samedi 6 janvier 2018 par L'expression

Interview

Khattab Bayyari (Chargé d'affaires de l'ambassade de Palestine) : Jérusalem ne pourra jamais être la capitale d'Israël .


Le transfert de la capitale des Etats-Unis à Jérusalem, l'échec du processus de la paix, la violence dans les territoires occupés, le rôle de la Côte d'Ivoire au sein du Conseil de Sécurité sont entre autres les sujets abordés par le chargé d'affaires de la Palestine.



Depuis la décision de Donald Trump de transférer l'ambassade des Etats-Unis à Jérusalem, la violence a repris en Palestine. Pourquoi cette réaction des Palestiniens ?

Ce sont des réactions normales parce que cela concerne Jérusalem qui possède une position très importante pour les musulmans et les chrétiens de la Palestine. La décision de Trump viole toutes les résolutions des Nations-Unies. Et, il est évident que le monde arabo-musulman et même chrétien se mette en colère contre cette décision qui viole toutes les résolutions internationales. Jérusalem occupe une position très importante et très particulière dans ce monde. Donc la réaction des Palestiniens est tout à fait normale. Ce ne sont pas des actes de violence mais les gens se révoltent contre une décision injuste. La violence se représente par la décision de Trump et non pas par la réaction du peuple palestinien. C'est la décision de Trump qui a provoqué toutes les réactions qu'on observe aujourd'hui en Palestine. Malgré tous les conseils qui lui ont été donnés par de nombreux présidents du monde et même ses conseillers politiques, il a quand même pris cette décision. Il n'a pas respecté la volonté du monde et de ses conseillers.

On avait pensé qu'il aurait une 3e Intifada à la suite de l'appel à manifester du président de l'Etat palestinien, Mahamoud Abbas. Au début, il y a eu quelques mouvements qui ont vite cessé. La 3e Intifada n'a pas eu lieu. N'est-ce pas un désaveu pour les dirigeants palestiniens ?

Le président Mahamoud Abbas n'a pas appelé à une 3e Intifada.

On constate que les jeunes palestiniens attaquent les Israéliens avec des pierres. En retour, ce sont les balles qu'ils reçoivent des soldats israéliens. En appelant à la révolte, ne pensez-vous pas que vous envoyez les jeunes palestiniens à l'abattoir ?

Il faudra poser cette question aux Israéliens. Ce n'est pas la faute aux autorités palestiniennes parce qu'Israël ne doit pas utiliser la force face à un pays qui n'a pas d'armes ou un enfant qui lance des pierres. Il est tout à fait normal que le peuple palestinien se révolte contre une décision qui viole les résolutions des Nations-Unies, et ses droits dans son pays. Alors cette question doit être posée aux Israéliens. Il ne faut pas répondre avec la force contre des manifestations pacifiques d'un peuple qui n'utilise pas d'armes. Il faut noter que les manifestions contre cette décision se sont déroulées un peu partout dans le monde. Les gens sont sortis un peu partout dans le monde pour rejeter la décision du président américain. Et, et il est évident que la Palestine soit au premier rang, la première à organiser ces manifestations pour exprimer sa colère.

A chaque manifestation, ce sont des Palestiniens qui sont tués. Est-ce qu'il ne faut pas changer cette manière de protester ?

Les autorités palestiniennes ont choisi la voie de la paix et ont accepté l'accord d'Oslo. Son Excellence, Monsieur le président Mahamoud Abbas a toujours exprimé son rejet de la violence. Il a toujours indiqué qu'il faut avoir la paix à travers les négociations. Mais personne ne peut freiner la colère d'un peuple qui combat pour ses droits. Nous insistons encore une fois pour dire que la décision des autorités palestiniennes, est l'obtention de la paix à travers les négociations. Mais aujourd'hui, l'administration américaine ne peut plus jouer le rôle du médiateur parce que le président Trump a décidé de prendre parti dans ce conflit.

Les Etats-Unis ont décidé de transférer leur ambassade à Jérusalem. Ils ont été suivis dans cette démarche par le Guatemala. Le Premier ministre isarélien Nettenyahou affirme que dix autres pays seraient prêts à suivre les Etats unis. A ce rythme, la ville de Jérusalem finira par devenir la capitale d'Israél ?

Jérusalem ne pourra jamais être la capitale d'Israël. C'est ce que l'Assemblée générale a décidé avec son vote. Le jeudi 21 décembre 2017, 128 pays ont voté contre cette décision de Trump. Parmi ces pays, il y a la Côte d'Ivoire que nous remercions vivement pour son vote. C'est la volonté du monde entier. Vous avez certainement entendu des menaces américaines qui tentaient d'empêcher les pays à voter pour cette résolution. Malgré cela, seulement sept Etats ont voté avec les Américains. Nous savons tous que ces pays reçoivent des aides financières de l'Amérique. Le Guatemala a pris une position fautive. Ces pays sont influencés par les Etats-Unis et sont sous pressions. Mais sept pays ne peuvent pas changer la volonté du monde entier.

Donald Trump a menacé de suspendre l'aide américaine à tous les pays qui voteront contre son pays à l'Onu. Est-ce que cette menace ne poussera pas d'autres pays à transférer leur ambassades à Jérusalem ?

Le vote est déjà passé à l'Assemblée générale de l'Onu. Et, certains se sont abstenus pour se protéger de ces menaces. Nous les comprenons, mais cela ne pourra rien changer. Ce sont plus de 128 pays qui ont voté en faveur de la résolution. Les pays qui se sont abstenus ne sont pas forcément pour la décision américaine. La grande majorité des pays du monde a condamné la décision du président américain. Egalement au Conseil de sécurité de l'Onu, ce sont 14 pays sur 15 qui ont condamné la décision du président Trump. Et cela est très important parce qu'il s'agit des pays les plus puissants du monde. C'est seulement les Etats-Unis qui ont utilisé leur droit de véto. Ce vote aux Nations-Unies a isolé les Etats-Unis qui se sont placés du mauvais côté de l'histoire. Les Etats-Unis avaient eux-mêmes voté en faveur des résolutions concernant le statut de Jérusalem. Mais cette fois-ci, ils ont changé de position. Aujourd'hui, ils contredisent toutes les anciennes résolutions qui ont été prises et violent la légitimité de toutes les résolutions des Nations-Unies. Toutes les grandes organisations du monde entier, notamment l'Union Africaine, l'Union Européenne, le Vatican, l'Organisation de coopération islamique (OCI) ont toutes condamné cette décision.
Si les Etats-Unis ne changent pas de position, quelle sera la stratégie mise en place par les Palestiniens pour faire bouger les lignes en leur faveur ?

La Palestine ne peut pas contraindre les Etats-Unis à faire quelque chose. Nous n'avons pas la force pour cela, mais nous tirons notre force de la communauté internationale qui doit obliger tout le monde à respecter les résolutions des Nations-Unies. Le président Trump a pris cette résolution sous les instructions des hommes d'affaires américains. Nous savons que dans les instances de décisions américaines, il y a des personnes qui savent à quel point cette décision de Trump est risquée et dangereuse. Il prétend que sa décision a été prise pour se soumettre à la réalité , mais cette réalité ne peut pas annuler la légitimité internationale. Nous ne pouvons pas céder juste parce qu'il y a une réalité sur le terrain. Les expériences ont montré que la volonté d'un peuple peut annuler toutes les réalités. Beaucoup de peuples ont souffert de l'occupation. Parmi ces peuples, il y a nos frères de l'Afrique. La colonisation de l'Afrique était aussi une réalité mais cela n'a pas empêché ces peuples de rejeter cette occupation, de la combattre afin d'accéder à l'indépendance. Nous suivons aussi cet exemple, l'exemple de ces peuples qui ont tant combattu pour obtenir leur indépendance. Le peuple palestinien est présent en Palestine depuis plus de 5.000 ans. Et, cette réalité qui a duré 73 ans n'annule pas le droit du peuple palestinien à l'indépendance et à la liberté. L'Algérie a été occupée pendant plus de 130 ans mais elle a pu obtenir son indépendance grâce à la volonté de son peuple. Elle n'a pas cédé.
Pensez-vous le vote de cette résolution peut changer l'attitude des Israéliens vis-à-vis du statut de Jérusalem ? L'Etat hebreux n'a jamais respecté une résolution des Nations unies.
Israël est une force d'occupation. Les Israéliens peuvent, par la force, exiger ce qu'ils veulent comme les colonies qu'ils construisent sur les territoires palestiniens. Les Palestiniens qui ont choisi la voie de la paix, ne peuvent que s'adresser aux Nations-Unies et à la légitimité internationale. Israël est un Etat hors-la loi qui viole la légitimité internationale. Nous demandons à la communauté internationale d'obliger Israël à appliquer de toutes ces résolutions. Ce rôle doit être celui de la communauté internationale qui doit demander à Israël de respecter toutes ces résolutions.

Qui dit communauté internationale, dit les Etats-Unis qui soutiennent Israël. Qui va demander à Israël d'appliquer ces multiples résolutions ?

Certes, les Etats-Unis sont aujourd'hui une grande puissance mais elle n'est pas la seule. L'Union européenne joue un rôle de plus en plus important. Il y a également la Russie et la Chine. Les Etats-Unis ne peuvent continuer à tout imposer. Nous avons confiance en la communauté internationale et aux grandes puissances pour imposer le respect de la loi internationale et obliger Israël à respecter les résolutions prises par les Nations-Unies.

Les Israéliens disent que les Palestiniens ont raté par deux fois l'offre de paix qui leur a été proposée sous les Premiers ministres Ehud Barack et Ehud Olmert Pourquoi les Palestiniens n'ont pas accepté la main tendue des Israéliens en 2002 et en 2008 ?

Ces paroles sont des mensonges et Israël est habitué à lancer des mensonges. L'Israël n'a jamais tendu la main pour la paix. Si les Israéliens veulent vraiment la paix, il n'y a qu'une seule solution : c'est de se retirer des territoires palestiniens qui ont été occupés en 1967 et de Jérusalem-Est. Depuis 20 ans, après les accords d'Oslo, les colonies israéliennes sur les territoires palestiniens occupés en 1967 ont été multipliées par deux. Et, cela montre que les Israéliens ne veulent pas de la paix. Ce pays a toujours bénéficié des périodes de négociations et de calme pour voler les territoires palestiniens. Et toutes les offres faites par les Israéliens ont été faites sans Jérusalem-Est. Elles ne respectaient pas le statut de Jérusalem. Ils doivent comprendre que la cité de Jérusalem est sacrée pour le monde arabo-musulman et chrétien. Aucune personne et aucun leader ne peut signer un accord qui néglige Jérusalem. C'est pour cela que les autorités n'ont pas accepté les offres israéliennes et américaines.

A quand et à quelles conditions la paix entre Palestiniens et Israéliens ?

Les pays arabes ont présenté une initiative pour la paix en 2002 lors du sommet arabe de Beyrouth. Cette initiative a demandé à ce qu'Israël se retire de tous les territoires arabes occupés en Palestine pendant la guerre de 1967. Cette initiative est conforme aux résolutions des Nations-Unies qui demandent l'établissement de deux Etats : un Etat palestinien et un autre israélien. Cette initiative demande également l'application de toutes les résolutions des Nations-Unies qui concernent ce conflit et surtout la question du retour des réfugiés palestiniens. Cette initiative a été adoptée par l'Organisation de la coopération islamique (OCI), c'est-à-dire par les deux mondes arabo-musulmans. La paix ne peut se réaliser qu'en mettant fin à l'occupation et qu'en renonçant au système d'Apartheid que l'Etat d' Israël exerce sur les territoires palestiniens.

On a constaté récemment le rapprochement entre le Fatah et le Hamas. Quelle est la réalité sur le terrain ?

Aujourd'hui, le gouvernement d'union a commencé à faire son travail à Gaza et en Cisjordanie et a pris le contrôle de tous les ministères. C'est ce gouvernement d'union qui contrôle les passages.

Quel sera l'avenir du Hamas ?
Le Hamas est un mouvement palestinien légitime.

La Côte d'Ivoire va bientôt siéger au Conseil de sécurité de l'ONU. Qu'est ce que la Palestine attend de la Côte d'Ivoire ?
Je saisis cette occasion pour remercier la Côte d'Ivoire et le président Alassane Ouattara pour son vote à l'Assemblée générale et leur soutien pour la cause palestinienne. Et, nous sommes heureux de ce que la Côte d'Ivoire siègera au Conseil de sécurité, l'année prochaine. La Côte d'Ivoire joue un rôle important à l'échelle mondiale. Le président Alassane Ouattara est respecté par le monde entier. Nous souhaitons que la Côte d'Ivoire continue à jouer un rôle positif pour la paix en Palestine et dans le monde. Et, nous souhaitons qu'elle contribue à l'application des résolutions des Nations-Unies concernant la Palestine. Nous avons confiance en Côte d'Ivoire et nous croyons qu'elle jouera ce rôle positif et important dans toute la mesure du possible.

A quand la visite d'une autorité palestinienne en Côte d'Ivoire ?
Je veux dire que nous sommes en train de travailler sur la mise en ?uvre d'un programme pour le renforcement des relations entre nos deux pays. Nous avons présenté plusieurs projets au ministère des Affaires Etrangères de Côte d'Ivoire. Nous sommes également en train de travailler sur la signature d'un accord-cadre entre nos deux pays qui sera suivi de plusieurs accords bilatéraux. Nous souhaitons que cet accord soit signé par nos deux ministres des Affaires Etrangères S.E.M le ministre des Affaires Etrangères et des Expatriés de l'Etat de Palestine Riad Maliki et S.E.M le ministre des Affaires Etrangères de Côte d'Ivoire Marcel Amon Tanoh.
Son Excellence, le président Mahamoud Abbas a pris la décision d'établir l'Agence palestinienne de coopération internationale. Cette agence travaille par le biais du ministère des Affaires Etrangères et des Expatriés de l'Etat de Palestine. Nous allons à travers cette Agence développer et renforcer les relations entre la Côte d'Ivoire et la Palestine. En 2018, nous allons organiser plusieurs activités incluant une semaine médicale palestinienne. Plusieurs médecins spécialistes palestiniens sillonneront la Côte d'Ivoire pour faire des opérations churigicales gratuites. Le directeur général de l'agence palestinienne de coopération internationale visitera la Côte d'Ivoire très bientôt. Cette visite est prévue fin janvier ou début février pour coordonner les programmes de travail qui ont été mis en place et les appliquer en 2018.