à la tête de son parti. C'est lors des précongrès organisés en avril aux quatre coins du pays que la décision avait été arrêtée, entérinée par le bureau politique du RDR.

Face aux déceptions des militants, aux ambitions dévorantes de certains cadres et aux turbulences dans les relations avec leur allié, le Parti démocratique de Côte d'Ivoire (PDCI), seule la figure tutélaire d'Alassane Ouattara semblait encore à même de rassembler. Éventails, casquettes, tee-shirts ces dernières semaines, des milliers de produits et d'affiches à l'effigie du chef de l'État avaient été fabriqués. Samedi 9 septembre, pour l'ouverture du congrès, c'était encore lui qui faisait la une du journal spécialement créé pour l'occasion. Le grand jour ! titrait le bulletin distribué aux milliers de militants installés dans les travées du Palais des sports d'Abidjan.

Secret bien gardé

Le sacre était prévu pour le dimanche 10 septembre. Au dernier jour du congrès, tout ce que le RDR compte de cadres ? mis à part le président de l'Assemblée nationale, Guillaume Soro ? se presse sur la scène. Nul ne s'étonne alors qu'Alassane Ouattara n'ait pas été élu dans la nuit par les congressistes, comme le programme l'annonçait. Il y a eu du retard, explique-­t-on, ce sera fait dans les prochaines minutes. Le chef finit par prendre la parole. Au bout d'une heure, devant une salle stupéfaite, il renonce à la présidence, propose Henriette Dagri Diabaté, et la fait immédiatement élire par acclamation. En retour, celle qui est aussi grande chancelière de Côte d'Ivoire le nomme président d'honneur du parti. La sidération est sur tous les visages.

Ouattara adore surprendre. Il est sans doute très heureux de son coup ! commente un diplomate. Qui était au courant ? Amadou Gon Coulibaly, le Premier ministre, et Téné Birahima Ouattara, le frère du chef de l'État, devaient savoir, avancent leurs proches. Et c'est tout. Cela faisait des années qu'un secret n'avait pas été si bien gardé. De ses ministres aux membres du bureau politique du parti, tous doivent l'avouer : ils n'étaient pas dans la confidence.

Il a dribblé tout le monde ! reconnaît-on en tentant de chercher des signes avant-coureurs. Certains se souviennent de cette réunion, début août, et des mots du président. Ce jour-là, en présence de tout ce que le RDR compte de cadres, Alassane Ouattara avait émis quelques doutes : il avait affirmé ne pas souhaiter reprendre la tête du parti, sans expliquer pourquoi, tout en demandant à ses cadres de poursuivre leur réflexion.

Certains admettent aujourd'hui ne pas l'avoir pris au sérieux à ce moment-là, s'empressant d'oublier avant de partir en vacances. Plus jamais Alassane Ouattara ne leur en avait parlé. Le vendredi 8 septembre, alors qu'il réunit la ? nombreuse ? direction du RDR au petit palais présidentiel, il ne laisse rien paraître. Samedi 9, il reçoit encore plusieurs cadres tête à tête, dont Amadou Soumahoro, Adama Bictogo, Gilbert Koné Kafana et Ibrahim Bacongo Cissé, les quatre candidats au secrétariat général. Il consulte, réfléchit aux postes à attribuer. Mais la question de la présidence du parti n'est pas abordée. Il ne dit rien non plus aux ministres et aux diplomates venus dîner chez lui, à sa résidence de la Riviera-Golf.

À cet instant pourtant, la décision est prise. Il vient de l'annoncer à Henriette Dagri Diabaté, surprise elle aussi. Un coup de tête, une décision vraisemblablement prise à la dernière minute, dans la nuit de vendredi à samedi.

Si ce n'était pas lui, ce ne pouvait être qu'elle. Comme en 1998 à la mort de Djéni Kobina, lorsqu'elle a repris, au pied levé, le secrétariat général du parti et le combat contre Henri Konan Bédié, Henriette Dagri Diabaté est l'ultime recours. Pouvais-je dire non ? avait-elle lâché à l'époque. Et le peut-elle aujourd'hui ? Le RDR, c'est ma vie ! a-t-elle lancé sur la scène du Palais des sports.

S'il n'est pas redevenu président du RDR, c'est pour prendre la tête d'un parti unifié RDR-PDCI dans quelques mois , promet un ministre
Voilà plus de quarante ans que cette femme au port altier et au regard sûr est l'une des plus proches d'Alassane Ouattara. Ils se rencontrent dans les années 1970, lorsque le jeune banquier intègre la Banque centrale des États de l'Afrique de l'Ouest (BCEAO). Lamine Diabaté, ancien ministre d'Houphouët-Boigny, y travaille alors. Les deux hommes originaires d'Odienné, dans le nord-ouest du pays, se lient d'amitié, mais c'est bien avec sa femme, Henriette, qu'Alassane Ouattara va mener son combat. En 1990, lorsqu'il est nommé Premier ministre, il offre à cette intellectuelle le ministère de la Culture. Quatre ans plus tard, ils quittent le PDCI et créent le RDR.

Depuis cette époque, elle a maintes fois prouvé qu'elle était prête à tous les sacrifices. En 1999, elle sera d'ailleurs jetée en prison, seule avec les droits communs quand ses camarades sont ensemble, entre hommes. Femme de caractère, elle n'a jamais été une rivale. Une idéologue, oui, mais qui ne rêve pas à un destin présidentiel. La preuve : en 1995 et en 2000, lorsque Ouattara est empêché de se présenter aux élections, il songe un temps à elle, mais Henriette Dagri Diabaté balaie l'idée. Ouattara sait qu'il peut faire entièrement confiance à celle qu'il appelle affectueusement Tantie . Elle préfère qu'on la surnomme la grande royale , référence au personnage du roman de Cheikh Hamidou Kane, L'Aventure ambiguë : elle a autorité sur tous. Le président ne lui refuse rien , confie l'un de ses proches.

Les statuts prévoient que le président du RDR soit élu par le congrès. Ouattara a piétiné les textes et l'avis de tous. Ce ne sont pas des manières ! s'indigne un membre du parti
Depuis sa nomination, en 2011, par Alassane Ouattara à la grande chancellerie, cette militante mène une existence plus tranquille. Entre deux décorations, elle continue à suivre les activités du RDR, mais, à 82 ans, n'est plus de toutes les réunions et, endossant un rôle de sage, joue plutôt les médiatrices. C'est elle qu'on vient voir pour espérer avoir l'oreille du président. Consensuelle et respectée dans son propre parti, elle l'est aussi au PDCI, où elle a encore des amis. Elle n'est pas une intime d'Henri Konan Bédié, mais elle le voit régulièrement. Elle a même des liens avec les opposants du Front populaire ivoirien (FPI) et connaît bien leur leader : Laurent Gbagbo a été l'un de ses étudiants lorsqu'elle enseignait l'histoire à l'université d'Abidjan.

Rivalités relancées

Une expérience qui ne sera pas de trop pour la tâche qui lui incombe à présent. Pour son retour au premier plan, c'est un parti dans la tourmente qui l'attend. Ces derniers mois, les militants ont montré leur grogne, fustigeant des cadres coupés de leur base et peu reconnaissants depuis leur arrivée au pouvoir. Le congrès n'a pas apaisé les ressentiments. ... suite de l'article sur Jeune Afrique